Mes tombeaux 3


Les Allobroges

7ème année, n° 1276,

samedi 31 janvier – dimanche 1 février 1948, p. 2.

Mes tombeaux

souvenirs du bagne

par Paul Roussenq, L’Inco d’Albert Londres

III

Le directeur Funk! qui lui succéda, n’avait rien d’un argousin. Il punissait si peu que les gardiens se lassèrent vite d’envoyer des détenus devant le prétoire.

Les demandes de grâce, de libération conditionnelle soumises à son appréciation pour avis, trouvèrent en lui un constant approbateur – quelle que fut la conduite de l’intéressé.

Une bienveillance aussi inaccoutumée devait avoir de fâcheuses répercussions sur d’autres plans. Le linge n’était plus aussi blanc et la soupe aussi bonne. On ne pouvait pas tout avoir.

Le 14 août 1907, je bénéficiai d’une libération conditionnelle qui abrégeait ma peine de quelques mois.

Ayant embrassé mes parents, je fus dirigé sur le 5e Bataillon d’Infanterie Légère d’Afrique, après quelques jours d’attente au fort St-Jean de Marseille. Le surlendemain je prenais pied sur la terre africaine, en rade de Gabès. Ce n’était pas sans appréhension.

AUX BAT D’AF’

Les bataillons d’Afrique ! On en parlait comme d’un épouvantail, dans le temps… et non sans raison. On y envoyait les jeunes appelés ayant subi une ou plusieurs condamnations dans la vie civile. Il y avait là un drôle de rassemblement : souteneurs, apaches invertis, fricoteurs de tout acabit s’y coudoyaient en même temps que des brebis égarées, de naïfs campagnards, des dévoyés occasionnels non encore corrompus – ils le seront bientôt après quelques mois de cette ambiance frelatée.

Et les gradés ! Ceux-là valaient bien les autres, surtout aux échelons inférieurs, sergents et caporaux – sans oublier les chiens de quartier. Ils n’avaient à la bouche que ces mots : « Je vous donne l’ordre ! Je vous donne l’ordre ! ». Du matin au soir, on n’entendait que ça. Avec moi, ils étaient bien tombés. Je me portais malade en permanence…

Oui, un drôle de milieu.

La vie de caserne est bien la plus abrutissante qui soit sous la calotte des cieux.

On parle de la discipline militaire, mais il y a aussi la discipline monacale et la discipline pénitentiaire. On ne saurait les mettre sur le même Pied.

La discipline monacale est librement consentie. Elle ne pèse pas à ceux qui s’y soumettent volontairement.

Dans les prisons, si son joug est lourd à supporter, l’arbitraire n’y a aucune part. Les règlements y sont inamovibles. On les connait et l’on s’y conforme – plus ou moins. Chaque détenu sait ce qu’il a à faire, n’est jamais pris au dépourvu.

Tandis que dans l’armée, on est commandé à hue et à dia, tiraillé d’un côté et d’autre, ne sachant où donner de la tête, ignorant ce que l’on fera dans une heure ou dans cinq minutes. Les soldats sont comme ces pantins dont on tire les ficelles : ce sont des machines à obéir.

Très peu pour moi!

Il y avait dans ma compagnie un sergent moustachu qui devait m’avoir visé spécialement. A plusieurs reprises, je l’avais envoyé promener, en y mettant quelques formes. Mais un jour, il me porta tellement sur le système que je l’enguirlandai copieusement. sans prendre de gants.

Soixante jours de prison, dont vingt et un jours de cellule sanctionnèrent cette incartade.

Décidément, je n’étais pas fait pour jouer au soldat. Envoyé de force à la caserne, ce n’était que par la forme qu’on m’y maintenait. J’étais pourtant bien résolu de trouver un biais pour m’en tirer mais lequel ?

Je me renseignai auprès des anciens, et comme toute désertion était vouée à l’échec dans ce coin de Tunisie infesté d’Arabes pillards et cruels (certains « Joyeux » évadés et repris par eux avaient été fort malmenés) je pris la résolution de faire un autodafé de mes effets militaires, dans la cellule où je me trouvais enfermé.

J’accrochai mon complet de treillis aux barreaux de la petite fenêtre de mon local et j’y mis le feu à l’aide d’un journal enflammé. Ce faisant, j’escomptais une peine de réclusion qui me débarrasserait de l’Armée, avec un grand A, de ses pompes et de ses fastes. Mes effets se consumaient lentement, leur combustion dégageant une odeur âcre qui me prenait à la gorge. Je frappai à la porte. Le sergent de garde parut, constata les faits, fit apporter deux seaux d’eau qui suffirent largement à éteindre cet incendie de pacotille, ce simulacre enfantin qui ne pouvait tromper personne.

On prétendit m’endosser la camisole de force, ce à quoi je m’opposai en me rebellant. De ma bouche, sortirent des paroles qui n’étaient pas des compliments…

Bref, pour ces faits, où il n’y avait pas de quoi fouetter un chat, je fus inculpé de « tentative d’incendie volontaire d’un bâtiment à l’usage de l’armée, laquelle tentative manifestée par un commencement d’exécution, n’ayant manqué son effet que par suite de circonstances indépendantes de la volonté de son auteur ».

Cette inculpation capitale était accompagnée des faits connexes de voies de fait et de refus d’obéissance.

 

Transféré à la prison militaire de Tunis au bout de quelques mois, je fus interrogé à plusieurs reprises par un officier instructeur.

Je le gratifiai de déclarations nettement antimilitaristes.

Enfin, le 5 mai 1903, je comparaissais devant le Conseil de Guerre de Tunis.

Dans cette salle austère, où tant d’épilogues étaient venus se concrétiser dans d’innombrables années de bagne, de prison ou de travaux forcés, sept juges militaires de tous grades vinrent prendre place sur leurs sièges, salués par un piquet de service Leurs visages compassés demeuraient hermétiques. Le colonel-président appela l’affaire Roussenq. Il m’interrogea brièvement sur les faits. entendit deux témoins, se tourna vers le ministère public. Ce dernier demanda simplement l’application de la loi, mon exclusion de l’armée.

Un quelconque avocat, désigné d’office, fit une non moins quelconque plaidoirie : il évoqua Gustave Hervé, ma jeunesse, le soleil trop chaud, des fadaises. Il se rassit, content de lui.

Finita, la comedia !

La délibération se poursuit durant une heure. Enfin, voici le jugement :

(A suivre.)

Les personnes qui désirent correspondre avec Paul Roussenq pourront le faire à l’adresse du journal.

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