Articles taggés avec ‘alimentation’

Le Visage du Bagne : chapitre 10 Le Système D.


mardi 26 septembre 2023 par JMD

Au Bagne, la « débrouille » est un qualificatif qui englobe toutes sortes de moyens et de procédés destinés à se procurer de l’argent ou toute autre chose ayant de la valeur. Selon les cas, elle est peut aussi bien être licite qu’illicite.

La « camelote » se rapporte spécialement aux trafics entre surveillants et condamnés ; elle est toujours répréhensible en regard des règlements[1].

Se débrouiller, est la grande affaire en ces lieux où chacun est tenu de pourvoir à son nécessaire, s’il ne veut pas vivre en parasite aux dépens de la communauté.

Les vivres des condamnés, qui constituent leur ration réglementaire – qui devait être sacrée – donnent lieu à une foule de trafics qui se sont révélés à l’épreuve de toutes les défenses et de toutes les précautions préventives[2].

Ils sont entrés dans les mœurs.

D’abord, les employés de cambuse commencent par fausser les pesées ; ensuite les cuisiniers font des prélèvements sur toutes choses : viande, légumes secs, riz, graisse, lard, sucre et café.

Ces détournements sont liquidés aussi bien aux surveillants qu’aux condamnés.

Parmi ces derniers, il y a une catégorie de privilégiés, qui achètent ainsi la ration de leurs camarades – ceux qui savent s’imposer. Au nez et à la barque[3] de ceux qu’ils frustrent ainsi, ils font cuire de beaux biftecks qu’ils acquièrent à bon compte. Les condamnés vendent généralement une partie de ce qu’ils reçoivent de l’Administration : chemises, chaussures, couvertures, savon – dont les surveillants, aux Iles du Salut, et les indigènes à la grande terre, sont acquéreurs. Tous ceux qui ont des emplois en tirent tout ce qui est possible pour améliorer leur sort.

Les boulangers vendent du pain frais, des gâteaux, de la farine (transformée en nouilles) ; les jardiniers tirent parti des légumes verts et des fruits ; les infirmiers trafiquent des boîtes de lait et des médicaments ; les balayeurs extérieurs se livrent aux maraudages. Les comptables sont experts à faire flèche de tout bois. Ils procurent des places et des emplois, tarifés selon leur rendement. Ils font disparaître les libellés de punition, grattent les livrets individuels en faisant disparaitre les notes qui peuvent porter préjudice aux intéressés. Lorsqu’il est formé un convoi pour aller au chantier forestier – ce qui est particulièrement redouté – ils font en sorte de rayer certains noms de la liste pour la remplacer par d’autres. Ces derniers, partiront au lieu et place de ceux qui auront payé pour ne pas partir.

Les plantons, se débrouillent en bazardant du papier, des plumes, de l’encre. Les canotiers écoulent les articles du Bagne, les marchandises volées ; ils passent des billets et des commissions d’une ile à une autre.

De temps en temps, il se commet quelque vol ; il manque une ou plusieurs têtes de volailles ; des régimes de bananes disparaissent. Quant aux cocos, c’est une véritable dévastation.

Certains ont la spécialité de trouver des écoulements pour le produit de ces vols et de ces chapardages.

Tout cela se pratique presque ouvertement, dans la généralité des cas. L’Administration laisse faire : d’ailleurs les surveillants y sont trop intéressés pour faire montre d’un zèle intempestif. Les uns et les autres se tiennent par le bout du nez.

Quelquefois, cependant, des Commandants de pénitenciers ont tenté – tout au moins – d’enrayer le trafic des cuisines.

Ils firent cadenasser les marmites ; les vivres étaient pesées par le Chef de camp, la graisse était mise en sa présence, ainsi que le café et le sucre.

Précautions inutiles ! Les cadenas étaient ouverts et refermés à l’aide de fausses clés ; la graisse était récupérée à la surface. On enlevait une partie du café et on ajoutait de l’eau. De même pour la viande. Le café ainsi détourné, se vendait liquide ; La viande cuite récupérée, était cédée à des commerçants des cases, qui en faisaient des boulettes frites, en y ajoutant de la mie de pain.

Un génie inventif de mauvais aloi, venait à bout de tous les obstacles. Certains allèrent même jusqu’à enduire des briques d’une légère couche de savon pétri et séché, pour les vendre aux cargos de passage.


[1] Note de Roussenq : Exemple : les surveillants et les fonctionnaires se font faire des meubles en « camelote » par les ouvriers de l’atelier des travaux – ainsi que des ustensiles de toutes sortes. Il y a là, à la fois, détournement de la main-d’œuvre pénale et de matières premières appartenant à l’Etat.

[2] Le trafic alimentaire est un des thèmes majeurs de la correspondance de Roussenq qui n’a de cesse de dénoncer cette pratique tout au long de sa détention ; ainsi en est-il dans son Mémoire kaléidoscopique de vingt mois aux îles du Salut qu’il adresse au gouverneur de la Guyane le 19 septembre 1910 et qui pointe du doigt les bagnards infirmiers, cuisiniers et autres « aristocrates du bagne » s’engraissant sur le dos de leur codétenus.

[3] Comprendre plutôt : au nez et à la barbe.

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Le Visage du Bagne : chapitre 4 Organisation et Structure du Bagne


mercredi 20 septembre 2023 par JMD

Le Second Empire ayant aboli les bagnes maritimes – qui se trouvaient dans les ports de guerre – institua, par la loi de 1854, le Bagne colonial de la Guyane où devaient être transportés les condamnés aux travaux forcés. En style administratif, l’ensemble des condamnés en cours de peine fut dénommé Transportation, et chacun des condamnés en particulier, reçut l’appellation de transporté.

La loi de 1854 marqua une étape considérable vers l’humanisation des traitements répressifs.

L’abolition de la marque infâmante, imprimée au fer rouge sur l’épaule de chaque forçat, celles du boulet aux pieds et de l’accouplement obligatoire – qui faisait des forçats ainsi que des frères siamois – furent des innovations capitales.

L’appellation de transporté, elle-même remplaçant celle de forçats, indique un souci de respect humain. L’exposé des motifs de cette loi, n’est pas dénué de sentiments élevés.

Il n’envisage pas la répression comme une fin, mais comme un exemple ; il voudrait que le châtiment soit générateur d’amendement et de relèvement. Malheureusement les faits ont démenti ces théoriques aspirations.

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Mes tombeaux 8


samedi 18 juin 2022 par JMD

Les Allobroges

7ème année, n° 1281,

vendredi 6 février 1948, p. 2.

Mes tombeaux

souvenirs du bagne

par Paul Roussenq, L’Inco d’Albert Londres

VII

LES FERS, LA PRISON DE NUIT, la CELLULE, et le CACHOT

Tel était le décor où se déroulèrent plus de vingt années de ma vie, la plupart du temps dans le fond des cachots.

STRUCTURE DU BAGNE

Passons rapidement à travers ce chapitre ingrat, mais qui a quand même sa valeur documentaire.

Le Bagne comprenait trois principaux pénitentiers : ceux de Saint-Laurent-du-Maroni, de Cayenne et des Iles du Salut.

L’effectif de la population pénale s’élevait à quatre mille cinq cents individus.

Chaque pénitentier avait à sa tête un commandant administratif. Un surveillant principal et plusieurs surveillants-chefs dirigeaient la cohorte de leurs subordonnés. Lire le reste de cet article »

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Victor et Barrabas


samedi 27 février 2016 par JMD

Jacob 1903Victor Petit (1879-1919) figure en place au rayon anonyme du panthéon des oubliés de la fortune et de la félicité. Son biographe, Alain Dalotel, évoque « une vie de malheur » pour dresser le portrait du pas-de-chance Petit : orphelin, il a 10 ans lorsque ses parents se suicident pour éviter une vie de misère ; ils laissent une fratrie de quatre enfants. Engagé volontaire dans le corps expéditionnaires français de Chine à l’occasion de la guerre des Boxers, il déserte deux fois et se fait arrêter. Condamnation à 20 ans de travaux forcés. Victor Petit débarque en Guyane le 8 janvier 1903. Il porte le matricule 32308. Après de multiples tentatives d’évasion, la Belle finit par lui sourire le 11 octobre 1911. Commence un long périple qui le conduit du Venezuela à Haïti, de Haïti à la France, en passant par les USA et le Canada. Il retrouve le sol hexagonal en 1915 mais vit en région parisienne dans la clandestinité. L’ancien bagnard consigne ses mémoires ; elles sont interrompues le 20 octobre 1919 par une mort aussi mystérieuse que brutale. Retrouvés par ses arrière-petit-neveux, les souvenirs de Victor Petit ont été publiés pour la première fois en 1996 aux éditions La Fabrique de l’Histoire. Véritable mine de renseignements sur les effets soi-disant positifs de la colonisation française en Chine et en Guyane, l’ouvrage de Victor Petit évoque un grand nombre de faits, mentionne une multitude de lieux. On croise aussi la route d’une foule de personnages. Victor Petit a connu un honnête cambrioleur condamné au bagne à perpétuité le 22 mars 1905. Lire le reste de cet article »

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Un médecin au Bagne chapitre 2


samedi 20 février 2016 par JMD

Mourir au bagne ? D’accord mais de mort lente, le ventre vide, mal logé et mal habillé, semble nous dire le docteur Louis Rousseau. Le propos de l’Oncle dans un Médecin au bagne vise en effet à démontrer que l’espérance de vie en Guyane ne dépasse guère les cinq années à l’arrivée du forçat. Ici, on meurt et la mort violente, le meurtre, l’exécution capitale, le suicide ou l’accident, pour fréquents qu’ils soient, n’entrent finalement que de manière dérisoire dans un décompte macabre qui, durant la transportation d’Alexandre Jacob, fait passer de vie à trépas, tous les ans, environ 10% de la population carcérale guyanaise. Au fil des pages de son réquisitoire, Rousseau démonte alors les mécanismes d’une machine à broyer le vaincu de guerre sociale. Lire le reste de cet article »

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Anars bagnards 10


samedi 6 août 2011 par JMD

Où il est développé l’idée que, de la débrouille à la punition en passant par la plainte, la morale anarchiste influe fortement la vie du fagot libertaire. Solidarité dans la survie où l’on retrouve aussi l’honnête cambrioleur Jacob. 10e épisode.

Deuxième partie : Codétenus : le cas des droits communs

Comme nous l’avons déjà montré, la partition entre « droits communs » et « politiques » n’est pas si simple pour la période et l’échantillon qui nous préoccupent. En effet, les anarchistes sont considérés par la justice lors de leur condamnation comme des prévenus de droit commun. Mais, nous l’avons exposé, ils n’étaient pas traités comme tels lors de leurs séjour au bagne. Les mesures particulières de surveillance et de traitement, auxquelles ils sont soumis montrent une discrimination certaine. Celle-ci, basée sur l’idéologie anarchiste, augmente la cohésion de notre groupe et renforce leur comportement de « résistance »[1]. Lire le reste de cet article »

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DETENU (Encyclopédie Anarchiste)


dimanche 21 mars 2010 par JMD

Etre détenu, être prisonnier, être enfermé dans une prison, être privé de sa liberté.

Il y a plusieurs catégories de détenus. On peut être détenu pour dettes, pour un crime ou délit de droit commun, pour un crime ou délit politique. La détention pour dettes ou contrainte par corps, ne se pratique plus en France, sauf en ce qui concerne les dettes contractées envers l’Etat ou pour les amendes et frais de justice consécutifs à certains procès. Lire le reste de cet article »

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