Un crime judiciaire


Hypocrite, lâche et haineux, tel serait le verdict prononcé à Amiens. La question de la sévérité des sentences ne se même pose pas pour la feuille anarchiste Germinal. Il s’agit même d’un crime judiciaire qu’elle affiche en une de son numéro 13 en date du 09 au 22 avril 1905. Le journal sort donc une quinzaine de jours après la série de condamnations aux travaux forcés et à la prison qui frappent les principaux membres des Travailleurs de la Nuit. Hypocrite et haineux donc, car les jurés ont refusé d’admettre le caractère politique des crimes reprochés tout en frappant durement des ennemis de classe. Le cas Sautarel qui, visiblement, n’émeut pas que les compagnons picards, tendrait à prouver cela. Bien sûr, la sanction des douze bourgeois est proportionnelle au sentiment d’insécurité galopante et le délit de droit commun parait indéniable. Mais le verdict, enfin, est aussi et surtout lâche. Personne n’ira embrasser la Veuve (la guillotine). Mais, cédant à la peur des anarchistes et des bombes qui éclatèrent il n’y a pas si longtemps, le jury envoie tout de même les condamnés au bagne à une mort certaine. De là, le rappel de l’institution du doublage de la peine (article 6 de la loi du 30 mai 1854) qui prévaut pour les envois en Guyane, la résidence devenant perpétuelle au-delà de sept années de travaux forcés. Peut-être est-ce pour cette raison que l’article se plait à rappeler ses lecteurs que le cycle répression-vengeance n’est pas forcément fermé depuis les lois scélérates de 1894 ?

Germinal

N°13

Du 09 au 22 avril 1905

Un Crime judiciaire

Le verdict, hypocrite, lâche et haineux rendu par les douze bourgeois contre nos camarades Jacob, Ferré, Pélissard et les autres victimes, était bien calculé pour ménager la chèvre et le chou. D’un part, l’on voulait paraître modéré en ne pas accordant aux Procureurs, les têtes qu’ils demandaient pour satisfaire ce qu’on appelle la vindicte publique, de l’autre on voulait faire voir que l’on n’avait pas peur en frappant traitreusement les femmes el les hommes dont la culpabilité n’a jamais été sérieusement établie.

Mais dans tout, il est une mesure, dans l’infamie surtout. C est pour l’avoir dépassée, cette mesure, que les honnêtes jurés, défenseurs de la Société sont aujourd’hui publiquement convaincu d’être tout simplement des scélérats.

S’il n’y avait que « Germinal » pour l’écrire, l’on pourrait croire à de l’exagération, mais ce sont des bourgeois eux-mêmes, des ennemis de la bande sinistre, des journalistes qui ont aidé l’accusation à forger son roman des cambrioleurs-assassins. C’est le « Progrès de la Somme », c’est Vézian lui même qui recule épouvanté devant le CRIME commis contre Sautarel.

Ecoutez-le : « Quelle est donc la cause do cette sévérité implacable, haineuse, aveugle contre cet accusé? – La vérité est que Sautarel a été condamné et frappé avec FEROCITE,  non pas parce que les jurés ont cru a sa culpabilité que rien ne démontrait, mais parce qu’il s’est proclamé anarchiste. Sautarel est puni pour un délit d’opinion. On lui a fait un procès de tendance. On l’envoie au bagne parce qu’il est anarchiste ».

Voilà qui est net. Voilà qui explique mieux que toutes nos dissertations philosophiques pourquoi les bras s’arment, et pourquoi les bombes éclatent ; pourquoi Ravachol porta ses marmites chez le Président Benoit et chez le Procureur Bulot, qui réclamait 3 tètes d’anarchistes en état de légitime défense – contre Chandellier contre les sergots – (affaire de Clichy, Descamps. Dardare et Léveillé) ; et pourquoi Emile Henry commit son acte pour venger Vaillant que l’on guillotina pour avoir fait peur aux députés ; pourquoi Caserio agit si brutalement et pourquoi Angiollilo jeta son beau cri de Germinal ! lors­qu’il eut supprimé le monstre Cano­vas. Voilà le pourquoi de tous les actes passés et futurs que le sentiment de l’injustice détermine chez les natures droites et fières, capables de révolte. Qui sait ce que ce verdict abominable de « betteraves » peut engendrer ? Bien malin celui qui le prédirait :

Les grains que vous avez semés,

O bourgeois, vont sortir de terre.

La haine cette fleur du mal

Germe vivace en nos entrailles.

Il en jaillira ce qu’il pourra !

Hardi les gas ! c’est Germinal

Qui fera pousser les semailles !

dit le poète. Eh oui, la haine, la haine du mal, la haine du crime, la haine de l’infamie, la haine de toutes les scélératesses judiciaires nous anime, et si ce sentiment n’était pas le reflet inverse de notre amour profond pour l’idée du juste, pour tout ce qui est vraiment bien et bon pour tous les humains, si nous n’étions pas retenus par le vivace instinct de conservation doublé de la connaissance que nous avons que la lutte sociale est aussi longue que périlleuse, si nous étions acculés comme beaucoup de vaincus, de déshérités au suicide, avec quelle satisfaction nous nous défendrions à notre tour !

Ah ! jurés, vous êtes pris la main dans le sac ; la Cour, la Cour elle-même vous a désavoués par son arrêt, c’est tout dire ! Vous envoyez Sautarel pendant 10 ans à la Guyane, aux travaux forcés, sachant qu’il est innocent. Autant l’envoyer à l’échafaud. Bien rares sont ceux qui reviennent après ce laps do temps, car vous n’ignorez pas que 5 ans font 10 ans de colonies, comme vous n’ignorez pas que les 8 ans de travaux de Pélissard signifient perpétuité, puisque pour les peines au-dessus de 7 ans de travaux, les condamnés sont tenus à résider perpétuellement dans la colonie meurtrière, à la disposition des Bourreaux de la chiourme.

Et les femmes ? les avez vous assez frappées ? Cette mère Jacob, qui défendait son fils comme les bêtes défendent leurs petits, vous l’avez châtiée, parce que mère de Jacob. Et la femme Ferré, et la compagne de Jacob, où sont leurs crimes à côté du vôtre, qui condamnez sciemment un innocent au bagne ; ce n’est pas nous qui le disons, c’est votre ami du Progrès. Où sont les preuves de la culpabilité de Clarenson, de Bonnefoy. De Ferré, de Baudy et des autres. – En dehors des accusés qui ont avoué, votre « honnête » Pennelier n’a apporté que des notes infâmes de vils mouchards, dont vous vous êtes rendus complices par votre jugement.

Vos témoins : une putain morte et un fou alcoolique. Sur des témoignages aussi manifestement suspects, vous distribuez, de gaité de cœur, entre la poire et le fromage, plus d’un siècle de bagne et de prison. Nous savons, nous qui avons souffert dans les modernes Bastilles, ce que cela représente de larmes, d’angoisses, de râles et de douleurs. Savez-vous que vos 16 victimes ont des parents, des amis et des enfants qui vous maudiront toute leur vie ? Savez-vous que l’innocence légale et matérielle de Sautarel vous a tâchés à tout jamais d’une marque d’infamie qui vous suivra jusqu’au tombeau ?

Ceux que vous pensiez défendre vous renient eux-mêmes. C est la Ligue des Droits de l’Homme, composée uniquement de citoyens d’opinions modérées ; c’est L’Avant-Garde, rédigée par des hommes partisans de l’ordre de choses actuel ; c’est le Cri du Peuple, qui n’a rien d’anarchiste et dont le rédacteur principal, G.Rodrigues, trouvait encore dernièrement qu’il serait criminel et fou d’employer les moyens violents de nos camarades de Russie dans un pays de « libre expression de la pensée » comme le notre : ce sont tous ces témoins non suspects qui valent bien comme moralité les Gabrielle Damiens et les Callewaert qui vous accusent, vous juges, et vous condamnent comme des misérables que vous êtes.

GERMINAL.

Rappel des condamnations prononcées à Amiens le 22 mars 1905 :

– Alexandre Jacob : travaux forcés à perpétuité,

– Félix Bour : travaux forcés à perpétuité,

– Joseph Ferrand : 20 ans de travaux forcés,

– Léon Pélissard : 8 ans de travaux forcés,

– Honoré Bonnefoy : 8 ans de travaux forcés,

– Jules Clarenson : 5 ans de travaux forcés,

– Jacques Sautarel : 5 ans de travaux forcés,

– Léon Ferré : 10 ans de réclusion,

– Marius Baudy : 10 ans de réclusion,

– François Vaillant : 10 ans de réclusion,

– Siméon Charles : 5 ans de réclusion,

– François Brunus : 5 ans de réclusion,

– Noël Blondel : 5 ans de réclusion,

– Lazarine Roux : 5 ans de réclusion,

– Marie Jacob : 5 ans de prison,

– Angèle ferré : 5 ans de prison.

Acquittement pour :

–          Alcide Ader

–          Georges Apport

–          Emile Augain

–          François Westermann

–          Emile Limonier

–          Louis Chalus

–          Léontine Tissandier

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