Louis le forain


Alexandre Jacob vend des articles de bonneterie à l’enseigne Marius. « L’honnête commerçant »[1], ancien forçat, semble avoir trouvé une sorte de plénitude. Il est reconnu, estimé dans la profession et c’est en toute logique qu’une grande partie de ses amis exercent le même métier que lui. Le monde des forains parait particulièrement perméable aux idées sociales les plus avancées. Si nous ne savons pas grand-chose de Bernard Bouquereau, il est en revanche possible d’affirmer l’anarchisme de Louis Briselance dont s’inquiète la Sûreté Générale à Paris en 1937[2].

Le 2 avril de cette année, le préfet de l’Indre semble pourtant modérer les informations demandées par sa hiérarchie :

« M. Briselance Louis, François, Joseph, né à Fougères (Ille et Vilaine) le 26 octobre 1899, réside depuis une quinzaine d’années à Déols où il est propriétaire de sa maison d’habitation. Marchand forain, il vend de la laine sur les foires et marchés de la région et parait gagner largement sa vie. Pour effectuer ses déplacements, il dispose de trois automobiles. (…) L’intéressé, qui ne se livre à aucune propagande politique apparente, ne s’est jamais fait remarquer par des actes ou des propos subversifs. Toutefois, il est intime avec des militants communistes. Bien qu’il soit électeur à Déols, M.Briselance ne fréquente que rarement les réunions politiques. »

L’enquête de routine a fort probablement dû être menée très rapidement auprès de la gendarmerie locale et des services municipaux de Déols dans l’Indre car Louis Briselance organise régulièrement des réunions sur Châteauroux, il fait même venir Sébastien Faure pour une conférence à la vielle de la deuxième guerre mondiale[3]. Après la libération, il fonda même un Cercle d’études sociales qui arrangea de 1945 à 1949 sur Châteauroux d’autres soirées débat avec entre autres Louis Louvet.

C’est donc en toute connaissance de cause que Louis Briselance se lie d’amitié avec Alexandre Jacob, son confrère, dans les années 1930.  Mais nous savons par Pierre Valentin Berthier, que aussi vives soient les discussions entre tous les amis de Jacob, rarement celles-ci abordent son passé de bagnard et de voleur[4].  Tout juste pouvons-nous imaginer Jacob irrité par cet abondancisme et cette économie distributive prônée par Briselance et Guy Denizeau que le cambrioleur en retraite n’entrevoit en 1954 que comme du socialisme béat venant teinter légèrement l’emprise capitaliste[5].

C’est à ces deux hommes que Jacob vend sa maison en viager en 1954 de manière à ne pas engraisser, dit-il, le maquereau état avec ce qui lui reste de fortune. En réalité, Jacob vit chichement et Louis Briselance et Guy Denizeau l’aident à subvenir à ses besoins. C’est encore à eux qu’il adresse la note que l’on retrouve à côté de son corps le 29 août 1954 :

« Pour le cercueil, adressez-vous à M. Blanchet, route de Paudy à gauche, prière de lui recommander de l’ampleur côté pieds, j’ai des cors. Pour l’ouverture et la fermeture du caveau, adressez-vous à M. Laplantine, c’est un artisan habile, avec lui pas d’évasion à redouter. Il demeure route d’Issoudun à droite sous les premières maisons. Et enfin pour le constat de décès, faites appeler ce brave docteur Appart. N’ayant encore jamais ressuscité personne, j’aime à croire qu’il n’innovera pas avec moi. Amen. Je suppose que mon vieil ami Négro m’a suivi dans le bienfaisant sommeil. Il reste un peu de pot-au-feu pour Zézette et Doudou que je vous prie de leur donner. Pour Zézette, le couper menu, donner aussi du lait à Doudou, il y en a sur le fourneau électrique. Linge lessivé, rincé, séché, pas repassé, j’ai la cosse. Excusez. Vous trouverez 2 litres de rosé à côté de la paneterie. À votre santé ! »

Louis Briselance, est passé du barnum au fourgon-bazar l’année du suicide de son ami. Il finit par se sédentariser bien après la mort de Jacob. A Châteauroux, il tient alors le magasin Polyplastic[6] et est membre de la chambre du commerce de cette ville. Il meurt à Déols en mai 1963.


[1] Danan Alexis, article « Jean Valjean » dans Voilà, 18 mai 1935.

[2] A.C.F., cote 19940434, article 614, dossier 51387.

[3] Interview de Madeleine Briselance, 19 février 2002.

[4] Interview de Pierre Valentin Berthier, 14 février 2001.

[5] À propos de Guy Denizeau, Jacob écrit à Josette Passas le 21 avril 1954 : « je lui ai fait remarquer que si, par l’effet d’une baguette magique, l’abondancisme était appliqué, lui le premier s’en trouverait lésé. Son aisance est fille du capitalisme. J’ai ajouté que son socialisme était tant sporadique à plein de pensées. Un quelconque dessert. Le plat de résistance, c’est le capital. Et, dans notre (structure), il ne peut pas en être autrement. Ou exploiteur ou exploité, très souvent les deux à la fois, le (pèse), le Prince, l’Etat chapotant le tout. Il en convient mais avec des mais, des si. Blabla. Sur un autre plan, il a des vues très valables. C’est ainsi qu’il estime qu’il faut mener ou une vie large ou vivre dans une cabane en planche. Dans le premier cas, on jouit de la vie et on aime copieusement le pèse ou on vit chichement en supprimant presque entièrement le parasitisme du pèse. Pour moi c’est l’évidence même. Mais cela n’est plus de l’abondancisme, c’est du capitalisme tout pur. »

[6] Hénault Roland, Reuilly ou les saveur de la terre, La Bouinotte éditions, 1999, p.140.

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Un commentaire pour “Louis le forain”

  1. La Feuille dit :

    Chouette texte.
    La lettre laissée à ses amis est vraiment émouvante.

    amitiés et bonnes festivités !

    Paul

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