Mes tombeaux 23


Les Allobroges

7ème année, n° 1296,

mardi 24 février 1948, p. 2.

Mes tombeaux

souvenirs du bagne

par Paul Roussenq, L’Inco d’Albert Londres

XXII

« Le sort tomba sur le plus jeune » Quatre fugitifs tenaillés par la faim dévorèrent un camarade

Naturellement, ces outlaws étaient armés. ils vivaient là en paix. On essaya de les déloger, à plusieurs reprises. On fit appel à la troupe, à la gendarmerie. En vain. Bien à l’abri dans leurs retranchements, voyant sans être vus, ces coureurs de brousse demeuraient inexpugnables. On dut y renoncer.

Les annales du Bagne gardent le souvenir de tragiques évasions. Celle par exemple, dont la brousse vénézuélienne devait être le témoin d’un macabre épisode.

Cinq hommes, dont l’un était presque un enfant, erraient depuis des jours dans la forêt après avoir été jetés à la côte, leur embarcation basée. La faim les tenaillait terriblement, les végétaux sur lesquels ils se rabattaient ne pouvaient que la tromper. Des jours, encore des jours à tourner dans un cercle sans issue, en proie à une famine atroce.

« Le sort tomba sur le plus jeune »

Comme dit la chanson. Et comme dans la chanson, il fut bel et bien sacrifié cet adolescent de dix-huit ans qui rêvait de liberté…

J’épargnerai les détails horrifiants de cet acte de cannibalisme aux lecteurs de ces lignes. Ceux qui le commirent parvinrent à gagner les lieux habités. Arrêtés pour le fait d’évasion, transférés à la Guyane, l’un d’eux ne put tenir sa langue. Une inculpation pour homicide fut décrétée contre le quatuor. Les preuves manquaient. On les acquitta de ce chef, mais pour le délit d’évasion dont ils avaient à répondre, le maximum prévu leur échut.

Les condamnés subissant leur peine au pénitencier de Cayenne avaient une certaine prédilection pour les voyages au Brésil, à bord des voiliers caboteurs montés par des indigènes. Pour cela, malheureusement, il fallait de l’argent, beaucoup d’argent. On s’abouchait avec un patron de « tapouille », ainsi appelait-on ces voiliers de faible tonnage, et l’on prenait rendez-vous à un point de la côte avoisinant Cayenne. Au moment convenu, pendant la nuit, le canot de la tapouille venait embarquer les passagers clandestins. Le patron-capitaine était présent, avec deux de ses hommes.

Avant d’embarquer, les fugitifs devaient verser la somme convenue. Pendant longtemps, cette voie vers la liberté ne fut obstruée par aucun obstacle apparent. Les évadés réfugiés au Brésil donnaient de leurs nouvelles à leurs amis du Bagne – par un canal détourné. Pourtant, une solution de continuité se manifesta en se prolongeant de façon inusitée. Il faut dire que c’était presque toujours la même tapouille qui se livrait à ce commerce, si l’on peut dire.

évasion de forçats

Un jour, on vit arriver au camp de Cayenne un forçat ayant le corps tailladé à coups de sabre d’abatis. C’était le seul survivant d’un groupe d’évadés qui avaient été massacrés par un capitaine de tapouille, avec la complicité passive des membres de l’équipage. Lui-même avait été laissé pour mort, au lieu du rendez-vous. Il s’était acheminé péniblement le long de la côte. Un pécheur rencontré par hasard l’avait soigné chez lui pendant quelques jours.

Une enquête fut ordonnée on retrouva les cadavres. Bientôt le meurtrier fut identifié. C’était un natif, patron de tapouille du nom de Des Ages. Il avoua une vingtaine de meurtres, commis sur des évadés qu’il devait convoyer au Brésil. La Cour d’Assises de Cayenne jugea qu’une peine de travaux forcés était suffisante pour cette série de forfaits. Les forçats, eux, en jugèrent autrement, Envoyé aux Iles du Salut pour y subir sa peine en qualité de porte-clefs, Des Ages fut trouvé, peu après son arrivée, le corps raidi dans son hamac. Il avait été empoisonné. La Tentiaire, avec juste raison, ne chercha pas à éclaircir le fait. Et c’est avec satisfaction que les canotiers de service jetèrent en pâture aux requins affamés le cadavre de celui qui n’avait pas craint, par cupidité, d’assassiner tant de malheureux qui s’étaient confiés à lui.

Les Médecins du Bagne

Les Transportés se ressentaient du climat de la Guyane. Pour les nouveaux venus, la mortalité atteignait 50 % en un an de séjour Ainsi, un convoi de bagnards de quatre cents unités voyait son effectif initial réduit à deux cents hommes au bout d’une année. L’acclimatation s’opérant, les survivants de l’hécatombe tenaient mieux le coup, Mais ils étaient sujets à, une foule de maux de caractère endémique dont beaucoup s’avéraient mortels.

Ainsi en était-il des accès pernicieux de fièvre, de la dysenterie, de la cachexie. L’ankylostomiase (petits vers perforant la membrane intestinale), le scorbut, les plaies infectées, l’ictère, le tétanos, la lèpre même. Sans compter les piqûres d’insectes et de serpents.

Trois hôpitaux pénitentiaires se situaient à Cayenne, à Saint-Laurent et aux Iles du Salut. L’organisation de ces hôpitaux ne laissait guère à désirer – les médecins y tenant la main. Chaque malade avait son régime particulier, contrastant singulièrement avec les régimes de série des hôpitaux de France.

Les forçats malades mangeaient le meilleur pain, alors que dans nos hôpitaux, on donne le plus mauvais à nos malades – le Pain de fantaisie y étant un article prohibé.

Le service de Santé de la Guyane était assuré par le Corps des Médecins militaires de l’Infanterie Coloniale. Un médecin-commandant, ou colonel, se trouvait à la tête de ce service. Des médecins de divers grades étaient répartis dans les pénitenciers.

(A suivre)

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