Mes tombeaux 15


Les Allobroges

7ème année, n° 1288,

samedi 14 – dimanche 15 février 1948, p. 2.

Mes tombeaux

souvenirs du bagne

par Paul Roussenq, L’Inco d’Albert Londres

XIV

Une tombe étroite et sombre tel était le cachot où nous conduisait la moindre peccadille

DANS LA NUIT DES CACHOTS

La commission disciplinaire, dans chaque pénitencier, se réunissait une fois par semaine. Elle entendait les délinquants traduite devant elle, pour toutes infractions commises.

Le commandant du pénitencier la présidait, flanqué de deux assesseurs, fonctionnaires placés sous ses ordres.

La prison de nuit était rarement infligée ; la punition cellule pouvait aller jusqu’à soixante jours, celle de cachot jusqu’à trente jours. Mais chaque libellé de punition étant sanctionné indépendamment des autres, il en résultait qu’en réalité la possibilité répressive était illimitée.

Pour ma part, trois cents jours de cachot me furent infligés dans une seule séance, comme sanction de dix motifs différents, à raison de trente jours pour chaque motif.

On a vu les modalités du régime appliqué aux punis de cellule. Quant à celui qui se référait aux punis de cachot, il était autrement sévère.

Il consistait en une claustration de jour et de nuit dans un local sans fenêtre, de 3 m 50 de long et 1 m 75 de large, sur une hauteur de 4 mètres. Il était muni d’un étroit lit de camp. Les punis étaient soumis au pain sec deux jours sur trois et mis aux fers du coucher au lever du soleil, soit douze heures. On sait que sous cette latitude, les nuits sont égales aux jours. La mise aux fers consistait en la fixation de la jambe gauche au pied du lit de camp, au moyen d’une boucle en fer munie de deux ouvertures aux extrémités, lesquelles ouvertures s’enfilaient le long d’une barre, également de fer, fixée à demeure. Cette barre était ensuite assujettie au moyen d’un piton qui traversait le lit de camp par une ouverture pratiquée à cet effet. Ce piton, muni d’un pas de vis, était lui-même assujetti à l’aide d’un boulon.

Une tinette, un récipient à eau et une couverture constituaient l’ameublement.

Au bas de la porte, était incrustée une plaque métallique agrémentée d’une vingtaine de trous de la dimension d’une pièce de deux francs. C’est par ces trous que pénétrait un peu d’air et de jour.

La discipline était stricte. Le moindre mouvement entrainait une nouvelle punition. De sorte qu’un condamné puni de trente jours de cachot pouvait très bien en récolter pour plus d’une année avant l’expiration de sa peine initiale. C’est d’ailleurs ce qui m’arriva.

Les cachots des Iles du Salut, à l’île Royale, étaient disposés à droite et à gauche d’un couloir assez étroit. Ce couloir recevait la lumière du jour par des fenêtres grillées placées très haut. Les punis y faisaient leurs brèves ablutions le matin, après le déferrage.

Il y avait dix-sept cachots.

Deux ou trois ans avant la venue au bagne d’Albert Londres, la « Revue Bleue » publiait un « Voyage aux Tropiques » d’une grande valeur au double point de vue littéraire et documentaire. Il était signé du nom de Louis Chadourne, talentueux écrivain prématurément enlevé aux lettres françaises. Chadourne ne fit que passer à la Guyane, ne s’arrêtant que quelques jours à Saint-Laurent-du-Maroni.

 

Dans un passage de sa belle relation, il dit : « Je me fis enfermer dans un de ces cachots. après que l’occupant en eut été extrait au préalable. J’y demeurai quelques minutes. Je me trouvais dans d’épaisses ténèbres ; une odeur innommable d’urine et d’air vicié se dégageait, qui me fit battre en retraite. Je ne pouvais comprendre que des hommes pussent séjourner durant des mois dans une telle atmosphère. Et pourtant, c’était bien le cas ». Oui, pour celui qui fait une telle expérience à titre d’amateur, telles sont, en effet, les impressions qu’il peut en recevoir. Mais pour eux qui subissaient cette incarcération, il n’en était pas de même. On s’habituait à cette obscurité, à la longue. On y voyait même assez pour pouvoir lire et écrire, à proximité des trous situés au bas de la porte. Et quant aux odeurs, à force de les humer les nerfs olfactifs n’en étaient même plus impressionnés – sinon inconsciemment.

J’ai séjourné une dizaine d’années dans ces tombeaux de la répression, dans l’espace de quinze ans, de 1909 à 1924. A cette dernière date, la punition de cachot devait être abolie, après l’enquête d’Albert Londres. Durant ce long séjour, il est bien certain que je n’aurais pas fait de vieux os, si je m’étais laissé aller à l’envoûtement de l’ambiance, au découragement, à la fatalité déprimante d’un sort inexorable.

Cela n’était pas. Je conservai, en dépit de toutes les souffrances et de toutes les privations, un moral inaltérable. Ma lutte épistolaire contre l’administration et ses suppôts, était pour moi un précieux dérivatif, ainsi que je l’ai déjà dit. Cela m’occupait et ainsi le temps s’écoulait. L’homme bien trempé est capable de supporter le pire, de demeurer impavide sous les coups répétés de l’adversité. Chaque fois que j’en exprimais le désir, – à peu près tous les jours – le surveillant de service me faisait donner le nécessaire pour écrire et je me mettais en devoir de bombarder les autorités de ma prose récriminatoire.

(A suivre)

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