Marius, Oncle Louis et les Passas


Robert Passas dans son bureauLouis Rousseau devant son étagère à souvenirsLa courte et incomplète relation épistolaire entre le docteur Rousseau et les Passas nous parait intéressante à plusieurs titres. 28 août 1954. Alexandre Jacob est mort. Son souvenir demeure dans le cœur de l’Oncle. Cela prouve au demeurant que l’ancien médecin des îles du Salut a conservé des relations avec certains de ses anciens patients, quitte à partager sur certains point leur anarchisme. Rousseau nous livre également son sentiment sur le bagne. Sentiment partagé avec l’honnête fagot que fut le vieux Marius, dont son vieil ami nous dit encore la volonté d’en finir et de se délivrer de ses « salopes » de maladies qui le guettaient, et ce malgré la peine faite à ses compagnons. De toute évidence, Alexandre Marius Jacob marque les gens qui l’ont fréquenté : l’ancien médecin des îles du Salut comme le jeune couple d’instituteurs de la Drôme.

 

Rouen, 3 septembre 1954

Chers camarades,

          C’est par votre lettre du 31 août que j’apprends la mort de mon vieil ami Jacob.

          Et ma peine est grande en effet !

          II m’avait depuis plus d’un an fait part de ses intentions. J’avais, comme vous sans doute, fait ce que je pouvais en lui représentant que probablement ses misères physiques auraient de longues rémissions et que s’il mettait fin à ses jours, beaucoup d’amis pleureraient sa disparition. Mais sa décision basée sur des raisons valables, souffrances probables, isolement, manque de ressources matérielles, était irrévocable.

          II a donc a l’heure qu’il avait choisie, utilise le petit matériel toxique qu’il avait depuis déjà longtemps de coté a cette intention.

          Et, si ce fut pour sa délivrance, ce fut pour notre peine à tous qui l’avons connu et tant apprécié.

          Tout ce qu’il a fait dans sa vie était animé par un idéal élevé et qui ne s’est jamais démenti.

          C’est pour vous une perte et pour moi aussi soyez-en certain !

          Je vous remercie par avance du livre que vous m’annoncez et le garderai en souvenir de lui ainsi que ses quelques dernières lettres.

          Veuillez croire tous deux à l’affection du vieil ami de Jacob (nous avions le même age). Conservons le souvenir de ce parfait honnête homme.

Louis Rousseau

 

Rouen 4 octobre 1954.

Mes chers amis,

La dernière lettre que j’avais reçue de Jacob était du 22 juillet. Il me disait qu’il m’écrivait pour « me faire ses adieux fin août ou commencement septembre ». Et cependant c’est bien votre lettre du 31 août dont je ne saurais trop vous remercier, qui m’a appris sa mort.

Jacob, pourtant, a été fidèle à sa promesse. Pendant mon absence en août, j’avais prié la Poste de faire suivre mon courrier chez mon fils qui habite à 15 km de Rouen. En me remettant mon courrier à mon retour, il en a égaré une partie qu’il retrouva et me fit tenir la semaine dernière. Or dans ce petit paquet de correspondance il y avait une lettre de Jacob. Non datée cette lettre est évidemment de la veille de sa mort. Au reste le cachet porte Reuilly 28.8.54.

Cette lettre m’a beaucoup ému. Les deux premières pages me racontent entre autres choses ses petits ennuis à propos de la parution de sa Lettre au procureur de Marseille. A vous aussi, il a dû faire part de ces « bien petites histoires au regard de celles où se joue le sort du monde ».

La 3eme page, c’est l’adieu : « Nous ne nous reverrons plus, mon cher bon camarade. J’ai la chance d’être en bonne santé et c’est le moment qu’il faut choisir pour se décrocher du train de la vie. Je les sens toutes là, autour de moi, ces salopes qui me guettent, prostatique, angine de poitrine, sciatique, rhumatismes. Je leur fais la nique. Vive le bienfaisant repos : Partir sans espoir ni désespoir.. Trois mots illisibles..  Quelle belle chute de rideau ! »

Puis il me parle d’Alexis Danan à qui il vient de s’ouvrir de ses intentions (fin juillet) et qui lui a fait un « papier » dans Franc-tireur du 3 août 54. Ce papier qu’il a découpé à mon intention et joint à sa lettre, est un magnifique article nécrologique avant la lettre. Il porte un titre grandiose et à la mesure du héros : « Le Crépuscule du Justicier ».

Puis Jacob m’annonce que de Romans je recevrai un livre de Danan sur Cayenne. Ce livre je l’ai reçu la veille du jour où mon fils m’a remis la lettre de Jacob restée en panne. Et je vous remercie infiniment de l’envoi de ce précieux souvenir. Ensuite Jacob s’étend en une demi page sue le Bagne auquel nous portions une haine commune (comme à tous les bagnes) et où il avait subi le martyre que vous savez.

Enfin les quatre dernières lignes sont l’adieu définitif. C’est un aveu d’amitié et d’estime, que je n’oublierai jamais. C’est la plus belle récompense que je pouvais recevoir.

Mes chers camarades, je vous prie de recevoir mes remerciements et mes meilleures amitiés. Conservez comme moi le souvenir du vieux Jacob. Sa mort fut grande, elle fut celle d’un homme juste et bien équilibré.

Votre ami

Louis Rousseau

 

Rouen 15 Janvier 1955

Chers camarades

Merci de la lettre que vous m’écrivez du Maroc. Je vous remercie infiniment de l’offre que vous me faites de me faire parvenir les articles parus dans la Presse après la mort de Jacob. Je suis très sensible a cette pensée, mais je dois vous dire que je les ai eus dans mes journaux et je les ai découpés avec l’intention de les rassembler et les ajouter à la biographie qu’a faite de Jacob Alain Sergent. J’ai lu les deux articles de Danan dont le premier d’ailleurs était en quelque sorte un article nécrologique fait ante mortem, ce qui lui fut possible car Jacob lui avait annoncé l’intention d’en finir. Il en a fait ensuite un autre qui est aussi très beau dans le même journal. Enfin j’ai les articles parus dans l’Unique et dans la Defense des droits de l’homme de P.V. Berthier. Au reste celui de P.V. Berthier est suivi du votre. J’en ai un aussi de « Contre courant » de Louvet. Enfin j’en ai un autre paru dans Ie Monde Libertaire. Tous les articles sont élogieux et prouvent que Jacob a été bien compris par tous ceux qui l’ont connu.

Oui je garde ces articles découpés en pieux souvenir de lui ainsi que toutes ses dernières lettres. Relire tout cela de temps en temps est intéressant et constitue pour moi un plaisir à la fois de tristesse et de réconfort. Et je garde par dessus sa dernière lettre celle qui m’est parvenue en retard pour avoir été mise dans la boite aux lettres de mon fils et non dans la mienne et où il me fait témoignage de sa haute estime et ce témoignage est pour moi un honneur et une joie. Une belle récompense de ce que j’ai essayé de faire pour les malheureux emprisonnés et contre tous les bagnes.

Encore une fois merci. Je vous adresse ma lettre toujours à la même adresse et vous prie de me croire bien sympathiquement à vous.

          Louis Rousseau

 

Rouen 16 Février 1959

Mon cher camarade,

J’ai bien reçu « La Mort à pleins bras » d’André Lay. Je l’ai lu avec un grand intérêt. L’histoire est admirablement menée et se lit avec un intérêt toujours soutenu.

Mais je me demandais qui avait pu m’adresser ce livre car je n’ai pas vu où pas su voir de nom d’expéditeur sur le double papier d’emballage. Et je serais resté longtemps perplexe si votre aimable lettre du 5 courant n’était venue me fixer a ce sujet.

Je vous remercie donc de cet envoi qui m’a fait grand plaisir. Vous me demandez comment se procurer le livre que j’ai écrit sur le Bagne ? Je crois qu’il est impossible de le trouver en librairie et les mille exemplaires ont été vendus -ou donnés. J’en avais une cinquantaine avant la guerre. Mais je les ai donnés peu à peu et jusqu’à il y a quelques mois j’en ai eu quelques uns. Les deux derniers, je les ai donnés à mes deux fils.

Le beau frère de l’un d’eux m’a dit il y a environ un mois qu’il en avait trouvé un exemplaire à Paris chez un bouquiniste des quais qui le lui a vendu 350 francs. Je crois que c’est la le dernier refuge où l’on risque d’en trouver un.

Vous me parlez aussi des articles parus à la mort de Jacob et notamment celui du Canard Enchaîné. Je ne crois pas avoir lu celui-là. J’ai lu celui de Danan dans le n° 2 du Monde Libertaire avec le portrait de Jacob. Celui de P.V. Berthier dans l’Unique (n° 87-88) Sept.- Octobre 54. De même date dans Ie n° 71 de Défense de 1’Homme où il est précédé d’une note nécrologique sur Lemeillour, (qui venait de mourir d’une maladie de Parkinson) et suivi d’une bonne et touchante notice de vous-même. Votre lettre a été pour moi l’occasion de les relire car j’ai gardé tous ces numéros. D’ailleurs je garde toujours la Défense de 1’homme. Elle m’a fait repenser aussi aux relations de bonne camaraderie que j’ai eues avec Jacob aux îles, relations qui n’ont jamais cessé. Je n’ai pas connu sa compagne, mais j’ai souvent rendu visite à sa mère, entre mon retour des îles (1922) et 1924 ou 1925, année où il est définitivement revenu à la liberté. Sa mère aussi qu’il aimait tant, était une riche nature.

          La santé va mais je viens de perdre ma femme, morte le 24 Août, et comme de bien entendu, je suis triste, très triste.

          Je vous serre affectueusement la main ainsi qu’a madame Passas mes voeux amicaux de santé et prospérité.

          Louis Rousseau

 

Rouen 26 juillet 1959

Cher camarade

J’ai reçu il y a environ trois mois si ce n’est davantage, un livre très intéressant sur les bagnards français évadés qui s’établissent au Venezuela et avec des fortunes diverses y jouent un rôle important. Vous avez pensé que, auteur d’un ouvrage sur le bagne, tout ce qui se rapportait à ce bagne défunt, m’intéresserait.

Vous ne vous êtes pas trompé. J’ai pris un grand intérêt à le lire, mais j’ai été malade à plusieurs reprises et j’ai oublié de vous remercier comme je voulais le faire.

          Vous voudrez bien excuser l’octogénaire que je suis et ne pas m’en vouloir

          Bien amicalement vôtre

                        Dr Louis Rousseau

            vieil ami de Jacob !!

 

Source :

-fonds Jacob, CIRA Marseille

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