Un dernier vol ?


Le 31 décembre 1927, les portes de la prison de Fresnes s’ouvrent pour Alexandre Jacob. Il a retrouvé la liberté. Il a expié ses atteintes à la propriété privé. C’est un survivant du système  bagne, de cette élimination à la française qu’il n’aura de cesse de dénoncer par la suite. Est-il pour autant un repenti ? Un régénéré ? C’est désormais un homme libre de cinquante-six ans que décrit Alexis Danan en 1935 dans l’article « Jean Valjean » pour le magazine Voilà. La faiblesse des sources autorise alors quiconque déborde d’une imagination galopante à dresser le portrait d’un homme brisé, fatigué, ne cherchant que la tranquillité et la sérénité. De la sorte, Jacob devenu Escande et Escande mué en forçat aurait revêtu les habits de Monsieur Madeleine ! Et pourtant, il aurait commis un dernier larcin avant de se faire totalement honnête.

Si Alain Sergent se montre très peu prolixe sur le sujet, se limitant à l’évocation pas si innocente que cela de l’épisode des maquisards perquisitionnant l’antre de l’ermite de Bois Saint Denis à la fin de la Seconde guerre mondiale, William Caruchet et Bernard Thomas cherchent à forcer le trait dans leur roman biographique. L’homme devient un reclus volontaire, une espèce d’anachorète se terrant au fin fond du Berry. Seul, le journaliste au Canard Enchaîné mentionne toutefois cette dernière reprise comme si l’homme devenu honnête voulait tourner presque définitivement la page :

Avant de se lancer dans le commerce, toutefois, il éprouve le besoin d’accomplir un geste symbolique. A Fresnes, il a lu dans la Veillée des chaumières la description d’une vieille maison, vers la Loire, dont le heurtoir de la porte d’entrée serait en or. Ce détail l’agace. C’est de la provocation. Toutes affaires cessantes, il se rend dans la ville en question, vérifie la qualité du métal avec une pierre de touche et remplace l’objet par un autre, de même apparence, qu’il s’est fait fabriquer sur mesure. Cette petite rapine le rassure sur lui-même : il n’est pas un vieillard. L’œil, la main, le sang-froid sont toujours aussi vifs. Il a encorre assez de force en lui pour éventuellement braver l’autorité. C’est tout ce qu’il voulait savoir. Il ne volera plus jamais. La route, les foires, la campagne : une vie d’homme libre commence pour lui.[1]

Aussi étrange et imprécis, aussi abracadabrantesque – pour reprendre le néologisme chiraquien – que puisse paraître  ce dernier vol, il nous avait été confirmé par Pierre Valentin Berthier en 2001[2]. Mais, l’ami de l’honnête cambrioleur se rétracte peu de temps avant son décès survenu le 06 mai 2012 et dément catégoriquement avoir approuvé l’anecdote mentionnée dans le livre de Bernard Thomas[3].

A vrai dire, le fait nous est paru d’autant plus troublant qu’une autre source est venue interférer dans le jeu du vrai-faux dernier cambriolage. Pas de trace écrite mais la confirmation du larcin par la famille même d’Alain Sergent à qui Alexandre Jacob aurait demandé de ne pas mentionner le fait dans le livre qu’il écrivait en 1950 sur l’anarchiste de la Belle Epoque.
Cela peut se comprendre dans la  mesure, ou s’il est avéré, le fric-frac tombe, même cette année-là, sous le coup de la loi. Jacob n’indique-t-il d’ailleurs pas à Jean Maitron en 1948 qu’il préfère rester le plus discret possible lorsque celui-ci lui demande de livrer ses souvenirs d’illégaliste pour les besoins de sa thèse sur le mouvement libertaire français[4] ? L’honnête cambrioleur ne voulait pas donner le nom de certains de ses complices non compromis.

Mais l’anecdote du vol se retrouve dans l’ouvrage de Bernard Thomas. Outre l’inventivité de l’écrivain, ce dernier a utilisé un certain nombre de sources pour mieux broder sur les faits ensuite. Il est allé  aux archives nationales, à celle de la préfecture de police de Paris ainsi qu’à la bibliothèque nationale. Il a encore utilisé un certain nombre de témoignages dont celui d’André Mahé qui le félicite, lorsque son livre est publié par Tchou en 1970, d’avoir hissé l’histoire de l’anarchiste « à la hauteur d’une épopée »[5]. André Mahé est le vrai nom d’Alain Sergent.

Nous n’en savons guère plus sur ce bien mystérieux forfait commis par Jacob. Aucune précision sur le lieu. Aucune date. Seulement un faisceau de présomptions. Mais, aussi minuscule et ténu soit-il, il nous parait encore aujourd’hui crédible. Le 26 mars 1954, alors qu’il écrit à Josette Passas, institutrice à cette date au Maroc, Alexandre Jacob signale : « Si je voulais aller avec les Denizeau à Blois, ce n’était pas pour me distraire. J’ai quelque chose en tête. Si je réussis, je prends le bateau et je serai à Oran. (…) Et quand je gamberge, c’est rare que l’exécution ne suive pas. En tout cas, je ferai de mon mieux. ». Nous ne savons pas quel était le plan du cambrioleur en retraite. Ce qui est sûr, c’est qu’il ne l’a jamais mis en œuvre. Mais le fait rend-il crédible le dernier vol commis et narré par Bernard Thomas ? La question demeure.


[1] Bernard Thomas, Jacob, Tchou, 1970, p.353-354

[2] Entretien réalisé pour les besoin de la thèse : Alexandre Marius Jacob, parcours et réseaux d’un anarchiste

[3] C’est ce que nous a signal Jean-François Amary dans plusieurs de ses couriers. Pierre Valentin Berthier aurait même écrit le mot « faux » devant le passage de L’honnête cambrioleur (p.444)  où il est fait mention de son approbation vis-à-vis du vol.

[4] Lettre à Jean Maitron, 17 juin 1948 : « Je crains de ne pouvoir vous documenter pour les besoins de votre thèse du fait qu’une thèse de doctorat est éventuellement conformiste, d’une part, et que, de l’autre, le mouvement anarchiste de l’époque indiquée a été, de ma part, exclusivement illégaliste. D’où discrétion…

[5] Bernard Thomas, Les vies d’Alexandre Jacob, Mazarine, 1998, p.9

Tags: , , , , , , , , , , ,

1 étoile2 étoiles3 étoiles4 étoiles5 étoiles (6 votes, moyenne: 5,00 sur 5)
Loading...

Imprimer cet article Imprimer cet article

Envoyer par mail Envoyer par mail


3 commentaires pour “Un dernier vol ?”

  1. Colombe2d dit :

    Ça lui ressemble bien, à notre honnête cambrioleur !
    Déjà le mouchoir valant deux cents francs l’avait révulsé… alors un heurtoir en or !
    Quel dommage de ne pas pouvoir vérifier…

  2. JMD dit :

    C’est vrai … mais cela explique aussi pourquoi BT en parle dans ses deux romans.

  3. alexandre clement dit :

    Très intéressant, et ça cadrerait à mon avis avec ce qu’on sait de la psychologie du bonhomme.

Laisser un commentaire

  • Pour rester connecté

    Entrez votre adresse email

  • Étiquettes

  • Archives

  • Menus


  • Alexandre Jacob, l'honnête cambrioleur