Arthur le voleur


Arthur Roques, Marie et Julia Vors vers 1900Arthur Benjamin Roques est un voleur. Né de père inconnu. Montpellier, 24 juillet 1852. L’Empire, deuxième du nom, n’a pas encore été proclamé : « Je suis venu au monde sans ami et sans parents » écrit l’intéressé dans un poème en 1902. La mère ne veut pas non plus du rejeton. A moins que Marguerite Roques, 20 ans, placée dans une famille bourgeoise de l’Hérault, ne puisse prendre avec elle le petit bâtard. On a connu meilleur départ dans la vie. Portrait à la Zola. Epoque où le naturalisme littéraire fait ses choux gras du déterminisme social. Arthur Roques aurait pu choisir de vendre des cartes postales et aussi des crayons. Il est un voleur potentiel, un casier judiciaire à charger.

 Scolarité abandonnée à 12 ans. Et, de 14 à 17 ans, c’est l’école des mousses de Sète. Ecole ? Le mot peut prêter à sourire. Une institution qui s’apparente plus aux enfants de troupe. Curieux mimétisme du destin aussi. Vingt-cinq ans plus tard, Alexandre Jacob quitte les bancs de la fabrique à bourrer les crânes et faire de bons Français pour s’engager sur le Thibet. Et, comme le mousse Roque, le mousse Jacob a « vu le monde et il n’était pas beau ». Pour les deux, finis les rêves aux long cours et renonciation de la navigation.

Arthur Roques a dix-huit ans lorsqu’éclate la guerre franco-prussienne. Autre rêve de gloire ? Le fusil au poing aussi pour effacer une liste de condamnations qui commence à s’allonger. 15 jours de prison pour vol à Tours en mai 1869. Un mois de prison en mai 1870 pour rébellion. Deux mois le premier septembre de cette année pour vagabondage. Arthur Roques s’engage dans le 4e régiment d’infanterie. Subir le siège de Paris et ses affres. Nouvel abandon ou plutôt désertion. Pour ce fait, le conseil de guerre de Versailles le condamne le 28 mars 1872 à dix ans de détention. Pour ce fait … et pour ses activités et sympathies communardes. Car Arthur Roques n’est pas resté insensibles aux discours entendus dans Paris la Rouge. Là, très certainement, se sont forgées ses convictions sociales. Pas libertaires. Mais proches, très proches. Un compagnon de route en quelque sorte. 10 ans de détention = 10 ans de bagne. Il est encore mineur. Ce ne sera donc pas la Nouvelle Calédonie. Peut-être Tataouine ou Biribi. Plus sûrement Belle Ile en mer, le mal nommée, pour les « bandits, voyous, voleurs, chenapans » (Jacques Prévert).

1880 : liberté. Amnistie des Communards. Réinsertion. Recommencer une nouvelle vie n’est pas chose aisée avec un tel passif.  Retour à la case départ ? Pas vraiment. Il faut apparemment que cela y ressemble en tout cas. Direction le Sud. Tenter sa chance à Sète. L’homme connaît la ville et y trouve à s’employer. Il est cocher dans l’entreprise de fiacre de Marie Vors. Une nouvelle vie ? L’employé modèle finit par épouser sa patronne en 1889. Elle est veuve ; il a 37 ans, elle 51. Elle a deux enfants dont Julia, née en 1872. Roques n’est pas insensible aux charmes de l’adolescente. Quatre ans après le mariage, la famille recomposée délocalise l’entreprise de fiacre sur Montpellier. Concurrence déloyale du tramway sétois. En décembre 1893, Roques est justement condamné dans le chef lieu de l’Hérault à 20 jours de prison pour tenue de maison de jeu de hasard. Profitant d’une situation socialement des plus convenables, l’homme mène une double vie :

Parole de forçat, Claude Barousse« Arthur, à cette époque, part souvent en voyage d’affaires. Quelles affaires ? Marie n’en sait quasiment rien, reçoit des réponses floues et s’en inquiète, sans trop oser le dire. Quand Arthur a un projet en tête, bien malin qui l’en détournerait. Pas une femme en tout cas. Cela se passe entre hommes. Et parfois cela se passe mal. Le cycle infernal est réamorcé : escroqueries, vols, prison. Le scénario se reproduit à trois reprises loin de Sète, à Lyon en 1892 et 1893, à Dieppe en 1894. (…) Plus que jamais les folles équipées sont à l’ordre du jour. L’apothéose du dérèglement se situe en 1899. Cette année là, quel séisme ! » nous dit Claude Barousse son biographe.

1899. 31 mars 1899. Le commissaire Jules Pons, ceint d’une écharpe tricolore, pousse la porte du Mont de Piété de Marseille, rue du Petit Saint Jean. Il est accompagné de trois autres hommes en uniforme. La suite a fait rire la ville « jusqu’aux larmes et toute la France avec elle » selon l’expression d’Alexis Danan dans le magazine Voilà en 1935. Jacob Alexandre et Roques Arthur sont désormais loin lorsque l’on découvre le pot aux roses et accessoirement le sieur Gil, le commissionnaire du Mont de Piété, atterré, apeuré et attendant sa comparution devant un juge d’instruction au palais de justice où on l’avait déposé. Vol estimé à environ 400 000 francs. Les deux voleurs sont condamnés par contumace à 5 ans d’emprisonnement le 9 juin 1899. Les deux autres voleurs, Joseph Jacob (le père d’Alexandre) et l’anarchiste Louis Maurel, sont acquittés. Le deuxième fort probablement pour avoir été retourné par la police. Louis Maurel  a donné Roques et jacob.

Ces deux-là se sont certainement rencontrés deux ans auparavant. 1897. le jeune anarchiste Jacob est arrêté pour fabrication d’explosif. Première condamnation. Premier emprisonnement. Inscription au fichier B des anarchistes signalés comme particulièrement dangereux. Pas facile après cela de trouver, puis de garder un emploi. Secrétaire dans une fonderie, apprenti pharmacien, apprenti typographe. Roques a aussi travaillé comme ouvrier typographe à Marseille. Un lieu de contact, autre que l’atelier, demeure possible. Dans les estaminets des quartiers populaires se côtoient un monde interlope de déclassés sociaux, de marginaux, d’illégaux et d’anarchistes. Bien souvent, les débits de boisson leur servent de lieu de réunion et les libertaires ne répugnent pas à la fréquentation des gens de la marge et autres outlaws. Nous n’en savons guère plus sur le rapport existant entre Roques et Jacob. A moins que les deux futurs compères ne se soient tout simplement rencontrés à la prison Chaves de Marseille. Roques y est interné d’octobre 1897 à octobre 1898. Jacob s’y trouve également en octobre 1897 (avant d’être transféré sur Aix en Provence) suite à l’affaire des explosifs. Toujours est-il que la presse nationale rendant compte, du 8 au 22 mars 1905, du procès des Travailleurs de la Nuit, qualifiés le plus souvent de « bande sinistre » ou encore « des 40 voleurs », qualifie Arthur Roques de « professeur de vol » du bandit cynique Jacob.

Mais la route des deux hommes se sépare peu de temps après le coup du Mont de Piété. Quelques cambriolages en commun dans le Midi, filer vers l’Espagne puis chacun de son coté tracer sa route, vivre sa vie de fugitif. L’illégaliste Jacob part en Italie. Arthur Roques est à Vichy à partir de la fin du mois de mai. « Il y a loué une maisonnette au nom de Julia Vors » nous a récemment écrit Madame Simone Pons, épouse du petit-fils du voleur. Car Julia est devenue l’amante d’Arthur Roques. Marie, mère de Julia et femme légitime de Roques, ne dit rien. Elle suit son voleur de mari à Vichy. Là naissent Yvonne, le 16 avril 1900, et Olga, le 4 juin 1901. Julia s’est réfugiée à Saint Yorre pour ne pas faire connaître ses maternités à l’entourage vichyssois de l’honorable Louis Courtin, marchand d’articles de bazar. La fausse identité d’Arthur Roques et son activité légale permettent d’en couvrir d’autres nettement moins avouables et nettement moins légales. Sur les marchés de Paris et de province, Roques-Courtin et ses complices écoulent de la fausse monnaie. Le commerce prospère. Peut-être cambriolent-ils aussi à l’occasion. Le système, centré sur Vichy tient environ deux ans. Certains compagnons de Roques sauront se souvenir de l’aisance apportée et des amitiés tissées lorsqu’Arthur le voleur sera devenu Arthur le bagnard. A la même époque, Alexandre Jacob, sous les traits de l’estimable antiquaire Georges Escande, organise ses Travailleurs de la Nuit depuis Paris.

Marie, Julia, Yvonne et Olga Vors en 1907Au début du mois d’octobre 1901, Arthur Roques se voit contraint de migrer sur Cenon, dans la banlieue Nord de Bordeaux. Olga, sa dernière, est laissée en nourrice à Saint Yorre. Julia et Arthur retrouvent Marie et Yvonne dans le Sud-Ouest. Le couple a emporté dans sa besace un stock de pièces, fausses bien sûr. La tournée organisée en Charente Inférieure se termine mal. L’entrée de Julia dans une épicerie de La Rochelle éveille immédiatement les soupçons de la commerçante. Le couple est interpellé peu de temps après. A l’hôtel des Etrangers (sic), dans la chambre des deux amants, la police retrouve pour 700 francs de fausses pièces de deux francs. Samedi 16 novembre 1901 : la carrière d’Arthur le voleur vient de s’arrêter net.

Six mois plus tard, le 14 mai 1902, la cour d’assises de Saintes lui afflige une peine de travaux forcés à perpétuité. Peine ramenée à dix ans le 7 octobre. Peine perdue. Des démarches, des soutiens qui n’ont servi à rien. Roques doit donc demeurer à vie et mourir en Guyane en vertu de l’article 6 de la loi du 30 mai 1854 qui institue le doublage de la peine lorsque celle-ci est inférieure à huit ans. Cette période de résidence « libre » et obligatoire dans la colonie pénitentiaire devient perpétuelle au-delà de ces huit années. Devant les jurés de Saintes, Arthur le voleur ne cherche pas à nier ses actes. Bien au contraire, il charge son cas pour alléger celui de sa compagne. Alexandre Jacob procède de la même manière à Amiens en 1905. Mais là, où l’illégaliste politise son discours  jusqu’à se faire théoricien de la reprise individuelle, Arthur Roques préfère verser dans la critique d’une société, poussant les plus faibles soit à courber l’échine, soit à voler ceux qu’ils n’ont pu légalement gagner. Les accents misérabilistes et fatalistes ont visiblement porté leurs fruits. Julia Vors est libre du tribunal. Elle retourne à Vichy reprendre ses filles, vivre avec sa mère, se reconstruire une nouvelle honorabilité sociale.

Arthur Roques au bagneArthur Roques est transféré à la centrale de Thouars le 3 décembre 1902, puis dirigé sur Saint Martin de Ré. Le 12 juin 1903, il embarque pour les prisons à ciel ouvert de ce coin de France en Amérique du Sud. Sur les îles du Salut, il a forcément du rencontrer son ancien compagnon Jacob. Mais, après quelques années de correspondances adressées à ses quatre femmes, laissant environ 270 lettres à ses descendants, le forçat 32835 finit sa vie de réprouvé seul et abandonné. Libéré le 3 avril 1917, le 4e 2e Roques – c’est le statut des forçats en fin de peine et astreints à la résidence en Guyane – s’éteint à l’hôpital colonial de Cayenne le 28 septembre 1920. Rongé par la gangrène. Fatalitas. La République, troisième du nom vient d’éliminer un de ses plus dangereux criminels. Arthur Roques n’avait pourtant tué personne. Il avait juste pris sa part, son droit de vivre.

 

Sources :

         Claude Barousse, Parole de forçat, le dosssier arthur Roques, Acte Sud, 1989

         Archives privées famille Pons, fonds Arthur Roques

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Un commentaire pour “Arthur le voleur”

  1. pons jacques dit :

    Petit fils d’arthur Roques je possede 250lettres de mon grand pere écrites du bagne. Au travers de ces lettres,j’ai pu reconstituer son parcours hors du commun dans son illégalité .Un livre récemment édité par les éditions de la mouette (les femmes du forcat) écrit par Simone Pons retrace ce destin d’exeption

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