Go West !
Dès lors que les Travailleurs de la Nuit s’installent à Paris vers la fin de l’année 1900, les cambriolages s’enchaînent en province à un rythme quasiment industriel. Lors de la 5e audience du procès d’Amiens, le 13 mars 1905, le président Wehekind fait remarquer au principal accusé la fréquence de ses déplacements. La réponse d’Alexandre Jacob fuse aussitôt et déclenche l’hilarité du public assistant aux débat : « C’est de la décentralisation » ! En toute logique, parce que le réseau de voies ferrées y est nettement plus dense du fait notamment de la proximité de la capitale, les vols se font majoritairement dans le Nord de la France. Pour autant, l’entreprise de déplacement de capitaux, Jacob and Co, n’oublie pas d’aller œuvrer à l’Ouest.
C’est même dans ces occidentales contrées que l’on peut parvenir à appréhender une tournée-type d’une brigade de travailleurs comme celle effectuée en janvier 1903 et passant par Chartres, Le Mans, Angers, Nantes, Cholet, La Roche sur Yon, La Rochelle, Rochefort. Le retour s’effectue par Niort, Angoulême, Poitiers, Tours et Orléans. A cette époque, Jacob est accompagné de Félix Bour et de Léon Ferré.
Le parcours est particulièrement étudié et, pour chaque ville visitée, un compagnon arrive en éclaireur afin de repérer les églises, les villas, les manoirs et demeures bourgeoises à travailler. Les complices, sur la foi d’un télégramme signé Georges, viennent prêter main forte en début de soirée puis, une fois le devoir accompli, la troupe d’illégaliste peut prendre le dernier train vers la prochaine station.
Aussi bien huilée soit la mécanique de l’opération, le cambriolage avorte parfois. Ainsi en est-il de l’expédition menée, un an auparavant, à La Roche sur Yon par Baudy, Henry et Ferrand. Le 13 janvier 1902, les trois hommes s’enfuient à toute vitesse à la suite de l’alerte lancée par Louis Marceron, gardien de la maison de Mme Richoux. Ils abandonnent alors sur place de nombreux outils. La police parvient même à mettre la main sur leurs sacoches laissées en consigne de gare.
La tournée de Jacob parait nettement plus heureuse. La police finit même par accuser deux innocents à Cholet. Le 3 octobre 1903, Alexandre Jacob donne les détails d’un vol commis dans cette ville chez le lieutenant Xardel, rue des Bons Enfants, dans la nuit du 22 au 23 janvier de cette année. Mais, pour ce cambriolage, Marcel Couteau et Gustave Picard ont déjà été condamnés par le tribunal de Cholet, le 14 mars 1903. Le premier à quatre ans et le second à un de plus. «Il me paraît donc établi que ces deux enfants[1] ont été condamnés pour un fait qu’ils n’ont pas commis et que, dès lors, il y a lieu à révision de leur procès », écrit le juge Hatté le 23 octobre. Ayant commis d’autres vols, il n’y a pas de changement de peine pour les deux adolescents ; ces derniers restent en maison de correction jusqu’à l’écoulement de leur vingtième année.
Nous avons déjà évoqué les vols commis à Niort, à Tours, au Mans ainsi que celui de la maison de Pierre Loti à Rochefort. L’instruction en vue du procès d’Amiens, ainsi que les comptes rendus de presse du dit procès permettent d’éclairer son déroulement. Il est fort probable que, s’en retournant sur Paris, Jacob et ses amis se soient arrêtés à Tours. Jeanne Humbert, dans la biographie que lui ont consacrée Roger Henri Guerrand et Francis Ronsin en 2001, se souvient d’y avoir rencontré enfant le voleur et ses comparses lors d’une fête par eux organisée après une « opération de récupération prolétarienne » sur d’autres châteaux de Touraine et du val de Loire : Avant de s’évanouir avec ses fidèles Travailleurs de la Nuit dans les brumes des bords de Loire, Alexandre prit garde de distribuer quelques louis dont ses hôtes, souvent au chômage à cause de leurs idées, le remercièrent fraternellement[2].
Distribution du butin aux compagnons dans le besoin ou aux œuvres, partage entre cambrioleurs aussi, écoulements des titres, des bijoux et autres objets métalliques, le temps de souffler dans la capitale et le train des travailleurs peut repartir de plus belle en février 1903. Direction Alençon, Beauvais, Compiègne, Evreux, Reims, Vernon.
2 mars 1903
Les cambrioleurs
Mme Veuve Ripoteau, rue Bouillaud, 3, [à Angoulême] absente de son domicile depuis le 23 janvier, a constaté à son retour, samedi, que des cambrioleurs avaient opéré chez elle. Le coffre avait été défoncé et les meubles avaient été fouillés, leur contenu jeté épars sur le plancher. Mme Ripoteau a constaté la disparition de couverts en argent, de peaux de panthère et d’une certaine quantité de linge. Une somme de cinquante francs environ laissée dans le coffre a été également volée.
Archives de la Préfecture de Police de Paris, EA/89, dossier de presse La bande sinistre et ses exploits
Ils ne [furent pas] toujours heureux dans leurs expéditions : à La Roche-sur-Yon, un jour, ils furent surpris en pleine opération chez un particulier, qui les pourchassa à coups de revolver. La plupart avaient laissé à la consigne de la gare leur sacoche remplie d’outils. Une « souricière » fut établie autour des étranges colis, mais les « voyageurs » se gardèrent bien d’aller s’y faire prendre.
Audience du 10 mars 1905
Vols à Angers
Dans la nuit du 9 au 10 janvier [1902], des malfaiteurs s’introduisaient chez M. de Coutades, à Angers ; mais ils ne trouvaient rien à emporter.
Dans la même nuit, la maison de M. Godard Hippolyte était cambriolée. Un écrin sans valeur avait seul disparu.
Ces deux vols font partie de la tournée faite par Ferrand, accompagné, d’après Gabrielle
Damiens, par Baudy et Henry.
M. de Contades croit qu’on n’enleva rien chez lui.
Ferrand – Je n’ai rien pris.
Le président – Mais vous reconnaissez le fait ?
Ferrand – Oui, monsieur.
Baudy – Moi, je nie !
Le président – Vous niez ?
Baudy – Je le crois que je nie !
Le 13 janvier 1902, vers 10h30 du soir, M. Marceron Louis, qui couchait à titre de gardien dans la maison inhabitée de Mme Richoux, à La Roche-sur-Yon, fut réveillé par un bruit de pas dans l’escalier. Ayant aperçu en même temps la projection d’une lumière, il se leva aussitôt en criant : «Au voleur ! »
Les malfaiteurs, à ces cris, prirent la fuite, abandonnant sur place leurs outils. Ils avaient pénétré dans l’habitation en escaladant le mur et en ouvrant de l’intérieur, à l’aide d’une pression, la porte du jardin. Les volets protégeant la porte donnant accès du jardin dans la cuisine avaient été ouverts, en pratiquant une entaille près de l’espagnolette. Les portes de la cuisine et du vestibule avaient été enfoncées ainsi que celles de la serre et de la bibliothèque.
Au pied de la porte du jardin se trouvaient deux petits carrés de papier qui avaient été placés entre cette porte et le montant afin de s’assurer si la maison était habitée. Un semblable carré de papier se trouvait dans la porte d’entrée de la maison.
En s’enfuyant, les voleurs avaient abandonné cinq pinces-monseigneurs, une rallonge dans laquelle s’emboîtaient trois de ces pinces, un vilebrequin et une lampe électrique.
Les premières recherches firent reconnaître que deux individus, l’un grand, l’autre petit, assez bien mis, porteurs chacun d’une grande sacoche noire, étaient descendus, la veille, à l’hôtel du Coq Hardi. Après leur dîner, vers 7 heures, ils avaient dit se rendre à la gare pour y déposer leurs sacoches parce qu’ils avaient un rendez-vous et qu’ils devaient partir par le train de 11 heures. Ces sacoches n’ayant pas été retirées de la consigne furent saisies ; elles contenaient une rallonge de pince-monseigneur et une pile de rechange pour la lampe électrique.
Lorsqu’elles furent ouvertes à Abbeville, dans l’une d’elles on découvrit des objets dont Ferrand avait donné la nomenclature. Dans la seconde on trouva des boutons identiques à ceux du pardessus de Baudy, alors maintenu à la maison centrale de Thouars. Il avait des faux cols pareils à ceux qui se trouvaient dans ces sacoches.
Baudy, sans nier les constatations, se contente de dire que « c’est possible ».
M. Merceron raconte comment il intervint pour mettre les voleurs en fuite.
Ferrand avoue et refuse de nommer son complice.
Mme Paillet a vendu deux faux cols, le jour du vol, à deux individus étrangers. Elle ne les reconnaît pas à l’audience.
Mlle Gireaudeau Madeleine dépose. Chez ses parents, deux individus ont mangé le jour du vol. Elle ne les reconnaît pas.
M. Gireaudeau, père du témoin précédent, croit reconnaître Ferrand. Du reste Ferrand avoue avoir mangé chez Gireaudeau.
Me Dubos, défenseur de Charles Siméon, fait poser à Ferrand une question.
– Où Ferrand avait-il pris les outils trouvés à La Roche-sur-Yon?
– Ils venaient de Marseille d’où Jacob les avait apportés.
– Vous n’en avez pas acheté à Charles ?
– Si, à l’époque où j’avais ma voiture de colporteur et pour cette voiture.
Me Dubos prie MM. les jurés de retenir cette réponse.
On ouvre les sacoches saisies à La Roche-sur-Yon.
Ferrand reconnaît la première comme lui appartenant. Celle-ci contient des outils. Ferrand explique à quoi servent ces outils. Il manie l’un d’eux.
– C’est pour fracturer les portes des armoires et les tiroirs, dit-il. Voici un levier pour forcer les portes. (Hilarité dans l’auditoire.)
– Il est toujours intéressant de connaître le maniement de ces outils, remarque M. le président.
Baudy reconnaît la deuxième sacoche comme étant sienne. Mais il déclare qu’il l’a, un jour qu’il était au café des Gobelins à Paris, prêtée à un ami de Ferrand. C’est ainsi que cette sacoche a été retrouvée à La Roche-sur-Yon. Dans cette sacoche il avait laissé des effets lui appartenant.
Baudy se défend de tous les vols qui lui sont aujourd’hui reprochés. Il se plaint de n’avoir jamais été confronté avec Gabrielle Damiens, qui l’accuse, et avec Ferrand dont on le dit le complice. Ses paroles à l’instruction, affirme-t-il vigoureusement, ont été interprétées par des magistrats habiles dans la casuistique.
Mme Paillet reconnaît dans la sacoche de Baudy des faux cols qu’elle a vendus.
– Cela se peut, fait vivement Baudy, mais ça ne prouve pas que ce soit moi qui ai acheté les faux cols.
La troisième sacoche est celle d’Henry, qui est en fuite.
Audience du 11 mars 1905
Vol à Angoulême
Le 28 février 1903, Mme Ripoteau demeurant à Angoulême, rue Bailloud, 3, constatait après une absence, que sa maison d’habitation avait reçu la visite de malfaiteurs et qu’on lui avait dérobé de nombreux bijoux et objets de valeur, des fourrures et des peaux de bêtes.
Plusieurs de ces objets ont été retrouvés rue Leibnitz, au domicile de Jacob.
Bour a déclaré que ce vol avait été commis au cours d’une tournée faite par lui, Jacob et Ferré.
Mme Ripoteau est à la barre des témoins.
Jacob – Les peaux prises chez Mme Ripoteau ont été achetées aux colonies. On sait comment les officiers font leurs achats aux colonies ! La guerre de Chine en est un exemple.
M. Boyer, qui habite l’Algérie et possède une maison à Poitiers, a été dans cette ville victime d’un vol consistant en bijoux et objets précieux.
Jacob s’est reconnu l’auteur de ce vol. Un foulard, provenant de chez M. Boyer, a été retrouvé chez le beau-père de Ferré à Béziers. Bour a passé des aveux et a déclaré que ses complices étaient Jacob et Ferré.
M. Renard, commissaire de police à Poitiers, énumère les constatations qu’il fit à l’occasion de ce vol. La discussion de ce vol est renvoyée à lundi, en même temps que le vol Boudoux, à Cambrai.
L’audience est ensuite levée, au milieu d’une lassitude générale que les dernières gouailleries de Jacob n’ont pas dissipée. Elle est renvoyée à lundi, à midi.
Audience du 13 mars 1905
[A propos d’un vol commis à Cholet]
À midi, M. le président Wehekind ouvre l’audience faisant un rapide résumé des débats des audiences précédentes. Avant il avait été procédé à l’appel des témoins au nombre de trente-cinq.
On va examiner aujourd’hui une quinzaine de vols commis de janvier jusqu’à avril 1903.
Bour prend la parole. Il veut, dit-il, donner des détails sur le vol de Cambrai pour disculper Ferré.
– Vous n’êtes pas en cause. Asseyez-vous, fait le président.
C’est au tour de Jacob d’intervenir.
– M. le président, vous avez oublié dans votre énumération le vol commis à Cholet. C’est nous qui l’avons commis, et il y a deux accusés innocents qui ont été condamnés pour ce fait. Voilà votre justice.
Audience du 13 mars 1905
[A propos du vol commis à Vernon le 7 avril 1903]
Augain explique comment il connut Ferré qui se présenta à lui comme maquignon.
C’était à Angers où Ferré s’était rendu dans l’intention d’y habiter.
Le président, à Ferré. – Que veniez-vous faire à Angers ?
Ferré -Travailler. Ma femme est repasseuse. J’avais quelques milliers de francs. Ma femme se serait établie. J’aurais cherché du travail de mon côté.
Le président, à Augain. – Qui a fabriqué les outils de cambriolage ?
Augain – Ce n’est pas moi.
[…]
M. Izoird Eugène, ancien commissaire de police à Angers, raconte dans quelles conditions au sujet d’un vol qu’il venait de découvrir, il procéda à l’arrestation de Ferré et d’Augain. Tous deux étaient porteurs de revolvers chargés. On découvrit à la consigne de la gare une sacoche contentant des outils de cambriolage et des chaussettes appartenant à Ferré.
Me Justal remarque qu’Augain est sorti de la prison de la Santé le 8 août et que six personnes ont cependant affirmé l’avoir vu à Angers les 5, 6, 7 août. Ainsi donc, si Augain n’avait eu un alibi indiscutable, devant le témoignage précis et concordant de six personnes, il serait passé aux assises à Angers et n’aurait pas échappé à une condamnation. Me Justal prie les jurés de retenir ces faits.
Sources :
– Archives Nationales
– Archives de la Préfecture de Police de Paris
– Journal La Charente
[1] Marcel Coutaud est né le 15 octobre 1889 à Saint Christ de Bois et Gustave Picard le 10 juillet 1888 à Cholet.
[2] Guerrand Roger Henri et Ronsin Francis, Jeanne Humbert ou la lutte pour le contrôle des naissances, Éditions Spartacus, Paris, 2001, p.181.
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19 septembre 2015 à 11:29
Salut les Aminches !
Y a pas à dire , c’est du beau boulot . Y en à plus des comme ça , dommage ça manque .
Mais faut pas désespérer ça peut revenir et dare-dare !