Panégyrique de Marius


Robert Passas dans son bureauMarius Jacob dans sa maisonAlexandre Marius Jacob se suicide le 28 août 1954. Des deux poèmes qui suivent, seul le premier a été publié. Et encore Glas ne parait qu’en 2004 dans la réédition des Ecrits de l’anarchiste par l’Insomniaque. C’est la première fois qu’est diffusé D’un arbre. Batis sur le ton élégiaque, le jour même de la mort du vieux forain pour l’un, le mois suivant pour l’autre, ces deux textes de Robert Passas disent la souffrance et le souvenir. Souffrance d’avoir perdu son « jeune vieux », comme il a pu l’écrire dans ses carnets intimes. Souvenirs de son « ami parfait » comme il titre l’article qu’il donne pour le numéro de septembre de Défense de l’Homme. Et c’est toute une nature, à la fois simple et complexe, saisie dans son havre de Bois Sain t Denis, qui apparaît dans le portrait dressé par le jeune instituteur. Mais Robert Passas est de toute évidence touché au plus profond de lui-même par la perte de cet homme, qu’il ne connaissait pourtant que depuis 1951. Marius, Josette et lui ont su tisser d’indéfectibles liens d’amour, d’amitié et de réciprocité. Et la douleur de cette disparition perdure jusqu’à la mort, en 1996, de l’auteur de ces deux panégyriques d’Alexandre Jacob

 

Glas

 

I

La campagne est sans lyre

Et le hameau sans toits

La maison aux paupières closes

A le ventre meurtri

La cloche est sans grelot

Le puits est sans écho

Toutes les fleurs se sont pendues

Au portail du jardin

Les bêtes consternées

Enroulent leur tristesse

Dans un recoin de grange

Et le vieux chien grand-père

Polisseur de mémoire

A fini sa pâtée

La campagne est sans lyre

Et le hameau sans toits

 

II

Gare fantôme

Quai désert

 

Son visage était une lampe

Haute et rieuse

Son regard un torrent

De feu noir

Ses mains étaient des abeilles

Occultes ou sonores

Son coeur un nid bruissant

D’ailes

Voyageur harassé

De paysages

II a pris le train de nuit

Sans billet de retour

 

Gare fantôme

Quai désert

 

III

Des dahlias une montre

Une photographie

Des lunettes une pipe

La pesanteur d’un livre

 

Un nuage qui s’avance

Au dessus d’une tombe

Pour y flanquer sa pluie

 

IV

J’avais de lui enfance

Jeux et chansons

Des matins chauves

J’avais de lui voyages

Entre ciel et mers

Ports vents durs

De bagne

J’avais de lui chaleur

Quand même plus brûlante

Que feux d’août

Une épopée jamais perdue

Ce qui fait la vie une cigale

Au bout des fers

Ce qu’il faut à l’homme un peu

De lavande à ses plaies

 

J’avais de lui ma

Liberté

 

V

Laissez-moi lui donner

Pour compagnon

Le jour qui vient s’asseoir

Au creux de ma plainte

Et y repose.

 

28-29 août 1954

 

 

D’un arbre

J’aime les arbres

J’en avais un immense

Et fier la branche tendre

Et le tronc dur

Les oiseaux chaque matin

Décoiffaient son feuillage

Un vent d’exception l’habitait

Il s’est couché hier soir

En beau seigneur

Entre la cabane et l’étang

Front vigoureux en ordre

Dans la figure du jour

Torsades de pieuvre

Enclume aux bûcherons

Dans la forêt grouillante

A tout moment j’entends

Le hurlement des haches qui s’acharnent

Et j’ose à peine y croire

A ce bois mort au temps fixé

A ce grand corps si riche et noble

Et maintenant désencombré 

 

Septembre 1954

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