Dix questions à … Patrick Pécherot


Patrick Pécherot ne raconte rien que des histoires. Avec des intrigues bien senties de derrière les fagots, des coups de flingues, du fric bien mal acquis, des gentils mais pas que, des méchants mais pas totalement. Paname le plus souvent en toile de fonds. Pas facile pourtant de se faire un nom dans le petit monde du roman noir français. Patrick Pécherot y est parvenu et ce journaliste et syndicaliste à la CFDT est aujourd’hui un auteur reconnu aux multiples références sociales. S’il signe la majeure partie de ses titres dans la célébrissime collection Série Noire de Gallimard, il n’hésite pas non plus, de temps à autre, à franchir le pas de la littérature jeunesse. C’est ainsi que Zoé D. a pu commettre, dans les colonnes de ce blog, une note de lecture sur Le Voyage de Phil, jeune adolescent malade, embarqué dans la recherche rocambolesque d’un extraordinaire trésor. Celui d’un voleur anarchiste dont les exploits auraient été usurpés par le génie littéraire de Maurice Leblanc. Pas de lupinose puisqu’il s’agit de fiction. Alexandre Jacob apparait encore dans d’autres récits de Patrick Pécherot. Nous avons alors voulu en savoir plus sur cet écrivain populaire qui utilise l’histoire, de la Belle Epoque aux Années folles, pour planter ses récits. Et il a bien voulu donner son point de vue sur ce rapport au passé, sur Arsène Lupin, ou encore sur Jacob et les illégalistes.

 

•1)      Tu es l’auteur d’une bonne dizaine de livres mais auparavant tu as longtemps milité au sein de la CFDT. Tu y es toujours d’ailleurs. Comment passe-ton du syndicalisme à l’écriture ? Le roman policier fait-il vivre son homme ?

Je mène les deux de front. Le syndicalisme est encore le meilleur moyen que je connaisse de changer un peu la vie au quotidien. L’écriture, elle, relève d’un besoin. La difficulté, pour accorder les deux, est de gérer son temps. Aujourd’hui, mon engagement syndical passe aussi par l’écriture puisque je travaille pour la presse de la CFDT. Mais si le social inspire beaucoup mes romans, je ne mélange pas les genres. La littérature militante, ou à message, est imbuvable. A l’inverse, confondre  romanesque et journalisme conduit à réécrire le réel. Quant à savoir si le polar fait vivre : ni plus ni moins que les autres formes de littérature. Les droits d’auteur sont un pourcentage des ventes. Il existe de gros vendeurs, des auteurs qui vendent très peu, d’autres moyennement. Les revenus en dépendent. Ce n’est pas le plus important.

 

•2)      Tu déclares dans le n°18 du fanzine Barricata (mars 2009) que Didier Daeninckx t’as donné l’envie d’écrire. En quoi cet auteur prolifique et fondamental dans le roman noir français t’as-il marqué ? Quelles sont tes autres influences ?

Didier fait partie de ceux qui m’ont donné le déclic de l’écriture. Sa lecture m’a montré comment on pouvait mener un travail sur le style, la construction d’une histoire, la mémoire, les personnages, l’observation d’un milieu social, les décors… Peu d’auteurs m’avaient produit cet effet. Depuis que je l’ai découvert avec ses premiers romans, je n’ai pas cessé de le lire. Mes autres influences sont multiples et de tous les genres. Disons qu’elles vont de Maupassant à James Crumley, de Simenon à Modiano,  de Dabit à Amila.

 

•3)      Tu entretiens, tout comme Didier Daeninckx d’ailleurs, un rapport constant à l’histoire dans tes romans. Pourquoi ? Cela nécessite-t-il une part importante de recherches ?

Il ne s’agit pas d’un rapport aussi profond. Didier travaille en profondeur sur l’Histoire. Moi, je m’y promène. « A la paresseuse », aurait dit Henri Calet. J’aime à retrouver des atmosphères, des coins de rues, des faits et des gens un peu oubliés. Fidélité aux racines, on est aussi le produit de ceux qui nous ont précédés. Les rejoindre, c’est peut-être se trouver soi-même.  Côté recherches, je ne travaille que sur des faits ou des périodes qui m’ont toujours intéressés, et sur lesquels j’ai accumulé de la documentation pour mon plaisir personnel. J’ai donc à peu près tout ce qu’il faut sous la main.

 

•4)      Que penses-tu du succès, depuis quelques années maintenant, des polars nordiques ? L’écriture hexagonale est-elle en perte de vitesse ? Qu’est-ce qui peut bien différencier un Mankell, un Nesbo ou encore un Indridason d’un Daeninckx, d’un Pouy ou encore d’un Pécherot ?

Je connais vraiment trop peu le polar nordique pour en parler. J’ai honte. Je vais y remédier, mais peut-être alors ne sera-t-il plus dans l’air du temps. J’ai souvent un métro de retard.

 

•5)      Le titre de ton livre, les Brouillards de la butte, semble une référence évidente à Léo Malet. De fait, on retrouve dans cet ouvrage la gouaille des titis parisiens, l’ambiance si particulière de la capitale dans l’entre-deux guerre que l’on perçoit dans les aventures de Nestor Burma. As-tu la nostalgie de cette époque ? Nestor Burma est-il un modèle de personnage ?

Les brouillards sont un hommage à Malet/Burma. Ils constituent le premier volet d’une trilogie qui se poursuit avec Belleville-Barcelone et Boulevard des branques. Nestor Burma ne m’a jamais quitté depuis que je l’ai découvert dans les années 80 après avoir lu les papiers de gens comme Manchette, Jean-François Vilar ou Phil Casoar sur Léo Malet. Sa dimension poétique et libertaire en fait un personnage mythique. C’est un des grands déambulants de Paris. Un fils lointain de Mercier, Rétif de la Bretonne, Souvestre et Alain ou du Breton de Nadja. Si je l’adore, je n’ai en revanche nulle nostalgie de l’époque dans laquelle il se promène. Pas plus que celle dans laquelle j’ai inscrit les  aventures de mon propre Nestor.  Ces périodes me parlent, me touchent, m’intéressent, me font rêver, mais je ne les regrette pas. Il suffit de mesurer le progrès social accompli depuis pour préférer vivre en 2010, quels que soient par ailleurs les problèmes. Quand on écrit aujourd’hui, comme je l’ai fait, sur les années 20/40, il faut prendre garde à ne pas les regarder à travers ce qu’en fait sa propre mémoire gorgée de matériaux poétiques, littéraires, cinématographiques, picturaux… Les conditions de vie étaient autrement plus difficiles. Relire les auteurs prolétariens vous remet les idées en place.

 

•6)      Avec Tranchecaille, tu fais plonger ton lecteur dans la boue des tranchées et dans la Grande Boucherie. Daeninckx a fait souvent de même, notamment dans le Der des Ders. Peut-on paraphraser Brassens en affirmant que celle que le polar français préfère c’est celle de 14-18 ? L’intérêt pour cette guerre mondiale et totale provient-il de ta collaboration passée à l’Union Pacifiste ?

Mon passage à l’UPF fait partie de mon parcours, de ma formation personnelle. A ce titre, il n’est pas étranger au fait de m’être attelé à Tranchecaille. La guerre de 14 est non seulement le type même de « guerre pour rien », mais son caractère de massacre de masse et les conditions dans lesquelles elle s’est déroulée en font un matériau particulier pour qui veut parler de la condition humaine… La guerre de 40 est totalement différente mais les auteurs de polar ne l’ont pas loupée pour autant, qu’ils l’aient fait dans une collection noire ou blanche. Siniac, avec L’orage d’acier, Amila avec La lune d’Omaha,  Héléna avec sa trilogie XXXX, Daeninckx, avec La mort n’attend personne, Manotti avec Le corps noir. Dès 1941, Malet en  avait fait le décor de 120 rue de la gare, il l’a repris pour Le dernier train d’Austerlitz et Le cinquième procédé. Pour ce qui me concerne, j’en ai traité dans Boulevard des branques…

 

•7)      On assiste depuis peu à une floraison de bouquins à prétention historique sur la propagande par le fait et l’illégalisme. Presque tous développent l’idée d’égarés du mouvement libertaire, ayant mal digéré de fumeuses théories. L’idéal antiautoritaire ne serait alors qu’un fallacieux prétexte pour justifier meurtres, attentats, crimes, vols et rapines. Cela n’est-il pas choquant, simpliste et réducteur pour un auteur ayant fréquemment mis l’anarchie en scène dans ses romans ?

Comme souvent, la vérité est plus complexe que ce qui court les rues. L’illégalisme a été la tentative, dans un contexte marqué par une situation sociale très dure et une perte de confiance en un espoir collectif, de changer sa propre vie « ici et maintenant ». On y retrouve nombre d’utopies que tenteront de vivre, bien plus tard, les mouvements alternatifs. A contrario il ne convient pas de mythifier ou d’idéaliser. L’illégalisme a connu des déviances et des basculements, certains ont mené de la révolte à la pure criminalité. Le mouvement anarchiste a d’ailleurs toujours été divisé sur la question. Il n’est qu’à relire les écrits de Rirette Maitrejean ou de Victor Serge, qui, tous deux, ont été intimement mêlés à la Bande à Bonnot. Même si cette dernière ne saurait résumer l’illégalisme, Les en-dehors, le  livre d’Anne Steiner, est un excellent antidote aux idées simplistes sur le sujet. Et puisqu’on célèbre Camus, relisons aussi Les justes et Les possédés. Leurs protagonistes ne sont pas des illégalistes, mais la dimension du débat moral n’est pas déconnectée de la question.

 

•8)      En mars 2009, tu déclarais, toujours dans le fanzine Barricata, travailler sur la bande à Bonnot et en particulier sur le personnage de Soudy. Peux-tu nous en dire plus ? En quoi cet homme que l’on retrouve sur les premières de couverture de pas mal de ces livres dits d’histoire, en train de poser avec son fusil et de faire semblant de viser le photographe des services de la police parisienne, peut-il revêtir les habits du personnage de roman policier ?

André Soudy est la figure centrale du roman que je suis en train d’écrire. Comme Prévert faisait le portrait d’un oiseau, je tente de composer celui d’un « bandit tragique » à travers un roman noir dont j’essaie d’éclater la structure. J’ai choisi Soudy parce qu’il m’a semblé le type même du pas de chance. Tuberculeux, syphilitique après son unique histoire d’amour, embarqué dans une aventure qui le dépasse, un pierrot désespéré et gouailleur, guillotiné à XXX ans sans même avoir eu de sang sur les mains. Depuis que j’ai commencé ce livre, Soudy a fait les couvertures de plusieurs ouvrages style « archives de la police ». Il était extraordinairement photogénique, certes, il existe néanmoins des hasards étranges…

 

•9)      Zoé D, 12 ans, a fait la critique du Voyage de Phil dans ce blog. Le point de vue des adolescents sur tes livres est-il important ? Pourquoi écrire pour la jeunesse ?

L’avis des jeunes lecteurs est précieux. Une question me taraude. Mes romans jeunesse parlent-ils vraiment aux ados ou sont-ce leurs parents et leurs enseignants qui les leur infusent ? Bref, suis-je un bol d’air ou une purge ?  J’ai pas mal tourné en milieu scolaire avec L’affaire Jules Bathias et cela m’a un peu rassuré, mais le décalage est parfois tel entre mes préoccupations et celles des adolescents que je crains toujours de leur imposer mes sujets, de les forcer à quelque chose. Alors, merci Zoé, et, si je peux me permettre : une bise.

 

•10)  Dans ce roman, conçu comme une chasse au trésor d’abord, comme une quête ensuite, Alexandre Jacob sert de toile de fond à l’intrigue. Il n’y a pas de trésor caché du célèbre illégaliste, un peu comme si tu cherchais à casser le mythe lupinien qui fait du voleur anarchiste l’inspirateur de Maurice Leblanc. L’honnête cambrioleur, notre livre paru à l’ACL,  ce blog aussi d’ailleurs, essaient tous deux de prouver que le personnage historique et politique que fut Jacob et le héros populaire de roman ne peuvent être rapprochés. Alexandre Jacob est-il Arsène Lupin ?

Marius Jacob m’a toujours fasciné depuis que je l’ai découvert dans les années XXX avec la biographie de Bernard Thomas. Une de mes amies, aujourd’hui décédée[1], l’avait  bien connu quand, à la fin de sa vie, il était marchand forain. C’était alors un ami de son père qui exerçait le même métier. Elle me racontait, comment, lorsqu’elle était enfant, Jacob la faisait sauter sur ses genoux. Dans Le voyage de Phil, le vrai trésor caché est la liberté – celle de Philémon qui la trouve dans la lecture comme aux côtés d’Anselme et de Yovanna alors que sa maladie l’enchaînait – Jacob en ouvre les portes. Cette dimension libératrice m’a semblée plus importante, et plus fidèle à l’homme, que celle du gentleman cambrioleur. Jacob n’a jamais cessé d’être subversif.  En ce sens, Lupin n’est pas Jacob. Mais s’il existe une controverse quant à l’origine littéraire du héros d’Auguste Leblanc, j’aime à penser que Marius Alexandre Jacob l’a inspiré. Que l’anarchiste, même transformé, soit ainsi devenu une  des figures les plus célèbres de l’imaginaire populaire est finalement un joli clin d’œil.

 


[1] Voir article Rip Madeleine du Jacoblog.

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