Lettres du Zoo de Ré 3


Les deux lettres qu’écrit Alexandre Jacob à sa mère les 24 septembre et 04 octobre 1905 s’articulent bien évidemment autour du procès de Laon où comparaissent en appel 10 des condamnés d’Amiens : Marie Jacob, Jacques Sautarel, Rose Roux, Léon et Angèle Ferré, Honoré Bonnefoy, Jules Clarenson, François Brunus, François Vaillant et Marius Baudy. Les assises de l’Aisne ouvrent leur session le mardi 24 septembre. A cette date, le prisonnier Jacob conseille à sa mère malade de ne point se rendre aux débats, joués d’avance pour lui puisqu’il s’agit des mêmes accusations qu’à Amiens. L’agent Leguerf n’est pas cité à comparaître. Il a pourtant du enquêter sur les vols Neuchaise et de Roches commis en Niort en janvier 1903 et sur le vol Ripoteaux perpétré à la suite des deux précédents. Marie Jacob, défendue toujours par Me Justal, est-elle accusée de recel dans ces trois larcins ? Toujours est-il que le mercredi 1er octobre  1905, lorsque le jury rend son verdict, Marie Jacob est une femme libre. Elle envisage immédiatement de se rendre à Saint Martin de Ré. Un camarade inconnu l’attendait à la sortie. Jacob, dans sa deuxième lettre, se réjouit de la bonne nouvelle même s’il s’inquiète de la santé et de l’inévitable réadaptation sociale de sa génitrice. Pour ce faire, il lui suggère d’activer les réseaux anarchistes qui peuvent lui venir en aide. C’est d’ailleurs ce que fait le journal l’anarchie. Dans le numéro en date du 19 octobre, Libertad lance une souscription en sa faveur. Si Jacques Sautarel et François Brunus sont également déclarés innocents, l’honnête cambrioleur, enfermé à l’infirmerie de Saint Martin de Ré et soumis au régime du silence dans un monde qu’il considère comme l’arrière de la vie,  regrette que ce ne soit pas le cas pour Rose Roux. La compagne de Jacob voit sa peine de cinq années de prison prononcée à Amiens confirmée à Laon. Mais Jacob le pragmatique indique à sa mère que Rose, au regard du temps de détention préventive, n’a plus que la moitié de sa peine à effectuer. Il conviendra donc à sa libération en 1908 de la prendre en charge. Mais Rose Roux décède un an avant.

la citadelle de Saint Martin de Ré24 septembre 1905

Chère maman,

Non ; je n’ai pas été puni. Tu n’as point reçu ma lettre parce qu’elle n’a été expédiée que deux jours plus tard qu’à l’ordinaire. Toutefois, ta crainte ne manquait pas de fondement. Il en faut si peu pour cela. Il suffit d’échanger quelques paroles avec un codétenu pour être l’objet de mesures disciplinaires. Le silence est obligatoire. À ce propos j’ai fait une remarque : dans la vie libre, l’homme qui ne desserrerait point les dents serait mis à l’index par ses semblables ; on le traiterait de sournois, de sauvage, voire de détraqué. Ici au bagne, un tel homme serait considéré comme un modèle des modèles, comme le parangon des forçats. Ce qui prouve une fois de plus qu’il n’y a pas de lois, mais seulement des circonstances.

Pour revenir à ta crainte, rassure-toi. Quoique je n’aie pas la langue attachée, je n’use pas beaucoup de salive pour parler ; je la conserve pour digérer bien. Certes j’aime bien causer, mais seulement à qui me sait comprendre et me peut répondre. Malheureusement d’une part et heureusement de l’autre, là où je me trouve, je manque de tels partenaires. Le bagne est l’arrière de la vie. Il s’y trouve les individus les plus disparates : il y a du beau, il y a du bon ; mais il y a aussi du laid, du sale et du mauvais. Ces derniers sentiments dominent. Aussi tu ne peux croire combien je serais heureux de finir mon séjour au dépôt en cellule, isolé du reste de la population.

Rassure-toi aussi pour ma santé. Non seulement je ne crache point le sang mais encore n’ai-je point trop toussé jusqu’à présent. Il faut espérer que cette situation se continuera.

Mais toi, pour quelle raison as-tu été obligée de te lever pour aller chercher la liste des témoins alors que tu es si gravement malade ? C’est là une façon de procéder de la part de l’administration que je ne m’explique guère. Ce n’était pas à toi à te déranger, mais à l’huissier à te venir trouver à l’infirmerie puisque tu te trouvais empêchée par un cas de force majeure. Puisque ta santé ne s’améliore point, je te conseille plus que jamais de ne point assister aux audiences.

Pour la question de vos défenseurs, je n’en dirai pas grand-chose. Tout ce que je crois pouvoir vous conseiller utilement c’est d’avoir chacune votre défenseur, s’il est encore temps de tenter pareille démarche. Bien entendu, Me Justal s’occuperait de tes intérêts et Rose confierait les siens à un avocat. Quant à ce que tu écris à Me Justal, ce sont là des choses qui ne me regardent point et qu’il eût été préférable que tu gardasses pour toi. La maladie, les souffrances morales, ta longue captivité t’aigrissent le caractère et te font apprécier d’une nuance ce qui parfois peut être d’une autre. C’est moi qui me suis entendu avec Me Justal pour tout ce qui touchait à tes intérêts ; de sorte qu’il peut être étonné, à juste titre, des reproches que tu as pu lui adresser. Tu pourras me répondre, il est vrai, qu’il m’est arrivé, à moi-même, de lui adresser des critiques. À cela je te répondrai que tout ce que j’ai pu dire a été dit à l’égard de généralités ; je fais en sorte, tout en étant caustique, de ne point faire de personnalités. Aussi ne peut-on rien me reprocher.

Ne vous inquiétez point si l’agent Leguerf n’a pas été cité. Cette omission doit nous laisser entendre combien l’avocat des riches attache peu d’importance aux faits de Niort et d’Angoulême. Vous êtes accusées, de nouveau, m’avez-vous dit, de tous les faits pour lesquels vous êtes comparues à Amiens. Fort bien. Mais, si l’on procède ainsi, malgré la réponse négative du jury d’Amiens, c’est tout simplement pour observer la forme. Vous verrez que le défenseur du capital n’insistera pas à l’égard des faits pour lesquels vous avez été acquittées ; il réservera ses fleurs d’éloquence pour les faits qui ont entraîné vos condamnations.

Je suis très heureux que Rose se porte bien. Recommande-lui d’être calme et circonspecte. Bon courage et bonne chance.

Je t’embrasse bien affectueusement.

Mille baisers à Rose. Sincères amitiés aux camarades,

Alexandre

P.-S. Puisque je ne figure pas sur la liste des témoins, il se pourrait qu’au début de l’audience, Me Lagasse déposât des conclusions tendant à mon audition. Dans ce cas, si la cour l’ordonnait, je serais transféré à Laon dans le plus bref délai. À mon avis, la cour rejettera les conclusions.

Marie Jacob 19034 octobre 1905

Chère maman,

J’ai reçu la nouvelle de ton acquittement lundi matin à la première heure, alors que j’étais encore au lit. J’en ai ressenti un bien vif plaisir. Hier, mardi, j’ai reçu ta lettre et mon plaisir s’est accru de savoir Jacques acquitté ainsi que M. Brunus. Il est fort regrettable que cette tardive mesure n’ait pas été appliquée aux autres camarades. Enfin, il leur reste l’espoir d’un nouveau procès, si, comme tu me l’as dit, il existe encore un vice de forme. C’est donc pire qu’une épidémie ; ils y sont donc à l’état endémique, les vices de forme dans ce procès. Alors ! ce sera le procès perpétuel ! À propos, tu as oublié de me dire bien des choses. Entre autres, si on a retenu l’« association de malfaiteurs ». Dans la négative, ce serait un excellent résultat car il n’y aurait personne de relégué. Dis-m’en un mot.

En lisant ta lettre, j’ai bien compris que tu te trouvais dépaysée. Cette brusque transition de la claustration à la liberté, de la stupide monotonie de la prison à la fiévreuse agitation des boulevards parisiens est bien faite pour causer cette impression. Mais sois tranquille ; ça ne durera pas. On s’habitue à tout. Ce n’est l’affaire que de quelques jours. Fais en sorte de te faire restituer ton argent et ton linge dans le plus bref délai. Pour cela va trouver Me Justal, lequel te renseignera à l’égard des démarches qu’il te faudra faire. J’ai bien peur que ce « bref délai » ne dure des mois. Tu sais, il n’y a rien de moins pressé que les gens qui n’attendent rien et qui font attendre les autres. En attendant ce résultat, écris à M. Astruc de Suresnes. J’aime à croire qu’il te trouvera un gîte jusqu’au jour où tu iras à Saint-Salomon en supposant que tes désirs n’aient point changé. Remercie-le bien, de ma part, du secours qu’il t’a adressé à Amiens. Remercie aussi Jacques et sa compagne de leurs sincères bontés. Mais je crois bon de te dire qu’ils ne sont pas bien riches ; cette longue prévention a été désastreuse pour eux, anéantissant leur modeste avoir, fruit d’un pénible labeur. Leur offre généreuse et spontanée de solidarité leur a été inspirée par un sincère enthousiasme, mais la vie est plus [illisible] ; il se pourrait bien que tu les gênasses et que par délicatesse ils ne t’en disent rien. Je te sais assez douée de pénétration pour apprécier cette situation. À mon avis, il vaudrait mieux pour toi que tu louasses une chambre garnie en attendant que les événements aient un peu éclairci ta situation. Je suis persuadé que tu trouveras de précieux auxiliaires parmi les camarades en tout ce que tu jugeras utile d’entreprendre. Vois, réfléchis et fais pour le mieux.

Pour ta santé, je te dirais bien d’aller chez M. Élie Reclus, mais, à mon avis, puisque M.Legeai t’a déjà opérée, il est préférable que tu ailles en consultation chez ce dernier. Tu comprends bien que tu ne peux pas continuer de pérégriner de droite et de gauche en étant affligée de cette maladie. D’autre part, tu parles de me venir voir. Es-tu sûre que la traversée qu’il te faudrait faire sur le bateau n’aggraverait pas ton cas ? Il en faut si peu, dans ces sortes de maladies, pour détraquer toute la machine. C’est pourquoi, pour plus de sûreté, je te conseille d’aller te renseigner à ce sujet ; et si l’on te répond que tu peux affronter deux heures de mal de mer, eh bien alors tu viendras me voir. Tu me feras savoir le résultat de ta consultation et selon la réponse, je te dirai les formalités qu’il te faudra accomplir. D’ores et déjà, tu peux compter qu’il te faudra 100 francs pour le voyage.

Je ne vois pas, mais pas du tout, quel est l’aimable camarade qui t’a attendue à ta sortie de prison ; mais qu’importe, je ne l’en remercie pas moins, ainsi que tous les autres.

J’oubliais de te parler de Rose. Vraiment, elle n’a pas de veine. Elle a reçu toutes les éclaboussures. Écris-lui, envoie-lui quelque argent et dis-lui que je regrette fort de ne pouvoir lui écrire afin de la consoler. Et puis, au pis aller, présentement elle se trouve à moitié peine ; de sorte qu’elle se trouve aussi dans les conditions voulues pour bénéficier de la libération conditionnelle. Lorsque sa condamnation sera définitive, je te dirai les démarches qu’il te faudra faire.

Aujourd’hui, je t’écris exceptionnellement dans le courant de la semaine. C’est te dire que je ne pourrai te répondre que le 15 octobre. Je te dis cela afin que ce retard ne te fasse point faire un tas de suppositions chagrines comme tu en as la coutume.

Je t’embrasse bien affectueusement.

Cordiales poignées de main à Jacques, à sa compagne et une caresse à leurs enfants.

Mêmes civilités à M. et Mme Develay et à leur petite fille,

Alexandre

P.-S. J’omettais de te dire que j’avais donné la machine à imprimer à [illisible].

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