Marius et Pierre Valentin


Pierre Valentin Berthier, 2004Lorsque L’Insomniaque publie en 1995 les Ecrits d’Alexandre Jacob, la maison d’édition inclut la courte correspondance que l’honnête cambrioleur a entretenue avec Pierre Valentin Berthier de 1952 à 1953. Les dix-sept lettres qui suivent sont alors précédées des Souvenirs presque éteints, texte dans lequel ce dernier raconte son amitié avec Jacob. On y apprend entre autres les démêlés du vieux marchand forain avec la résistance d’abord, puis avec une justice qui le soupçonne de marché noir aux alentours de la Libération. Berthier, par son témoignage souligne la probité, la droiture et la loyauté de son ami mort, dont il avoue s’être toujours refusé à accompagner le suicide même s’il en avait accepté l’idée. L’ancien libraire et correcteur qu’il fut, justifie d’abord le faible volume du courrier de Jacob qu’il peut ici transmettre. Car si Jacob lui a si peu écrit  c’est parce que son ami a longtemps habité à côté de chez lui. Dès lors, la correspondance ne commence qu’avec le départ du copain pour Paris en 1951 et, pour réduite qu’elle soit, elle ne permet pas moins de retrouver un homme alerte et vif, caustique et réfléchi, un esprit libre.

Jacob multiplie les projets et les correspondances ; avec Alain Bombard dont Alain Sergent a écrit l’autobiographie, avec le révérend père Riquet au sujet des Guaranis du Brésil. Le courrier de Jacob permet encore d’entrevoir la genèse de la Lettre ouverte à Georges Arnaud à l’occasion de la sortie du livre Prison 53, papier que publie Défense de l’Homme en 1954. « Un sujet  en or pour moi » écrit ironiquement le vieil homme. Mais le mensuel de Lecoin refuse sa lettre au procureur de Marseille. Là, nous sentons Jacob d’autant plus aigri vis à vis du mouvement anarchiste que le Libertaire aurait détourné à son seul profit la part des ventes d’Un anarchiste de la Belle Epoque qui lui revenait depuis 1950. Le journal anarchiste se justifie au nom d’une organisation que Jacob n’hésite pas à comparer à la Russie de Lénine ! Il se méfie alors de Vergine comme d’un certain Lacombe surveillé par la police.

Nous sommes très loin de l’image de l’ermite de Bois Saint Denis, de l’idée facile d’un homme reclus et fatigué dans un pays où il ne se passe rien si ce n’est un changement de municipalité et un cambriolage orchestré par les « chevaliers de la désoeuvrance ». La vie s’écoule lentement dans le Berry ; Négro, le cocker de Jacob, comme lui vieillit ; les amis (Denizeau, Briselance, Bouquereau, Sergent, Rousseau ou encore les Passas) viennent le voir, lui écrivent … mais l’honnête marchand forain à la retraite pense de plus en plus à la mort et commence à se renseigner sur l’usage de poisons qui lui permettraient de finir en bonne santé. « J’ai pris ma décision » écrit-il encore le 28 août 1954. C’était sa dernière lettre.

Pierre Valentin Berthier, 2004Des souvenirs presque éteints

MA CORRESPONDANCE avec Alexandre Marius Jacob se réduit à un petit nombre de lettres. Quand nous habitions à moins de 20 kilomètres l’un de l’autre, dans l’Indre, lui à Bois-Saint-Denis, commune de Reuilly, moi à Issoudun, nous nous voyions régulièrement et n’avions presque jamais besoin de nous écrire. Il venait à Issoudun faire les marchés, y montait son « barnum » de mercerie et de petite confection et passait nous voir, ma femme et moi, à peu près chaque fois, déjeunant avec nous à l’occasion.

Nous nous étions connus par l’entremise de camarades forains, Louis Briselance et Bernard

Bouquereau, quelques années avant la guerre, époque où, célibataire, je logeais encore chez mes parents. Ma mère lui avait acheté pour moi un manteau de pluie. Quand, la guerre venue, Suzanne et moi aménageâmes notre foyer au centre de la petite ville où j’avais déjà mon bureau depuis juin 1937, Jacob, le samedi, partagea souvent avec nous la potée de haricots, Blanche Bouquereau apportant des œufs et Marius le reste. Heureux moments, n’eût été la tragédie universelle. On les retrouva la paix revenue.

Aucune ombre n’a jamais terni notre amitié, pas même quand il s’obstina dans un caprice puéril : il me croyait capable d’obtenir, d’une entreprise de mécanique industrielle installée dans l’ancienne caserne Jardon, ex-couvent d’ursulines, un crayon à bille que cette firme ne fabriquait plus. Selon lui, elle devait bien en avoir en stock. Or la direction affirmait que non, et le secrétaire de l’union locale des syndicats, le communiste Sebot, qui y était employé et que je connaissais de longue date, m’avait assuré avoir échoué à en trouver un seul. Je n’ai pas convaincu Jacob, qui lâchait difficilement une idée, et qui en fut réduit à acheter un crayon à bille chez le papetier du coin ; mais nos relations n’en furent pas affectées : elles étaient tout de même assez solides pour résister à pareille vétille.

À partir de la Toussaint 1951, ayant perdu à Issoudun mon emploi de rédacteur ainsi que le bureau et l’appartement dont la jouissance était liée à mon salaire, j’émigrai à Paris définitivement, et j’eus dès lors avec notre ami Marius une correspondance à vrai dire très espacée. Profitant d’un voyage impromptu dans la capitale, il passa nous voir un jour à la librairie qui fut notre domicile jusqu’à l’automne de 1956, au numéro 177 de la rue du

Faubourg-Poissonnière.

Les lettres de Jacob me causaient un peu d’embarras. Il était soupçonneux sans raison ; c’est à tort qu’il prêta des arrière-pensées inamicales à des camarades sans reproche, pour des incidents futiles, par exemple un texte proposé et refusé. Du moins était-il franc et direct, et son caractère exempt de toute dissimulation. Vu la stature morale de l’homme, je ne me suis jamais permis de le juger à l’aune de quelques petitesses imputables peut-être à ce qu’il  avait accompli puis souffert.

C’est à dessein que j’ai employé le mot « morale » à propos de Jacob, car le révolté aux cent cinquante-six cambriolages était d’une moralité supérieure. Pas plus qu’à Pierre Loti, il n’eût fait tort d’un centime à qui devait ses moyens d’existence au travail. On le volait aisément à son étalage forain, surtout à l’époque de sa première liaison, où, mal entouré, il sembla naïvement aveugle à l’agilité des mains crochues. Mais lui se fût interdit le moindre larcin sur autrui s’il y avait seulement pensé.

Un exemple en a déjà été relaté d’après mon propre témoignage, car seuls ma femme et moi assistâmes à ce petit fait. Vers 1945, les journaux, faute de papier, adoptèrent un format très réduit. La Marseillaise du Berry, dont j’étais rédacteur, tirait des exemplaires couplés que le dépositaire devait dédoubler avant de les mettre en vente. Un jour, Jacob entre à la librairie Augel, agent local des messageries, prend un exemplaire du quotidien, le paye et vient le lire dans mon bureau, distant de moins de 100 mètres. Je l’entends qui rouspète : il s’est aperçu que le libraire – Poulard, gendre des Aubel – a oublié de séparer les deux exemplaires, dont le fin papier a dû couler entre ses doigts. Jacob n’a pas même à consulter sa conscience : il court reporter au libraire le journal en excédent.

Voilà l’homme chez qui, vers la fin de la guerre, des maquisards plus ou moins incontrôlés entrèrent en coup de main, à la recherche, semble-t-il, d’articles à perquisitionner

: « Vous nous prenez pour des bandits, nous n’en sommes pas », dit l’un d’eux à l’ancien forçat dont il ignorait les antécédents. Jacob, sorti fumer sa pipe sur le pas de sa porte pendant que les partisans opéraient, répondit : « Oh ! non. Des bandits, j’en ai connu, ils n’étaient pas faits comme ça. »

Voilà l’homme qu’un tribunal renvoya en prison parce qu’on avait trouvé chez lui quelques pièces de cotonnade dont, faute de l’avoir reçue, il ne put présenter la facture. J’assistai au procès comme journaliste. Jacob était défendu par Me Boudrant, avoué, brave homme savant en droit et même en… histoire religieuse (il pouvait réciter par coeur la liste des devises latines de tous les papes depuis saint Pierre !), mais tout à fait nul au prétoire. Décrivant son client comme délinquant primaire (la réhabilitation ayant rendu sa virginité judiciaire au prévenu), Me Boudrant, qui n’avait obtenu que le bulletin no 3 expurgé du casier, plaida de fort bonne foi mais arracha un sourire au substitut du procureur, lequel avait eu accès au bulletin no 2 exhaustif. Le cher avoué ne put éviter une peine d’incarcération, ce qui lui parut inexplicable. Quand Jacob sortit de la prison de Châteauroux, sa première visite fut pour nous. Il me confia que cet enfermement immérité lui avait paru plus pénible que tout son temps au bagne.

Malgré ses vingt-cinq ans de Guyane, Jacob était resté très méridional. « Tiens, eung pays ! » s’écria-t-il un jour en entrant dans mon bureau et se trouvant tout soudain devant

Fernandel, que je recevais pour l’interviewer. Tous deux Marseillais authentiques.

Le samedi où il se suicida, il posta une lettre nous annonçant que ce qu’il avait projeté de faire était fait. Pour nous, le lundi matin, ce fut un choc, une désolation, pas une surprise.

Aux yeux de Jacob, pas mal de gens étaient des « fadas ». Moi-même j’ai eu droit à cette désignation pittoresque. « Un peu fou », traduit Le Petit Robert. Parfois, sous-entendu : c’est un con. Jacob me catalogua fada quand il me commanda, au temps où j’étais libraire, des ouvrages sur les poisons et que je fis semblant à la fois de ne point deviner son dessein et de ne pouvoir dénicher les livres commandés. J’admire Jacob à de nombreux égards, jusque dans son suicide, mais je n’ai pas voulu y avoir la moindre part. Je n’en éprouve aucun regret, j’ai préféré passer pour un fada.

Un détail que Jacob n’a jamais su, c’est qu’à Issoudun il installait son « banc » forain juste à côté d’une pharmacie où finissait d’exercer un potard octogénaire de la vieille école, Octave

Martinet, celui-là même qui, le 31 octobre 1870, avait combattu aux côtés de Blanqui dans l’assaut contre l’hôtel de ville de Paris.

Pierre-Valentin Berthier (juillet 1995)

Jacob dans sa maison1er juin 1946

Chers amis,

Je présume que Pierre est de retour. Besnard[1], de Paris, m’a écrit l’avoir bien rencontré et l’avoir chargé d’une commission dont la solution est à présent réglée.

Mardi, je vous téléphonerai pour savoir si la peinture verte est arrivée, de même pour la blanche. Le marchand de couleurs que vous avez dit être en mesure de me satisfaire lors de ma première démarche à ce sujet m’a vendu tout juste les 4 kilos qui restaient avec promesse de m’en livrer la pareille sous quinzaine. Je ne puis commencer à peindre sans être certain que le coloris sera le même, et d’autre part sur les 4 kilos, il y a au moins 500 grammes de pellicules, de crasses et d’ordures et d’autres déchets.

Dans un autre ordre de commission, Paulette[2] a un besoin urgent d’une ampoule compte-gouttes de [illisible], voir l’ordonnance ci-jointe. Tous les autres médicaments et objets portés sur l’ordonnance ont été honorés par le pharmacien local. Seule cette ampoule à compte-gouttes nous manque. Vous nous obligeriez si vous pouviez la dénicher à Issoudun.

À mardi au bout du fil.

Bonne santé et amitiés,

Marius

Marius Jacob dans sa maison2 mai 1952

Chers amis,

J’avais appris par le marchand de fleurs que Claude était à Issoudun, par André que tu avais quitté le travail de nuit. Donc vous voilà encore en instance de déménagement.

D’après tes pronostics, vous iriez dans le centre en plein cœur du commerce. Je t’écris encore au seizième, j’attendrai ta nouvelle adresse pour te réécrire.

Santé passable, satisfaisante même. La ménagerie se porte bien, chacun de ses membres en fonction de son âge. Négro, le doyen, va sur ses 17 ans, sourd et faible mais le flair reste vivace.

Entendu pour le contrat, quand tu pourras avoir des précisions tu m’en informeras.

J’ai adressé un petit cadeau pour Suzanne ; pour toi, je ne puis t’offrir que deux chemises de nuit. Dans le cas où tu porterais des pyjamas, j’ai du tissu à cet usage, mais il faudrait les confectionner. Choisis et j’apporterai. Pour Claude, il ne me reste que des mi-bas blancs, j’ajouterai deux paires ; si la jambure est trop forte vous attendrez que ses pieds s’allongent. La santé plutôt déficiente d’André[3] ne me surprend pas, il aime trop l’alcool ; dans un sens, il est préférable qu’il ne parte pas aux tropiques, ce serait sa fin. Une cure d’abstinence dans un trou de campagne le remettrait d’aplomb, mais on ne s’arrache pas de Paris facilement.

Les Denizeau sont très aimables avec moi, ils viennent me voir de temps à autre. À la suite de ma maladie, ils sont venus me décrasser la cuisine qui en avait besoin.

Je reçois à peu près tous les périodiques sauf Le Libertaire, mais jusqu’en 52 j’ai réglé les abonnements, je verrai si je puis encore le faire en 53.

Bonne santé à tous trois et sincères amitiés,

Marius

Marius Jacob dans sa maison10 juin 1952

Chers amis,

Bien reçu le Sitting Bull (une tranche)[4]. Je l’ai lu. Commercialement l’ouvrage est bien présenté, la gravure a du tape-à-l’oeil. Littérairement le jeu des personnages est fort bien conduit. Il suffit d’une tranche de melon pour pouvoir apprécier la valeur gustative du fruit entier. Mais ce mode d’appréciation ne convient pas pour apprécier le côté historique, même romancé, et philosophique d’un ouvrage. Il faut le lire en entier, c’est aussi, je pense, ton avis.

Du même coup j’ai eu votre adresse, je lis 9e arrondissement. Si mon souvenir est exact, le 177 est sur le trottoir de gauche en partant des boulevards. Alors c’est le 10e. C’est possible que dépassée la rue La Fayette, ce soit le 9e. Au fait, sans importance[5].

Est-ce que ton beau-frère est allé chercher sa bagnole et du même coup lui as-tu fait la commission pour le papier reçu ? J’ai encore eu une rude alerte ces jours-ci et cela me tracasse. J’espère que votre nouvelle résidence sera (est) plus confortable que la précédente, le coin me semble plus vivant, animé que dans le 16e. Est-ce une illusion d’optique morale ?

Je ne sais ce que devient Mahé, il devrait faire une cure de repos dans la cambrousse pour se remettre d’aplomb.

Le Dr Rousseau a réussi à pouvoir améliorer sa santé en déchlorurant ses artères. C’est ce que je n’ai jamais pu réussir moi-même, j’ai avalé plusieurs pilules de dynamite, en vain. Je lui ai demandé le tuyau. Sans nouvelles des Denizeau, de Briselance et de Bernard : pris dans l’étau des affaires, ils n’ont pas le temps de se déplacer.

Si d’aventure tu connaissais un copain à Chaville, avise-m’en. Ce serait pour lui demander d’aller au 3 bis, avenue de la Résistance afin d’avoir des nouvelles de ma belle-sœur, Mlle Lucie Charron, dont les lettres que je lui ai adressées sont restées sans réponse. Je la suppose en taule ou décédée. J’ai écrit à la mairie et pas de réponse, bizarre. Louvet pourrait connaître dans son fichier une adresse dans ce coin-là. Santé pas bonne mais inclinant vers le mieux.

Amitiés à tous trois,

Marius

Marius Jacob dans sa maison10 octobre 1952

Chers amis,

Je ne savais pas que tu avais chargé ton beau-frère de la commission. Il y a huit ou dix mois tu m’avais bien écrit que tu envisageais cette solution, j’ignorais que c’était une démarche accomplie. Alors c’est très bien et évidemment, de ton bord, tu ne peux, ne pouvais faire mieux. D’apparence, ton beau-frère me paraissait plus apparenté à l’écureuil qu’à la limace, me serais-je trompé ? Dans une cité de douze mille bipèdes, surtout quand on connaît l’heure de sortie des bureaux, il me semble que ce n’est pas la mer à boire que de le contacter, encore faut-il que le poursuivant soit libre à cette même heure.

Le Libertaire m’a écrit, il a dû lire Le Prince ce « frère ». Il m’a répondu en bolchevik, en homme d’État. Il me dit avoir à mon crédit la somme de 8 700 francs (c’est 9 000), mais le budget du journal étant trop serré, il ne peut me les remettre. Et il conclut : « Notre journal, notre organisation doivent passer avant toute autre considération.» Quant à la genèse de l’affaire, à son essence, pas un mot, sur la recommandation de Mahé, l’éditeur leur a fait du 50 % et livré à domicile. Ayant employé l’argent de la vente à d’autres fins, Le Libertaire n’a pas payé l’éditeur. Du reste Mahé, qui a suivi ces tractations de près, se renseignera mieux que je ne pourrais le faire moi-même.

Dans chaque bouquin vendu, il y avait un papillon incitant à la vente à mon profit et c’est là que réside l’escroquerie. S’il n’y avait pas eu détournement de fonds, dol au contrat, ce litige n’existerait pas. Laisse courir ça, ce sont de petits escroquailleurs sans allure qui cachent l’inélégance de leur geste derrière la raison d’État. L’organisation d’abord.

Pas de nouvelles de Mahé, l’emprise parisienne semble l’avoir piqué du complexe de grandeur. Il y a plus de deux mois que je lui ai adressé un colis et j’attends encore l’accusé de réception.

Quant à toi, à vous, je vois que vous allez y laisser votre santé. Il y a presque deux ans je te disais : « Il y a longtemps que tu aurais dû quitter la province », jugement à courte vue. Ne regrettes-tu pas la rue Porte-Neuve ? Je crois bien que si. Et tu as raison, Paris n’est qu’une galère où la chiourme a nom nécessité. Si tu en avais les aptitudes et vingt ans de moins, je t’aurais conseillé d’aller en Inde après avoir appris l’anglais. Là est l’avenir de l’affranchi, des pierres précieuses au kilo, des tuiles en or, etc. Et cela gardé seulement ou presque par l’esprit religieux. Si je n’avais pas eu ma mère, c’est ce que j’aurais fait en 29, à présent n’en parlons plus. Bon à rêver qu’à rêver.

J’étais du comité de défense plus spécialement pour les affaires de Guyane. Le bagne étant liquidé, je ne vois pas ce que je pourrais y faire d’utile.

Briselance n’est pas pressé, il me l’a dit lorsqu’il est venu me voir il y a deux mois.

Ne te tracasse pas. Santé passable, le grand-père Négro va sur ses 18 ans, il se meurt lentement.

Amitiés, bonne santé à tous trois,

Marius

Marius Jacob dans sa maison20 octobre 1952

Chers amis,

Ne t’en fais pas pour le percepteur de mon cœur. Il y a douze ans que je lui écris de la sorte. Suppose un molosse à qui on donne un os. Il le dépiaute, le ronge, le mange. Mais si l’os est un morceau d’acier, il se casse les dents. Or mon cas est tellement d’acier qu’il ne peut que se taire, c’est ce qu’il a fait. Si en 53 il récidive, je ne réponds plus, j’en ai marre de dépenser des 15, 30 et 45 francs de timbres. Cependant ta remarque, ton raisonnement sont bien. Toutefois, il y a parfois des hommes d’esprit parmi les percepteurs. Preuve celui qui, il y a une quinzaine, partit sans laisser d’adresse en emportant 5 millions.

Veux-tu mon opinion sur le cas du Libertaire ? Eh bien ! laisse tomber. Mets à profit l’incident pour ne plus donner de papier ni au Libertaire ni à Lecoin. Lecoin est un très bon copain, mais bagarreur exclusivement pour sa conception à lui, pour le reste, c’est un bénisseur. L’union, mais quelle union ? En 1920, Lénine fit l’union en mitraillant ceux de Cronstadt, pourquoi pas l’union avec Marty et Frachon ? Louvet acceptera à regret ou refusera pour d’autres motifs.

À propos de Contre-Courant j’ai lu ce nom, Lacombe R. (Raymond). C’est celui du truand qui m’a pillé et que tu as vu chez moi. C’est un indicateur de police non rétribué en espèces parce que tricard. J’ai appris cela après coup par son oncle qui habite Reuilly. J’ai idée qu’il a dû se faufiler dans les milieux libertaires en se référant de moi par une photo que j’ai eu l’imprudence de lui dédicacer. Si tu vois Louvet, renseigne-toi sur cela. Je ne serais pas surpris qu’il soit aussi allé au Libertaire. Il ne vit que comme maquereau et de menus chantages, ce n’est pas un homme mais un glaviau. J’en ai rencontré de tous les gabarits mais je ne pouvais croire qu’il existât un type d’humanité aussi vil. Que faire d’un type pareil dans une société bien organisée ? L’opinion de Carel me paraît la bonne, le tuer. On le fait bien à un cobra ou à une punaise qui, du point de vue de la nature, sont nos égaux en droit.

Ne te tracasse pas pour me répondre : quand tu auras le temps. Ménage tes forces. La petite nature de Suzanne doit se fatiguer aussi, c’est du boulot que la tenue d’un bouclard[6] à Paris. Et Claude ? Ce changement de milieu scolaire a dû le bousculer.

Si tu rencontres André, je dis rencontrer et non aller le voir, demande-lui s’il a reçu un colis, c’est tout. Tu me donneras le nom et l’adresse de celui à qui tu as fait repasser mon rasoir, je le donnerai à Aussimon qui me le rapportera le vendredi suivant. Mais là aussi rien ne presse, il coupe encore assez bien.

Amitiés à tous trois,

Marius

P.-S. J’attends toujours des nouvelles des Denizeau, ce sont des rigolos. Pas sérieux. Du vent. Je les attends depuis fin août, je les attends surtout pour me faire des piqûres. Le  médecin est trop cher, j’ai donc décidé de me les faire moi-même, sous-cutanées au lieu d’intramusculaires, ce sera pareil.

Marius Jacob dans sa maison5 décembre 1952

Chers amis,

Et la tienne de pointure, est-ce que tu marcherais sur les mains ? Par même courrier, un colis contenant deux socquettes pour Suzanne et deux mi-bas pour Claude, du 20 pouces. Si ça ne gaze pas, il n’y a qu’à faire des trous et les transformer en mitaines.

Pour le Lacombe, Louvet te parlera peut-être du Canada, c’est l’enfance de l’art que de recevoir des lettres de Chine ou d’Australie sans quitter Paris, manière de prouver qu’on n’est pas à Paris. Il est possible aussi qu’il s’agisse d’un homonyme, ça m’étonnerait. Brûlé dans le « milieu » parisien, il lui faut romancer ses dénonciations, et j’ai l’impression qu’il m’a mis du jeu. Toutefois comme les policiers ne sont pas tous des idiots, il aura du mal à faire prendre corps à ses intrigues. Il est allé relancer ma belle-soeur à Chaville, c’est pourquoi je n’ai plus de ses nouvelles.

Tant mieux que le colis d’André ait été reçu, je le supposais perdu depuis août.

Très heureux de ta nouvelle situation ; encore que j’ignore le genre de travail que tu as quitté, je crois que le nouveau te convient mieux comme aptitude.

Pas de nouvelles de Châteauroux, mon vieux copain Jamot est allé plusieurs fois chez toi mais sans pouvoir te rencontrer à cause de ton travail. Il m’écrit régulièrement, ainsi que le docteur Rousseau. Les Passas sont au Maroc où ils se trouvent bien, à part la fraîcheur des nuits le climat est bon.

Si parmi tes relations tu connaissais un ami des bêtes qui voudrait un chien de garde et de chasse, j’en élève un magnifique. Pas pour vendre, pour donner. Il a 18 jours et pèse 2 kilos et 50 grammes, il parle déjà chien avec sa mère, il a le faciès de Clemenceau.

Amitiés à tous trois,

Marius

Marius Jacob dans sa maison23 décembre 1952

Chers amis,

Je n’ai plus en taille 42 la même qualité que celle de Claude. Je t’envoie donc ce que j’ai, des mi-laine, ce n’est pas élégant, mais c’est rustique. Depuis trois semaines je suis malade, la plupart du temps alité. Appart a diagnostiqué érysipèle, mais c’est une erreur.

C’est une molaire de la mâchoire supérieure qui m’empoisonne. Demain j’irai chez le dentiste. Je me suis drogué avec des sulfamides qui m’ont détraqué. L’ouragan du 13 a fait une profonde brèche dans la toiture. Le couvreur est venu aujourd’hui, j’en ai avisé

Briselance et Denizeau. J’attends la visite de ces derniers sous peu. Inutile de m’envoyer de quoi lire, j’en ai en quantité que je ne puis lire.

Amitiés à tous trois,

Marius

Marius Jacob dans sa maison9 janvier 1953

Chers amis,

Ça – je veux dire le colis que j’ai reçu -, c’est une folie de Suzanne. C’est toute une épicerie. Du coup je vais croire au père Noël. J’espère que votre santé est bonne. Pour ma part, l’érysipèle est revenu, aussitôt j’ai repris des sulfamides et il me paraît opérer une marche rétrograde. Quel poison que ce microbe. Je vous envoie un colis de noix de noyer, je sais que Claude ne les aime pas. Dans le tas il peut y en avoir des véreuses, méfiez-vous, ne les cassez pas avec les dents mais au casse-noix. Pierre ne m’a toujours pas répondu au sujet de ce Raymond Lacombe ; d’autre part, il ne m’a pas donné non plus le nom et l’adresse de l’aiguiseur de rasoirs à Issoudun. Quand il aura un moment de répit, qu’il y songe.

Amitiés à tous trois,

Marius

Marius Jacob dans sa maison25 avril 1953

Mes chers amis,

Ci-joint le reçu des meubles et celui du poste. Pour ce dernier j’ai écrit ne pas avoir reçu ce qui est indiqué sur le catalogue. Je transcris : « Ils sont complets avec une antenne d’intérieur, une prise de courant, 2 mètres de fil pour les raccorder au secteur ; ils sont en outre accompagnés d’une notice détaillée. » Or pas de notice, pas de prise de courant, pas de 2 mètres de fil, pas d’antenne intérieure. De surcroît ils m’ont compté, voir facture, 16 francs de trois joints d’ammoniac et je n’ai rien reçu. Pas même de réponse à une lettre. Sur les 459 francs d’avoir, j’ai reçu 429 francs. Vois à combien se montaient les frais d’envoi de ces 429 francs pour savoir si les 16 francs des trois joints y sont inclus, sinon, en leur écrivant (comme la facture est à ton nom, j’espère qu’ils condescendront à te répondre), réclame aussi ces 16 francs. C’est rien, bien sûr, mais c’est la manière qui relève plutôt de l’escroquerie que du commerce. À noter qu’à l’arrivée de la gare le colis était intact, le chef de gare en témoigne. En plus de la caisse de retraite, le prescripteur me réclame les frais de patente pour 1951, année entière ; je te dis que c’est un salaud, qu’il l’a fait exprès. En tout, j’en suis pour 8 000 francs. Je te joins sa lettre datée du 2 janvier qui prouve bien que je lui ai adressé la demande en 1950 et par deux lettres : à la première, pas de réponse en date du 10 décembre 1950 ; fais-moi retour de sa lettre. Je ne puis presque plus marcher, la jambe gauche est morte, rhumatisme.

Amitiés à tous,

Marius

Marius Jacob dans sa maison6 mai 1953

Chers amis,

Est-ce que tu as vu André après son séjour ici ? Il a dû te raconter la visite des Canadiens.

Des fadas. Au premier contact, je me disais in petto comment faire pour qu’ils ne prennent pas le chien, puis au moment du départ c’est eux-mêmes qui m’annoncent ne pas le vouloir. Tu penses si j’ai sauté sur l’occasion. Illico devant eux j’ai écrit à Briselance qu’il le vienne chercher. Il est chez eux, le chien, depuis une quinzaine ; ils sont enchantés et moi de même.

Le Canadien avait emprunté un livre qu’il m’a renvoyé farci d’un billet très discourtois.

Il me dit que j’ai alerté Armand[7] pour ce livre, ce qui n’est pas vrai. À la réflexion, j’ai présumé que c’était peut-être toi qui avais écrit à Armand après ton entrevue avec André. Il me reproche aussi que le chien n’était pas de race. C’est tout juste s’il ne me traite pas d’escroc, quel monde !

Le commerce du livre est très ingrat, pratiqué, comme c’est ton cas, sur une mince échelle. Très souvent pour satisfaire aux besoins de la demande, la queue mange la tête.

Il faudrait de gros capitaux, et encore. Enfin, si tu n’as pas de déficit, c’est déjà beau.

J’ai reçu du Dr Bombard le Naufragé volontaire, sans doute sur la référence d’André qui est un ami de l’éditeur. C’est surhumain ce qu’a accompli cet homme. Il faut savoir ce qu’est la solitude en plein océan pour en apprécier la valeur, c’est un bel exploit d’intentions et de résultats louables. J’ai lu ton papier sur le livre de Ragon[8] que j’ai lu, c’est André qui me l’a prêté. Magnifique et très fouillé. Lu aussi celui de Ragon sur le livre de Castro[9]. L’auteur prend nettement position contre le malthusianisme, cependant il convient de faire une différence, qui est de taille, entre la doctrine de Robin[10] et celle de W. Vogt. Le premier est d’essence libertaire, surtout eugéniste, tandis que le second est spécifiquement impérialiste. Nuance, d’ailleurs les deux thèses se rejoignent presque selon Castro, les remèdes préconisés contre la faim doivent aboutir à la baisse démographique. J’ai idée qu’avant que les hommes se répartissent équitablement les richesses, il passera de l’eau sous les ponts. Ils songent plutôt à se répartir des abus.

Avec la disparition de Ce soir la parution de Sitting Bull en feuilleton n’a été qu’un projet avorté. Souhaitons que tu seras plus heureux avec ton nouvel éditeur. C’est fou ce qui s’imprime de livres à présent, il en sort tous les jours.

Je vois que tu n’as pas la nostalgie d’Issoudun, moi je l’aime bien cette petite ville de province. Sur le voyage, c’était une oasis pleine de charme, de douceur, de repos.

Nous ne l’apprécions pas de la même optique, de là nos divergences d’opinion.

Claude a revu aussi sa grand-mère et sans doute aussi ses petits copains, n’espérez-vous pas que, franchi le cap de la puberté, ses malaises disparaissent ? Du moment qu’aucune médication ne lui réussit, c’est un espoir qui peut être fondé. Il doit prendre de la taille, ça fait presque trois ans que je ne l’ai vu.

La santé est en ce moment satisfaisante, celle de mes amis chien et chats l’est moins.

Négro va sur ses 18 ans et les infirmités de cet âge le tracassent. Une chatte a la diarrhée.

En sorte que je suis tous les jours plongé dans les soins vétérinaires.

Les Briselance et les Denizeau viennent me visiter de temps à autre, lorsque leur travail leur laisse un court instant de loisir. Tous sont gentils au possible.

Aux élections la liste des bien-nantis et culs-bénits l’a emporté hautement sur la liste coco qui ne comptait qu’artisans et ouvriers. Mais le maire change de sexe, ce coup-ci c’est, je crois, un mâle. Le père Appart n’en fait pas partie, supposant un deuxième tour il s’était réservé pour, le cas échéant, former une troisième liste. Trop de malice nuit.

Telles sont les nouvelles du bled, pas brillantes ni surnaturelles, comme tu le vois.

J’oubliais, les Chevaliers de la désoeuvrance ont cambriolé la gendarmerie, les deux médecins, le pharmacien, un bonnetier, un boucher ; mince résultat. Quel branle-bas dans le bourg, le notaire en est, paraît-il, malade, et il n’a pas été visité.

Que votre bonne santé se poursuive, amitiés à tous trois,

Marius

Marius Jacob dans sa maison27 juillet 1953

Chers amis,

Je ne sais si vous êtes partis en vacances dans le Midi comme vous vous le proposiez, de toute façon, vous recevrez ma lettre à votre retour. Dans ton papier sur le Naufragé volontaire il y avait à dire des choses que sans doute tu ignores. L’expérience est concluante, c’est entendu, mais pour qu’il y ait survie, encore faut-il que le, ou les naufragés se trouvent sur une embarcation ou sur un radeau. Or, il y a soixante ans, les règlements maritimes concernant le cahier des charges des compagnies de navigation ne prescrivaient comme matériel de sauvetage que 50 % de places. Je crois que présentement ce chiffre est porté à deux tiers. Quand tu sauras que, lors d’un sinistre, la pratique ne permet de pouvoir mettre à la mer que la moitié des engins : gîte, lames brisantes, il s’ensuit que sur cent naufragés vingt au maximum peuvent tenter de se sauver.  Les compagnies de navigation sont des puissances que l’on aura du mal à mater.

Ayant écouté une causerie du révérend père Riquet sur l’état théocratique du Paraguay

(1600-1757), j’en ai été déçu du fait qu’il avait passé sous silence ce fait capital : l’exclusion de la peine de mort et le choix pour le délinquant de choisir lui-même son lieu d’exil. Quelle est la législation qui peut s’enorgueillir d’une telle prescription ? Aucune. Lui en ayant fait le reproche, il m’a répondu très gentiment que la radio n’avait reproduit que des parties de sa causerie, que je trouverais le texte intégral dans Les Annales, et que pour plus de précisions je pouvais me référer au livre de Lugon La République communiste des Guaranis, Éditions ouvrières, 12, avenue Soeur-Rosalie, Paris 13e. Comme cela m’intéresse, procure-le-toi chez l’éditeur et adresse-le-moi. Je t’enverrai les fonds à ton chèque postal.

Bonne santé à vous trois et amitiés,

Marius

P.-S. André doit avoir bouclé sa randonnée. En cours de route il m’a adressé deux cartes.

Marius Jacob dans sa maison16 septembre 1953

Chers amis,

J’avais su par Aussimon[11] que tu avais passé à Issoudun. La grève m’avait alors justifié le motif de ton absence à Reuilly[12]. Bernard en était déçu. Ceux qui ne se trouvent pas dans ces moments-là ne se les expliquent pas, ils ont tort. Reçu ta carte de Florence, avez-vous visité le Campo Santo ? Impressionnant, quelle richesse de marbre ! Et les églises ! L’Arno : un fleuve ? Haut surtout à la saison où vous y étiez. Reçu aussi le bouquin mais pas le prix que je te prie de m’indiquer, j’y tiens. Je travaillais dessus lorsqu’on m’a prêté Prisons 53 : je l’ai plaqué momentanément pour m’attabler à celui-ci. C’est un sujet en or pour moi, je ne sais combien j’en tirerai de pages, peut-être un très long article peut-être une plaquette-brochure. En ce dernier cas, ça pourrait peut-être me rapporter quelques ronds. Ma caisse se vide. En tout cas, je te l’adresserai pour avoir ton appréciation, le style en est truculent.

Comme chaque année, les Passas sont venus passer quelques jours, repartis depuis le 11. Pas de nouvelles d’André. Santé satisfaisante.

Amitiés à tous trois,

Marius

P.-S. Je suis allé à Déols chez Louis pour y revoir le chien Bosco. De prime regard, la jalousie l’a emporté, il voulait dévorer ce vieux Négro qui a 18 ans ce mois-ci, puis à la réflexion, il l’a reconnu, alors ce fut du délire. Il est beau, vif, sain. Je l’ai tellement soigné.

Marius Jacob dans sa maison12 octobre 1953

Chers amis,

Je m’étais promis de te fournir un canevas que tu aurais arrangé, développé à ton goût sur le comportement des jésuites au Paraguay en l’opposant à l’expérience russe, Ignace de Loyola à Lénine, mais à pied d’oeuvre je me suis aperçu que je manquais de documentation, entre autres ouvrages : Les Provinciales, La Théologie morale d’Escobar, que tu as qualifiée de « repoussante »[13], à tort selon moi, quelques ouvrages de Nicole ou Arnauld[14], Port-Royal ; De la grâce, de saint Augustin. Pour le communisme russe j’ai ce qu’il faut. Je présumais pouvoir me procurer cela à la bibliothèque d’Issoudun par le canal de Bernard, mais ce n’est pas possible, donc je laisse tout tomber. C’était à cette fin que je t’ai demandé le livre de Lugon. C’est le révérend père Riquet qui me l’a indiqué ; on y trouve cette pierre précieuse inscrite dans leur législation pénale : suppression de la peine de mort.

Je me suis débarrassé du peu de marchandise qui me restait en la distribuant aux voisins.

Je t’envoie un colis de chaussettes pour l’hiver, c’est tout ce qu’il me reste, trop  grandes, trop petites, démerde-toi. Le grand-père Négro va sur ses 19 ans, pas très alerte mais il vit, chat et chatte se portent bien, moi de même.

André, à qui j’avais adressé le manuscrit de la lettre ouverte à Georges Arnaud pour son Prisons 53, me l’a retourné. Le genre picaresque, truand, ne lui convient pas, il préférerait du Vaugelas. Comme j’ai écrit cela pour me distraire, que je ne fais rien (quand je peux l’éviter) sur commande,  je le mets au rancart et n’en parlons plus.

Pas de nouvelles de Briselance ni de Denizeau. J’ai eu la visite des Passas, ce copain qui, en retournant à Romans, était venu en bécane, avait déjeuné chez toi en 51. Ils sont repartis pour le Maroc où ils sont instituteurs. Le temps a tendance à passer au froid, je n’aime pas ça.

Bonne santé, amitiés à tous trois,

Marius

Marius Jacob dans sa maison29 octobre 1953

Chers amis,

Je t’adresse ce jour un chèque portable de 1 000 francs pour l’achat et l’envoi des traités des toxiques de Dujardin Beaumetz, le titre de l’ouvrage, je n’en suis pas sûr. C’est un ouvrage classique qui est dans toutes les pharmacies, format 15 sur 10 environ.  Comme libraire, tu trouveras facilement l’éditeur.

Santé bonne, amitiés à tous trois,

Marius

Marius Jacob dans sa maison9 novembre 1953

Chers amis,

Oui ce doit être cela, formulaire thérapeutique ou pharmacologique. Je t’envoie 300 francs pour compléter la somme de l’envoi. Suis très surpris que tu ne m’aies pas accusé réception d’un colis de six paires de chaussettes que je t’ai envoyé le 15 octobre 53 en recommandé. Sinon je réclamerai à la poste, le numéro du récépissé 309.

Amitiés à tous trois,

Marius

Marius Jacob dans sa maison27 juillet 1954

Chers amis,

Contrairement à ce que tu croyais, Lecoin ne veut pas publier la lettre au procureur de Marseille. Il n’oppose pas un refus de front mais un biais, en me faisant dire par Vergine[15], c’est lui qui me l’a écrit, qu’il ne peut pas publier un article qui a paru dans un quotidien de Paris. Or il tombe sous le sens que je ne lui demandais pas la publication de l’article de Danan que je ne lui avais adressé que comme contexte pour la présentation de la lettre, mais bien la lettre elle-même. Pour ne pas ergoter, j’ai prié Vergine de dire à Lecoin (il doit aller à Vence sous peu) qu’il veuille bien t’adresser le tout afin que tu en tires toi-même un papier que tu adresseras à Armand. Si ça ne te convient pas, adresse-moi seulement la lettre pour que je l’envoie à mon vieux pote Rousseau qui me la demande. Dans le cas d’un [refus] de ce dernier, il la lira dans L’Unique.

Pense à la commission que je t’ai demandée sinon j’en serai réduit à recourir au butane, ce qui n’est pas sans inconvénient, car si je ne puis refermer la bouteille, le premier qui rentrera avec une cigarette à la bouche fera sauter la niche.

J’espère que vous êtes arrivés à bon port sans accident ni incident.

Bonne santé à tous et amitiés,

Marius

Marius Jacob dans sa maison28 août 1954

Chers amis,

Si tu n’as pas encore répondu à ma lettre du 20 écoulé, c’est que, je suppose, tu as écrit à Lecoin et en attends la réponse. Je n’ai pas le temps d’attendre. J’ai pris ma décision.

Quand tu recevras la présente ce sera fait. Je suis en bonne santé et en profite. Quand les maladies vous étreignent, il est trop tard, la vigueur physique fait défaut.

Aussi, il est bien entendu que je ne veux rien savoir de ce Vergine qui est peut-être le meilleur camarade du monde, mais que j’estime comme un hypocrite menteur et un jésuite. C’est donc toi que je désigne pour arranger la parution dans L’Unique de ma lettre au procureur de Marseille, maintenant que Défense de l’homme l’a refusée. Si, à ton tour, tu estimes ne le pouvoir faire, adresse la lettre au Dr Rousseau à Rouen, 110, rue d’Ernemont. C’est Robert Passas de Romans qui a le manuscrit. C’est lui qui me l’a tapé à la machine alors qu’il était au Maroc, mon écriture étant trop sujette à coquilles, j’ai jugé meilleur de le présenter tapé plutôt que manuscrit.

Il est probable que ta présence à Reuilly sera indispensable pour le mobilier. Arrangez- vous tous les trois, je veux dire Louis, Guy et toi-même. N’oublie pas de te nantir du reçu, car le notaire et le fisc l’exigeront.

Bonne santé à tous trois et amitiés,

Marius

P.-S. Rappelle-toi que les clefs des meubles se trouvent dans la boîte d’allumettes métallique fixée au mur dans la cuisine en dessous de la glace.


[1] Il s’agit de Pierre Besnard, anarcho-syndicaliste, auteur du livre Le Monde nouveau, fondateur de la Confédération générale du travail socialiste-révolutionnaire. Lors d’un voyage à Paris, Fernand Planche lui avait présenté P.-V. Berthier au cours d’une rencontre amicale.

[2] Paulette Charron, citée ici, est la compagne de Jacob, épousée en 1939.

[3] André Mahé est Alain Sergent, premier biographe de Jacob qui vint chez l’anarchiste pour écrire son livre en 1950.

[4] Cette année-là parut aux éditions Chambriand le premier tiers du roman de P.-V. Berthier Sitting Bull, en un volume qui ne fut pas suivi des deux autres prévus parce que le contrat fut repris par les éditions Martel, qui publièrent Sitting Bull en un seul tome en 1953.

[5] N’en déplaise à Jacob, le 177 de la rue du Faubourg-Poissonnière, côté gauche en montant, est bien situé dans le 9e et non dans le 10e.

[6] Librairie. Argot forain vraisemblablement dérivé de l’anglais book, « livre ».

[7] Il s’agit d’Ernest Juin, dit E. Armand, (1872-1962), auteur d’Initiation à l’individualisme anarchiste, qui publia

L’En-dehors entre les deux guerres, puis L’Unique (les six dernières années, cette revue parut encartée dans Défense de l’homme à partir de septembre 1956).

[8] Ami de P.-V. Berthier, Michel Ragon, publiciste libertaire, est l’auteur de nombreux romans ; il a écrit, entre autres, La Mémoire des vaincus et Les Mouchoirs rouges de Cholet.

[9] Il s’agit de Josué de Castro, écrivain portugais, 1908-1973, auteur de Géopolitique de la faim et du Livre noir de la faim.

[10] Paul Robin, éducateur, fonda une école aux principes anti-autoritaires.

[11] Aussimon était en réalité le fleuriste Aubisson, voisin des Berthier du temps où ils habitaient Issoudun, qu’ils quittèrent à la fin de 1951 et où Jacob faisait les marchés.

[12] Les Berthier étaient allés en Italie, mais au retour, les chemins de fer étaient en grève (septembre 1953). Ils gagnèrent Issoudun, où vivait la mère de P.-V. Berthier, en empruntant une succession d’autocars. D’Issoudun, ils rentrèrent à Paris par un train qui, exceptionnellement, circulait, mais ne purent mettre à profit leur passage en Berry pour aller à Reuilly voir Jacob.

[13] P.-V. Berthier ne se souvient pas d’avoir qualifié ainsi Escobar y Mendoza (Antonio), casuiste espagnol, 1589-1669, dont il n’avait point lu l’œuvre la plus célèbre, Liber theologiae moralis (Lyon, 1642), ni aucune autre, mais il a pu se référer à l’opinion de Pascal qui attaque vigoureusement les thèses de ce jésuite dans Les Provinciales.

[14] Pierre Nicole, 1625-1695, et Antoine Arnauld, 1612-1694, théologiens jansénistes. Jacob avait écrit « Arnaud » et «Nicolle », peut-être influencé pour ce dernier nom par celui du bactériologiste homonyme Charles Nicolle, et, pour le premier, par le patronyme de l’écrivain contemporain Georges Arnaud, qu’il cite dans la même lettre.

[15] Samuel Vergine était l’un des pseudonymes de Louis Dorlet (1905-1989), qui publia Défense de l’homme (fondé par Louis Lecoin en 1948) de 1953 à 1976, date du dernier numéro de cette revue, le no 314.

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