Vols à Bourges


Quoi de plus réjouissant pour des voleurs anarchistes, dont certains sont dotés d’une certaine propension à l’humour, que de détrousser le bourgeois à Bourges. Un festival de cambriolages ? Pas vraiment. Si les quatre larcins commis dans la préfecture du Cher ne figurent pas parmi les plus sensationnels à mettre à l’actif des Travailleurs de la Nuit, ils n’en sont pas moins intéressants à plusieurs titres. Ils révèlent d’abord l’implication de Jacques Sautarel dans le recel et l’écoulement des produits volés ; ils mettent surtout en lumière pour les réappropriations commises au début de l’année 1903 la chute de Joseph Ferrand.

Compagnon habituel de Jacob jusque vers la fin de 1902, époque où ils se sont brouillés[1], il entreprend au début du mois de janvier 1903 une tournée sur le Cher et la Nièvre en compagnie de François Vaillant. Dans la nuit du 5 au 6 de ce mois, ils cambriolent les appartements de M.M. de Boismarmin et de Beaurepaire, situés au 44 rue Moyenne à Bourges. Deux jours plus tard, la maison du capitaine Marty, sise au 22 rue Grasset à Nevers, fait les frais de leur visite.

Le 8 Blanche Van Laerenq, que Ferrand a rencontrée à Nevers et ramenée à Paris, dénonce ce dernier à la police qui démarre d’actives investigations pour retrouver le voleur[2]. Le même jour, Gabrielle Damiens, se rend chez Sautarel. Elle est porteuse de la part de son amant d’un paquet dans lequel se trouve un cachet représentant un buste de femme et une croix en nacre provenant de chez M. Beaurepaire[3].

Le 22 janvier, la police parisienne appréhende Ferrand et Vaillant dans un garni de la rue Geoffroy Lasnier. La perquisition amène la saisie d’objets provenant de la maison du capitaine Marty. Ferrand tente de dissimuler son identité. Il affirme se nommer Dunin puis déclare être Félix Bour et finit par révéler son véritable patronyme. Le 4 août 1903, la cour d’assises de la Nièvre condamne Ferrand et Vaillant à 10 ans de travaux forcés et à la relégation. Le jury a rendu un verdict sans circonstance atténuantes[4].

Trois mois après l’arrestation de Joseph Ferrand, Alexandre Jacob, Félix Bour et Léon Pélissard tombent à leur tour. C’est la fin des Travailleurs de la Nuit.

Le Journal du Cher

7 janvier 1903

Trois exploits de cambrioleurs

Il y avait longtemps qu’on avait entendu parler de cambriolage à Bourges. Depuis l’arrestation et la condamnation du bijoutier Durin, les artistes de la pince-monseigneur et du vilebrequin nous laissaient quelque répit.

Ce n’était qu’une trêve. Voici que depuis quelques jours ils recommencent à faire parler d’eux. Ces jours-ci, ils opéraient à Saint-Amand chez un bijoutier, M. Champault.

Dans la nuit de dimanche à lundi, c’est sur le salon de Flore, café Saulnier, place de la Nation, que d’audacieux cambrioleurs ont jeté leur dévolu.

En se levant, lundi matin, M. Saulnier constata qu’une vitre d’un galandage donnant sous le portail du café, par où entrent les locataires de la maison, avait été délicatement taillée avec un diamant. On avait ainsi enlevé le verre puis, par cette ouverture, pénétré dans la salle de débit.

Après une tentative d’ouverture du tiroir-caisse, les cambrioleurs, qui devaient très bien connaître les aisances de la maison, s’introduisirent dans la cave dont l’ouverture est à l’intérieur de la salle de bal.

Là, ils s’emparèrent de deux cents bouteilles de vin bouché, qu’ils sortirent dans des paniers, par la porte donnant sur la rue du Prinal.

Mais cet exploit n’était accompli sans doute que pour se faire la main, en vue des deux plus audacieuses expéditions qui ont été perpétrées la nuit dernière.

Ce sont des maisons bourgeoises qui ont eu la visite des cambrioleurs.

Détail à noter : les deux victimes de ces cambriolages sont les deux beaux-frères : M. Christian de Boismarmin et M. de Beaurepaire de Louvagny. Le premier habite 44, rue Moyenne, le second à une centaine de mètres du premier, avenue Séraucourt, 20. Ils habitent actuellement dans l’Indre, dans une maison de campagne de M. Boismarmin père.

Les cambrioleurs n’ignoraient peut-être pas ce détail. La façon dont ils ont opéré prouve, en outre, que l’on se trouve en présence de professionnels.

Vers 9 heures, mardi matin, le cordonnier, qui tient échoppe avenue Séraucourt, s’apercevait que les battants de la double porte d’entrée étaient entrouverts. Comme les volets de l’habitation étaient encore fermés, cette découverte le frappa. S’étant approché, il vit des restes de nombre d’allumettes-bougies au pied de la porte. Plus de doute, la maison avait été cambriolée.

La police fut immédiatement prévenue ainsi que M. Georges de Boismarmin, demeurant rue Coursarlon qui, obligé de partir en voyage, chargea en son absence M. Jouslin d’accompagner les agents dans leurs constatations.

L’habitation avait été fouillée de fond en comble ; tous les appartements visités, les meubles ouverts, bouleversés ; tout ce qui pouvait contenir soit des bijoux, soit de l’argent avait subi l’inspection des voleurs. Avant de s’attaquer à la porte, ceux-ci ont essayé d’ouvrir celle de la cave mais elle résista à la pression des pinces ; il n’en fut pas de même de la double porte dont la serrure a dû céder sous les pesées faites avec les pinces introduites entre les deux battants.

Dans une chambre on a retrouvé tout un attirail d’outils entièrement neufs, un ciseau cassé, un vilebrequin, des mèches, des vrilles, etc.

Le second vol a été découvert de la façon suivante :

Vers 10 heures, une jeune fille travaillant dans la maison Pichonnat-Salmon, rue Moyenne, remarquait à son tour que la porte d’habitation de Boismarmin était entrouverte. Salmon, étant entré dans la maison, vit que toutes les pièces avaient été visitées. C’était le même désordre que chez M. de Beaurepaire.

Les voleurs ont dû commencer par opérer rue Moyenne. Mmes Testaux, buralistes, dont l’habitation est contiguë à celle de M. de Boismarmin, ont été réveillées, vers 11 heures, par le bruit des effractions ; elles crurent que c’était leur voisin qui rentrait bien que ces bruits aient duré pendant un assez long temps.

On se montrera d’autant plus surpris de l’audace des malfaiteurs que ces vols ont été commis dans deux maisons qui ne sont qu’à une très petite distance de la caserne Condé et que le factionnaire pouvait apercevoir les cambrioleurs au moment de leur double effraction.

MM. de Boismarmin et de Beaurepaire ont été informés par dépêche du cambriolage ; on ne saura qu’à leur retour ce qui a été dérobé.

Archives de la Préfecture de Police de Paris

EA/89, dossier de presse « La bande sinistre et ses exploits« 

2e audience, 9 mars 1905

Vol à Bourges

Le 21 septembre 1901, M. Vergue, demeurant à Bourges, boulevard Gambetta, 9, quittait son domicile et y revenait le 23 pour constater qu’il avait été dévalisé.

Les voleurs s’étaient introduits par un soupirail dont ils avaient brisé la chaîne de sûreté.

La porte avait été ensuite ouverte pour permettre aux complices de pénétrer.

Tous les meubles avaient été fouillés dans la salle à manger ; un tableau avait été coupé d’un coup de couteau. Dans le salon, deux tapisseries avaient été lacérées. Un coffre-fort fut ouvert avec sa clef, qui se trouvait dans un trousseau sur l’armoire à glace.

Les appartements du second étage avaient également été visités.

Le vol consista en bijoux, épingles de cravate, chaînes de montre, boutons de chemise, une montre de femme, un service d’argenterie, etc., un revolver bull-dog. Il est avoué par Jacob et Ferrand.

M. Vergue est entendu et n’apporte aucun renseignement nouveau.

Jacob et Ferrand avouent le vol, mais nient avoir lacéré un tableau.

L\'Illustration 18 mars 19054e audience, 11 mars 1905

Vol à Bourges

Dans la nuit du 5 au 6 janvier, l’appartement de M. de Boismarmin, situé à Bourges, rue

Moyenne, n° 44, était cambriolé. On lui volait un parapluie, une bague en or avec perles fines et diamant, une épingle à chapeau en or avec un petit rubis, etc.

Dans la même nuit, son beau-frère, M. de Beaurepaire, était victime d’un vol. De l’argenterie et des bijoux lui avaient été soustraits.

Ces deux vols, commis à Bourges, la nuit qui a précédé le vol de Nevers pour lequel ont été condamnés Ferrand et Vaillant, l’ont été par les mêmes individus.

On a trouvé en la possession de Vaillant un grand nombre d’objets provenant de ces vols.

Sur une enveloppe saisie en sa possession, on a relevé également écrit de sa main une note au crayon rouge : « 44, rue Moyenne ». Or cette adresse est celle d’une des victimes, M. de

Boismarmin.

Le lendemain du vol de Nevers, Gabrielle Damiens alla chez Sautarel porter de la part de son amant un paquet dans lequel se trouvaient notamment un cachet représentant un buste de femme et une croix en nacre provenant de chez M. de Beaurepaire.

Ferrand a toujours soutenu qu’il n’avait pas commis le vol de Nevers pour lequel il a été condamné. Il ne pouvait se reconnaître l’auteur des vols de Bourges qui avaient été commis la veille. Mais sa culpabilité, dit l’accusation, ainsi que celle de Vaillant résulte des pièces saisies sur Vaillant et de celles qu’il fit porter par sa maîtresse chez Sautarel, son receleur.

À l’audience, Ferrand et Vaillant, après l’audition des témoins se défendent vivement d’être les auteurs des vols de Bourges.

Sautarel proteste vivement de son innocence.

Ferrand explique qu’il était allé à Nevers pour cambrioler. Il y avait rendez-vous avec des individus qui lui remirent un paquet contenant les objets volés à Bourges.

Vaillant se lance dans de longues explications, assez embrouillées, sur ces vols et celui de Nevers pour lequel il a été condamné.

L’intérêt maintenant languit. Jacob se repose et l’on ne comprend rien à ce que dit Vaillant. Sautarel dit ensuite que toutes les déclarations de Gabrielle Damiens sont mensongères.

Confronté avec elle, il a été reconnu par elle. Cela n’a rien d’étonnant. Il est boutiquier boulevard Beaumarchais. Elle a pu le voir dans sa boutique. Sautarel dit qu’il est également connu comme écrivain. Il est une victime de la police. Depuis dix ans qu’il a fait paraître États d’âme, la police l’a marqué à l’encre rouge.


[1]Archives Départementales de la Somme, 99M13/2 : suspects anarchistes (affaire Jacob).

[2] Journal de la Nièvre, 5 août 1903.

[3] Archives de la Préfecture de Police de Paris, EA/89, dossier de presse « La bande sinistre et ses exploits« .

[4] Journal de la Nièvre, 6 août 1903.

Tags: , , , , , , , , , , , , , , , ,

1 étoile2 étoiles3 étoiles4 étoiles5 étoiles (2 votes, moyenne: 5,00 sur 5)
Loading...

Imprimer cet article Imprimer cet article

Envoyer par mail Envoyer par mail


Laisser un commentaire

  • Pour rester connecté

    Entrez votre adresse email

  • Étiquettes

  • Archives

  • Menus


  • Alexandre Jacob, l'honnête cambrioleur