Intraitable ouvrage


Nous pourrions nous réjouir de la publicité faite à l’honnête cambrioleur à l’occasion de la sortie aux éditions Riveneuve de l’ouvrage du cinéaste Jacques Colombat. Invité ici, convié là (et notamment par la Bibliothèque sociale de Merlieux dans l’Aisne le 19 avril dernier), l’auteur parle d’Alexandre Marius Jacob, le forçat intraitable. Seulement, on peut légitimement se demander s’il a vraiment quelque chose à dire tant l’ouvrage commis enfonce maladroitement des portes de connaissance, hélas pour lui, déjà ouvertes.

Certes, nous pourrions objecter que l’auteur vulgarise sans verser dans la lupinose. Mais alors pourquoi, diantre, offrir à la vue d’un lecteur potentiel une première de couverture moche à souhait, et surtout représentant Alexandre Jacob perché sur les toits de Paris, le coude appuyé sur un genou levé ? La posture, inspirée de la première de couverture, d’une édition espagnole de la biographie de Jacob commise par Bernard Thomas (Jacob recuerdo de un rebelde, Txalaparta 1991), reprend bien évidemment celle du fameux Fantomas imaginée en 1911 par Souvestre et Allain. L’inadéquation apparaît alors flagrante avec le sous-titre du livre. Le Forçat intraitable pose sa main gauche sur le menton tandis que de sa dextre pend un trousseau de clés comme celles qu’utilisent … les cambrioleurs. Voleur ou bagnard, il faut choisir. Un exercice de haute voltige sans doute où Jacques Colombat écrit sans filet. Avec un tel titre, on se demande où il cherche à atterrir. La chute, à l’intérieur de cet intraitable ouvrage, risque fort d’être à la hauteur de l’impression première.

En 152 pages, l’auteur nous livre (sic !) aussi dans cette nouvelle biographie de l’honnête cambrioleur 18 dessins illustrant son édifiant propos. Aussi laids puissent-ils être, ces croquis auraient pu constituer une nouveauté, un apport intéressant s’ils ne véhiculaient pas de nombreux stéréotypes induisant le lecteur en erreur.

A la page 35, par exemple, Colombat nous présente la panoplie d’une partie du matériel de Jacob. Au beau milieu du dessin, trône un parapluie, allusion évidente au coup de la rue Quincampoix. Seulement, nous avons peine à penser l’illégaliste s’astreindre à transporter dans sa « contrebasse » un tel instrument domestique alors qu’il peut en trouver dans n’importe quelle villa pillée par ses soins. C’est d’ailleurs ce que le commun peut lire dans les Souvenirs d’un révolté. Descendant du train en gare d’Abbeville, Pélissard bougonne parce qu’il a oublié son pépin alors qu’il pleut averse. Jacob et Bour lui conseillent d’attendre ce que le prochain cambriolage pourra donner.

Passons à la page 79. Là, se tient assis un forçat dans sa cellule de l’île Saint Joseph, torse nu et pantalon rayé. Un verre est posé près de lui. Il porte un chapeau que l’on sait fabriqué en feuille de cocotier. Colombat aurait pu travailler un peu plus son sujet en lisant de manière nettement plus approfondie le Médecin au bagne du Docteur Rousseau. Il aurait de la sorte dessiné deux baquets (un pour l’eau et l’autre pour les besoins naturels) à la place du gobelet. Il aurait enlevé le couvre-chef du bagnard et surtout l’arbre trônant dans la cellule de ce bâtiment couvert de la réclusion. Les hommes punis ne voyaient jamais le jour dans ces cages. Une fatale folie les guette au bout de quelque temps et, s’ils survivent à cette délétère épreuve, ce sont des zombies. Rousseau parle de blancheur cadavérique et Jacob indique à sa mère ne peser plus que 39 kilos … sans les chaussettes !

Jacques Colombat sait manier le pinceau. Ce n’est pas une raison pour dessiner n’importe quoi. Et pour écrire, c’est la même chose lorsqu’on entend retracer – même de manière dynamique – la vie d’un homme aussi fascinant soit-il. Peut-être est-ce pour cela que nous pouvons lire une préface de Lucio Urtubia. A la manière de William Caruchet avec Alphonse Boudard en 1993, Colombat fait valoir en 2012 son propre texte par les biens insipides et inutiles lignes du très respectable faux-monnayeur anarchiste. C’est alors un scénario à l’écriture hachée qui se déroule sous nos yeux. S’y entremêlent vrais et faux dialogues, vrais et faux témoignages (celui de l’agent Couillot par exemple) dans un rythme soutenu, haletant … si épuisant avec ses trop nombreux flash-back et autres allers-retours. Nous osons croire l’auteur, qui est aussi cinéaste, plus habile et plus captivant avec une caméra.

D’une enfance passée sur le pont ou dans les cales des navires de la compagnie des Messageries Maritimes à la tranquillité apparente du vieil homme assis devant sa maisonnée de Bois Saint Denis, l’image du forçat intraitable parait bien obscure. Elle suscite nombre d’interrogations. Quel est le but de l’ouvrage d’abord ? Colombat se fait plaisir. C’est une évidence. Mais l’ouvrage s’adresse à un public dont on n’est pas certain qu’il en tire le même sentiment. Il présente une vie d’aventures. Grand bien lui fasse. Mais il aurait fallu la replacer dans son contexte, l’expliquer et l’analyser pour mieux la saisir. Certes, on peut voir Jacob justifier ses vols mais le discours de l’illégaliste tient plus de la bravade rhétorique que du discours théorique à part entière.

Jacob survit au bagne. Mais où est l’institution pénitentiaire ? Comment fonctionne-t-elle ? Quels sont ses buts et ses finalités ? Quelle est la vie commune d’un Jacob matriculé, fagot parmi les bagnards ? L’homme ayant retrouvé sa liberté n’a rien perdu de sa verve et de sa soif de justice sociale. Mais que fait-il à Paris ? Que fait-il dans le Berry ? Que fait-il dans cette Espagne en guerre civile ?

Colombat aurait pu se servir de la très courte bibliographie qu’il donne en fin d’ouvrage pour y puiser des éléments de réponse. Le docteur Rousseau, Eugène Dieudonné et même l’honnête cambrioleur sont mentionnés. L’auteur les a-t-il lus ? A n’en point douter. Sinon comment expliquer que nous retrouvions des passages entiers de ces ouvrages sans utilisation de guillemets, ni même mention de leur origine ?

De cette manière, Colombat reprend par exemple la même description des îles du Salut que fait Albert Londres dans Au bagne. Vous savez ? Si si,  ce décor pour femmes élégantes et leur  ombrelle (p 57 chez Colombat). Nous trouvons dans l’Honnête cambrioleur une énumération des décorations honorifiques du Docteur Rousseau. Chez Jacques Colombat aussi, page 118. Six pages auparavant, l’auteur nous parle d’une truculente ouverture de coffre-fort par le matricule 34777 aux îles du Salut à la demande expresse d’un des agents de l’AP. C’est la même anecdote, mot pour mot que celle décrite avec verve par Alexis Danan dans l’article Le crépuscule du Justicier paru dans les colonnes de Franc Tireur le 03 août 1954 :

Le bagne n’a pas de richesses à reconvertir et Jacob ne trouvera un jour à se rappeler ses talents de forceur de coffres-forts qu’à la prière d’un sous-directeur des îles, qui avait par mégarde perdu la clé du sien. Jacob résolut le problème en quelques minutes, à l’aide d’une baleine de corset et d’une feuille de papier à cigarette. II y gagna dix paquets de cigarettes et l’admiration de Mme la sous-directrice, qui avait l’enthousiasme démonstratif.

Que dire encore de cette anecdote où, page 91, le forçat intraitable devient cuisinier de ses camarades d’infortune à la demande générale. Peut-être « Merci Dieudonné ». Nous n’irons pas jusqu’à parler de plagiat tant les reprises sont grossières. Mais quel intraitable manque de tact !

L’absence de sources signalées nous empêche bien sûr de savoir où l’auteur est allé puiser – copier – coller ses informations.

Cela n’est pas bien grave finalement. Nous avons perdu notre temps à éplucher les pérégrinations d’un cambrioleur dans les villas, d’un accusé au tribunal, d’un bagnard au bagne, d’une graine germée d’ananar en Espagne et enfin d’un marchand forain dans le Berry avec cette désagréable impression de déjà lu. Mais nous avons pris plaisir à relever quelques-unes des nombreuses erreurs et autres approximations que l’on peut rencontrer au fil des pages. Extraits choisis.

Comment se peut-il que l’honnête cambrioleur Jacob lise sa fameuse déclaration, Pourquoi j’ai cambriolé ?, dans la salle d’audience des assises d’Amiens alors qu’au même moment il se trouve en réalité à la prison de Bicêtre (p.47) ? Dans sa dernière lettre avant d’embarquer pour la Guyane, le matricule 34777 décrit le bagne sous un angle positif pour rassurer sa mère (p.56). C’est vrai. La lettre existe. Elle est juste écrite à la prison d’Orléans, au début du mois de mai 1905. Une dizaine, si ce n’est une petite vingtaine d’autres missives (nous n’avons pas eu le courage de compter) suivront avant le départ de Saint Martin de Ré le 22 décembre de cette année et l’embarquement sur Le Loire. Aux îles du salut, l’intraitable forçat s’adonne à la lecture de Nietzsche (p.99). Mais le philosophe et professeur d’énergie de Jacob est censuré par l’AP pendant la Première guerre mondiale ! Jacob s’évade avec deux complices. Mais deux porte-clefs qui sommeillaient non loin de là s’éveillent. Chasse à l’homme dans la jungle qui d’un coup est peuplée de surveillants armés, d’indiens avec arcs et flèches, de chasseurs de prime, dressés comme des chiens pour pister les évadés (p.108). C’est bien. C’est beau. il y a du suspens et de l’imagerie populaire. Le bagne et ses mystères … Seulement, aux îles du Salut, soit 42 hectares, il n’y a pas de jungle, ni de crocodiles et de panthères comme le dessin attenant le suggère (p.109). Et ainsi de suite.

Jacques Colombat, cinéaste et écrivain, a ainsi commis une intraitable biographie d’Alexandre Jacob. Le livre, encensé dans les colonnes de Libération (25 février 2012) et du Canard enchaîné (29 février 2012) ne mérite finalement pas les lauriers et les égards dressés. Si, pour reprendre la note de lecture qu’Alexandre Clément nous a aimablement donnée au mois de juin dernier, l’ouvrage peut présenter l’avantage de faire connaître un peu plus une figure de l’anarchisme français, il n’en déforme pas moins une réalité. Et c’est celle-là que nous osons espérer pourvoir retranscrire au moyen du Jacoblog. A se confronter à cette réalité, il y a fort à parier que l’ouvrage de Jacques Colombat, s’il n’est pas intraitable, est à coup sûr encore moins inoubliable. Mais le droit d’écrire ne se mendie pas … et ainsi de suite.

Tags: , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

1 étoile2 étoiles3 étoiles4 étoiles5 étoiles (2 votes, moyenne: 5,00 sur 5)
Loading...

Imprimer cet article Imprimer cet article

Envoyer par mail Envoyer par mail


Laisser un commentaire

  • Pour rester connecté

    Entrez votre adresse email

  • Étiquettes

  • Archives

  • Menus


  • Alexandre Jacob, l'honnête cambrioleur