Premier semestre 1912 sur l’île Saint Joseph : sortir du trou


La santé de Marie, la sienne qui s’améliore malgré un début de prolapsus rectal et une printanière grippe, des annonces de réceptions de colis et de salvatrices missives, des demandes d’envoi de linge, de livres ou encore de produits pharmaceutiques, la correspondance du bagnard 34777 révèle pour le 1er trimestre 1912 que la vie s’écoule lentement, très lentement dans les sinistres locaux de la réclusion de l’île Saint Joseph. Jacob espère vainement pouvoir encore passer devant le TMS alors que le 12 novembre de l’année précédente il était définitivement disculpé de l’accusation de dénonciation calomnieuse dans l’affaire du meurtre du forçat Vinci par le surveillant Bonal. Un voyage à Saint Laurent du Maroni lui aurait permis de prendre l’air et de briser l’ennui de l’enfermement. « C’est si monotone la vie sur ce rocher qu’un peu de changement d’horizon ne nuit pas. ».  Alors Jacob lit et rend compte de ses lectures à sa génitrice. Il se rappelle encore quelques souvenirs de cambriolages et de navigation. Mais la sortie du trou est proche et il n’a de cesse d’organiser sa résistance. La famille imaginaire de Barrabas entre en scène et la multiplication de passages codés signale au lecteur que Jacob active des réseaux de transmission du courrier clandestin, envisage des projets d’évasion malgré la censure de l’Administration Pénitentiaire et la surveillance que peut exercer la police parisienne sur sa mère et ses amis. Ainsi apprenons-nous l’extrême jalousie de la femme de Julien, les vilénies d’Octave, peut-être renseigné par Paulin et de mèche avec Elise, le « manque de flair » d’Augustin confiant ce pauvre Félicien à un « saligaud ». Est-ce Jacques ? Est-ce Lorand ? Nous n’en savons rien. Toujours est-il que le 17 juin 1912 le bagnard retrouve « l’air libre » des îles du Salut après avoir purgé 44 mois de réclusion cellulaire. Une nouvelle phase commence pour Jacob.

2 janvier 1912

Îles du Salut

Ma chère maman,

Toujours très bonnes tes chères nouvelles, puisque tu te portes bien. Il est fâcheux qu’il n’en soit pas de même pour tante et ta bonne voisine. Espérons cependant que leur indisposition ne sera que passagère. Il doit y faire froid, à Paris, en ce moment, hein ! De là un accroissement de misères et de douleurs, pour les pauvres s’entend.

Pour Laure c’est bien ennuyeux, car qui sait si Paulin, autant dire Octave, n’a pas profité de ses relations avec Élise pour lui nuire. Qu’en penses-tu ? Sauf cela, il n’y a pas lieu de s’émouvoir de son silence, pas plus du reste que de celui de Paul-Louis[1]. Quant à tantine, il est fort probable qu’elle soit à Batavia où elle a du bien, d’ailleurs. L’inconvénient c’était son mari ; mais puisque de Ménélas il a la sagesse, n’en parlons plus : tout est pour le mieux.

Le colis que tu m’as dit avoir expédié le 12 novembre 1911, et contenant un livre et un illustré, ne m’est pas parvenu. Tu peux donc réclamer auprès du receveur du bureau de poste de départ. Par contre, j’ai reçu celui annoncé dans ta lettre du 5 décembre. Il contenait : un volume (Origines de l’homme), une Feuille littéraire (Scènes de la vie de Bohème), quelques catalogues et un flacon de Globéol. N’en envoie plus, du Globéol, coquin de sort ! Ça me fait deux flacons en réserve que je conserve pour un peu plus tard. Sois sans inquiétude : je me porte bien, très bien.

Bien sûr qu’il me plaît ce livre ; mais j’eusse préféré L’Homme selon la science ; c’est moins aride, plus coloré et surtout mieux vulgarisé. Tu me l’enverras lorsque tu pourras. Tu m’enverras aussi, puisque j’y pense, une petite brochure à couverture rouge, intitulée Fondements de la langue Espéranto, prix 10 centimes, ainsi que deux autres, à couverture jaune, de plus petit format et coûtant 10 centimes l’une, 5 centimes l’autre. Ce n’est pas bien cher et ça me remémorera le peu que j’en sais. Ces derniers, à la librairie Hachette. Certes, dans tout ce qui est catalogué, il y en a peu qui ne soient pas de mon goût, mais ce n’est pas le moment de te faire dépenser, pas du tout. Lorsqu’on t’en donne, passe ; mais je t’en prie, pense un peu à toi et sérieusement. Dans ma dernière, je t’ai déjà conseillé quelques dépenses pour Joseph et c’est bien assez. Tu verras que ce que Lucien te dira dans sa prochaine[2] ou le mois suivant concordera avec mes conseils. En ce moment, ce n’est plus huit mois qu’il me reste à faire, mais cinq seulement. Or, avec ce que je te demande plus haut et les quelques Feuilles littéraires qui paraîtront d’ici là, ce sera suffisant.

22 janvier

Nouvelles encore meilleures que les précédentes, puisque ta santé est toujours bonne et que tante et ta bonne voisine vont mieux. Avec le printemps qui s’approche cela ira mieux encore. Que c’est bon le soleil ! Pas trop n’en faut pourtant. Ici, la plupart du temps, il est trop généreux le soleil. Il en pleut à faire tirer la langue aux lézards. En ce moment, c’est plutôt frisquet à cause des pluies. Quand ça tombe, c’est pas pour rire. Les filets d’eau chutent sur la toiture avec des sons de roulement de tambour. Qué daïgo ! Pas comme vache qui pisse, mais comme torrent qui choit.

24 janvier

Tiens ! Voilà une des surprises du service postal. Je viens de recevoir ta lettre du 12 alors que depuis trois jours j’ai reçu celle du 22. Reçu aussi deux colis contenant la lecture annoncée. Rien n’y manque. Il n’y a que le colis expédié par toi le 12 novembre que je n’ai toujours pas reçu.

28 janvier

Je n’attends pas l’arrivée du courrier français ; je risquerais de le manquer à son retour. J’ai bien reçu les deux tricots de coton que je me suis fait acheter par l’administration ; mais c’est tout comme si j’eusse reçu deux corsets. Impossible de les employer à cause de leur étroitesse. J’ai réclamé. On me les changera d’ici Pâques… ou à la Trinité. Au fond, je puis attendre. Les flanelles ne sont pas usées. En supposant que j’en manque, ne m’en envoie pas surtout. Je n’aime pas me voir un tas de linge sans emploi immédiat. Pour pas changer : tu m’enverras un cahier ou deux, de ceux qui ont tant de pages et qui ne coûtent pas cher (2 sous). Pas de médicaments. Je me porte bien et en plus j’ai encore deux flacons de Globéol et six tubes de comprimés. Avec deux tubes par mois c’est assez.

Lorsque tu recevras des nouvelles de Julien, tu m’en informeras, qué ? Cela fait toujours plaisir. J’y compte fort pour les vacances de Pâques.

Amitié sincère à tante, à ta bonne voisine, bonjour aux camarades et à toi, ma bien bonne, la sincère affection de ton

Alexandre

30 janvier 1912

Îles du Salut

Chère maman,

Je dois partir pour Saint-Laurent-du-Maroni demain soir, samedi. Je ne puis donc pas répondre à ta chère lettre qui ne me sera remise qu’à mon retour. Mais je puis t’annoncer cependant la réception des deux colis-échantillons que tu m’as envoyés au dernier courrier. Bien sûr qu’elle me convient, cette lecture. Sauf le roman-feuilleton, délice des limaçons et des sacristains en retraite, lequel m’est particulièrement indigeste, je m’accommode de tout. Au fond, qu’importe les écoles, les genres. Pour qui a un peu vécu, l’intransigeance et le dogmatisme font sourire. Bien entendu, cela va de soi, je préfère ce qui correspond à mes goûts, à mes tendances. C’est un peu le cas de chacun, du reste.

Encore qu’il soit d’usage de notifier les ordonnances de non-lieu au siège du tribunal, je ne pense pas en bénéficier. Je crois, au contraire, que le gouverneur donnera l’ordre de mise en jugement. Ça me permettra de me dilater la rate pendant la petite heure que dureront les débats. Ni Jules Moineau[3], ni son fils, pas plus que Mark Twain, n’ont imaginé un cas pareil. C’est désopilant d’illogismes et d’incohérences. Il n’y a qu’à moi à qui pareille chose arrive. La veine ! Ce qui me turlupine c’est de ne pouvoir peut-être pas aller en cassation à cause de l’acquittement. Car la procédure étant viciée (certitude absolue), ça me permettrait un deuxième voyage. C’est si monotone la vie sur ce rocher qu’un peu de changement d’horizon ne nuit pas.

As-tu reçu des nouvelles de Vauvois ? J’aime à le croire. Malheureusement, comme tu me le dis dans ta dernière, il est fâcheux que Lucien ait changé d’idée à l’endroit de Bibyl. Il est probable que ce n’est pas, chez lui, esprit de système. Le mobile doit être fondé. En tout cas, conseille à sa soeur de faire pour le mieux et avec circonspection[4].

Il doit faire froid, qué, à Paris. J’en grelotte rien que d’y penser. Je crains pour toi, ma bien bonne ; j’ai toujours peur que tu rechutes. Il nous faudrait encore ça comme bouquet. Aussi soigne-toi bien, qué ; ne commets pas d’imprudence. Quant à moi, quoique je sois gras comme un [illisible], je me porte bien. Plus de fièvre, finie la dysenterie. Je crois fort que les lésions de l’intestin causées par l’empoisonnement sont complètement cicatrisées. Mais, à Saint-Laurent, à cause de l’eau qui est peu salubre, il est probable que je serai rechipé par la diarrhée. Heureusement que je ne pense pas à y moisir. Dans un petit mois, j’espère revoir le château d’If. À mon retour, je demanderai à être versé à Saint-Joseph. Je m’y plais mieux qu’à l’île Royale.

À l’occasion, envoie-moi toujours un peu de lecture, quelques bricoles de fumeur, mais pas de tabac ; Joseph m’en donne, et, quand tu le pourras, du Globéol. C’est grâce à ce tonique, je crois, que je puis résister à tant de misères. À propos, est-ce que mon frère t’a écrit au dernier courrier ? Il me l’a assuré ; mais il est tellement de Tarascon et si négligent qu’il m’est permis d’en douter. Depuis quelques jours, je ne sais où il est employé. Je le vois bien, de-ci de-là, mais de loin. Il va si vite que c’est à croire qu’il a une « 45 chevaux » dans les souliers. Il est vrai que, lui aussi, ce n’est pas la graisse qui l’empêche de courir. Il est desséché comme un estoquefi. Et tante, sa santé est-elle bonne ; ses affaires vont-elles aussi bien ? Je l’espère, de même, d’ailleurs, que pour ta bonne voisine.

Amitié de ma part ainsi qu’aux camarades. Sincère affection, ton fils,

Alexandre

P.-S. J’oubliais ; j’oublie toujours. Envoie-moi du papier à lettres et des enveloppes, ainsi qu’un cahier d’écolier.

1er février 1912

Îles du Salut

Ma bien bonne,

Ta mémoire de mère a conservé le souvenir d’un fait et d’une date que j’avais oubliés. Cependant, il a suffi que tu m’en parles pour m’en faire remémorer. En effet, c’est bien ça. Quatorze jours de retard et plus de tuyau, plus de mâts, plus de rouf, le pont à nu. Mais, à cet âge-là, on ne se rend pas compte du danger. Aussi ai-je assisté à ce cyclone sans en apprécier toute la gravité : de là mon oubli ou presque. Depuis, j’en ai subi bien d’autres de tempêtes et que tu ne connais pas, tourmentes sociales autrement terribles que celles déchaînées par les éléments. Je m’en souviens de celles-là…

Les trois colis-échantillons annoncés m’ont été remis intégralement. Pour le Peptokola, tu m’en indiques l’absorption vers les 4 à 5 heures du soir, mais ce n’est pas une indication que cela ; il faut tenir compte de l’heure des repas. À tout hasard, je le prends avant manger, et je crois que c’est la bonne manière.

Il a fallu que tu me l’envoies, ce tricot de laine, qué ? testamenti ! Bien sûr, qu’il a été le bienvenu. Bonne idée aussi pour ce morceau de flanelle ; j’ai pu ainsi agrandir les deux gilets dont l’étroitesse me corsetait. D’ici peu de temps, du moins je l’espère, je recevrai les deux tricots de coton que j’ai fait acheter par le service local ; de sorte que me voilà gréé pour plusieurs mois.

Il est certain que la désinfection du tube intestinal ne saurait être satisfaisante sans l’usage mensuel des comprimés de Maya. Car, en outre du régime alimentaire qui, à lui seul, détermine l’échauffement, il faut ajouter la qualité de l’eau, laquelle n’est pas des plus potables. C’est ainsi que j’ai été légèrement dérangé hier et avant-hier ; mais il m’a suffi de deux tubes pour enrayer l’écoulement des muco-membranes. De nouveau, je me porte aussi bien que possible. Au courrier du 8 ou 9 avril, tu pourras m’envoyer encore une boîte de comprimés ainsi qu’un flacon de levure. Quant au Globéol, j’en ai encore deux flacons intacts. Je vais premièrement commencer d’employer le Peptokola, car avec la température ambiante, il se pourrait qu’il ne pût se conserver. Renseigne-toi au sujet de cette question médicale : un sujet atteint de « prolapsus » doit-il nécessairement ou utilement subir l’ablation d’une partie du rectum ? Ici, on appelle prolapsus une chute, une descente du rectum provoquée tant par les efforts causés par la rectite que par ceux résultant de la médication de cette affection, notamment les lavements caustiques. Le baume d’acier ne me fait pas peur ; mais ici, nous ne sommes pas en France : il n’y a pas ou si peu d’asepsie que, neuf fois sur dix, les suites d’une opération sont plus à redouter que la maladie elle-même. Aussi, si le scalpel est nécessaire, ma foi, pour éviter des suites compliquées et fâcheuses, irai-je sur la table ; mais si ce n’est qu’utile, c’est-à-dire que s’il ne doit en résulter aucune aggravation de l’état présent, eh bien, je m’en passerai.

Il est vrai. Tu m’avais envoyé déjà deux des Feuilles littéraires reçues ce jour ; mais pour les trois autres, tu avais oublié. Le mal n’est pas grand, pas vrai ?

Les promesses ! Comment, tu en es encore à la croyance des promesses ! Sainte femme, comme tu retardes. Pour ma part, je n’y ai pas cru un seul instant. Marchands de pâte à rasoir que ces gens-là. Or la fonction crée l’organe, de sorte que ceux qui promettent et qui tiennent ne sont pas employés dans cette boutique.

14 février

Bigre ! ce mois-ci le courrier hollandais n’est pas en retard. Pourquoi te chagriner pour une chose aussi naturelle et surtout si nécessaire que la mort ? Imagine-toi le monde peuplé de tous les êtres appelés organisés depuis le jour de l’apparition de la vie jusqu’à aujourd’hui. C’est fantastique. Bien sûr qu’au point de vue social et familial, la mort d’un parent, d’un ami, nous fait toujours quelque peine, mais ce n’est pas une raison pour s’en affliger outre mesure. Au fond, la naissance tout comme la mort ne sont qu’une question de mots, rien de plus. La meilleure des preuves en est que, si l’on pouvait peser la terre après un million de naissances, elle n’en augmenterait pas d’un seul milligramme. De même pour la mort, ou mieux, ce que l’on a coutume d’appeler ainsi. La vie, même dans la misère, vaut la peine qu’on la vive ; mais soit que les circonstances en exigent le sacrifice, soit que l’usure de la machine le veuille, eh bien, ma foi, il n’y a pas à le regretter. À quoi bon se lamenter sur un événement nécessaire et inéluctable ?

Reçu une Feuille littéraire et un livre : Le Triomphe des vaincus, que je vais lire attentivement tant le titre est prometteur.

16 février

De mieux en mieux, ce service postal. Il faudra lui donner un berlingot. Je viens de recevoir le courrier anglais : une Feuille littéraire, un livre : George Sand et ta chère lettre. Meilleures, elles auraient pu l’être ces nouvelles. Quand la fatalité s’en mêle, elle nous joue de ces tours ! Ainsi vois un peu pour Lucie à l’occasion de la mort de Félicie. Vraiment c’est une malchance inexplicable mais pourtant réelle. Car juste au moment où Lucie lui envoie son petit, voilà qu’elle décède. Et Myra qui se borne à dire de ne pas se déranger à cause de l’événement. Bien facile à dire ça, oui, bien facile. Enfin j’espère, espérons tous, qu’ils ne vont pas pousser la rancune familiale jusqu’à laisser Octave se faire nommer tuteur de cet enfant. Soit Myra, soit la mère de Félicie, elles sauront bien, l’une ou l’autre, le sauver de ses griffes, que diable ! Le gendre de tante serait-il si peu généreux jusqu’à ne vouloir pas se prêter à la circonstance ? J’aime à croire le contraire. En tout cas, ma bien bonne, fais tout ton possible pour pacifier la question. Puisses-tu réussir. Dans cette affaire, c’est Auguste qui doit s’amuser[5] !

Que te dirais-je encore ? Ah ! puisque j’y pense, je n’ai toujours pas reçu ce colis égaré. C’est bien simple. Il te suffira de réclamer à la poste pour te le faire délivrer ; et, si tu n’as pas le temps de te déranger toi-même, tu peux y envoyer n’importe qui. Ça n’a pas d’importance. Tu dois avoir le talon de la recommandation. Il vient de Cayenne.

22 février

Tu as le culte des dates, qué ? Ça ne te dit rien, le 22 ? Bah ! il y a de la sève à présent. Courage. L’arbre pourra encore donner des fruits. J’ai lu avec un bien vif plaisir ces deux ouvrages. Magnifiques l’un et l’autre, bien que d’un genre différent. L’intrigue du Triomphe m’a paru inspirée d’une page d’histoire d’Europe centrale et méridionale, mais très librement interprétée. Les types en qui s’incarnent les diverses écoles socialistes ainsi, d’ailleurs, que leurs antagonistes sont dessinés avec beaucoup de vérité et de talent. C’est une œuvre hardie. Je le relirai encore plusieurs fois car il y a de-ci de-là des phrases à la manière d’aphorismes frappés au coin d’un rare bon sens et qui font penser. Quant à la biographie de George Sand, c’est une petite merveille de bon goût, de style élégant et de critique épurée. L’analyse en est sobre, mais profonde et très documentée. À lire, j’ai passé là de bonnes heures. Assurément que les œuvres de H.G. Wells me plaisent. Je croyais te l’avoir dit déjà. Au reste, s’il me fallait te citer tous les auteurs et les genres qui me conviennent, je crois bien que ce serait un peu long. Tu n’ignores pas que j’ai la manie des livres pour les lire, non pour les « emprisonner ».

Passons au refrain du mois. Tu m’enverras un petit pain de savon à la glycérine et une petite boîte de coco dit de Calabre (je suis allé en Calabre, mais je n’y ai pas plus vu de cocotiers que je ne vois de platanes ici). L’eau, à cause de la sécheresse qui sévit extraordinairement en cette saison, n’est pas des meilleures. Donc, ce coco me permettra de pouvoir boire un peu plus, car l’eau est tellement saumâtre que j’ai peur de me transformer en chameau tant je suis sobre. À propos de remèdes, il ne faut pas m’envoyer un laxatif quelconque pour corriger la paresse intestinale causée par le prolapsus. Je ne le prendrais pas car je ne veux plus entendre parler de purges ou de leurs dérivés. Je sors d’en prendre. Bien portant je suis, et mieux portant encore je tiens à devenir.

La place me manque pour adresser longuement mes amitiés à la famille et aux camarades, mais j’en ai encore assez pour assurer ma bien bonne de ma sincère affection,

Alexandre

P.-S. N’oublie pas de me donner des nouvelles d’Auguste, si tu en reçois, comme il est fort probable. Quant à Lorand et à Jacques, je crois bien que l’un et l’autre se moquent de Myra et l’ont en suspicion[6]. Quelle famille !

P.-P.-S. Tu devrais bien m’envoyer deux petites calottes en toile blanche que tu confectionneras toi-même ; tu sais bien, des calottes comme en portent les prêtres. Toutes simples. C’est bonnement pour me garantir du coryza. Je me suis accoutumé à me couvrir la tête.

P.-P.-P.-S. J’ai oublié de te faire des compliments du Pepto-kola. Ça me fait du bien.

Soigne-toi très bien aussi, qué, ma bien bonne. Et surtout avec ces mauvais temps, sois prudente.

Vue des îles du Salut2 mars 1912

Îles du Salut

Ma bien bonne,

Je viens de recevoir ta chère lettre et un colis contenant deux volumes : L’Espoir et La Nietzschéenne, ainsi qu’une Feuille littéraire.

Qu’est-il encore arrivé avec Jeanne? Rien de bon, sans doute. Aussi pourquoi ne pas avoir cessé toute relation à la suite de la première incartade. Avec un sujet d’une telle mentalité, égoïste jusqu’à l’avachissement, il fallait s’y attendre. Il y avait Yvonne, bien sûr, et je conçois que sans ce trait d’union, c’est bien ce que tu eusses fait. Mais, que veux-tu ? ta liberté et ta tranquillité avant tout, que diable. La raison n’est pas suffisante pour t’exposer au retour de semblable fait. Elle a de la chance d’avoir affaire à une bonne pâte comme toi. Enfin, cette fois-ci, ce sera l’ultime, je pense. Surtout, ne te laisse pas entraîner par de sentimentales considérations. Pourrie jusqu’à la moelle, elle ne mérite aucune attention. Assurément, c’est regrettable pour la petite. Mais qu’y faire ? Passer outre, renouer dans son intérêt, ne serait-ce pas alimenter, et partant, éterniser la question ? Donc, tiens-t’en à la réserve, à la non-intervention. Comme tu le dis, sa fille saura apprécier.

Alors, il fait si froid que cela ? Bigre ! Ce n’est pas gai, pour ceux surtout qui n’ont point d’abri, et ils sont nombreux. Mais qu’est-ce que tu me racontes avec cette histoire de cheval tombé, de pompiers sauveteurs et d’incendie possible ? Serait-il arrivé quelque catastrophe dans ton quartier ou plus particulièrement dans l’immeuble que tu habites ? Je ne sais que penser avec tes circonlocutions. Ce serait si facile, pourtant, de me dire exactement ce qui est arrivé, si événement fâcheux il y a eu. Ne dirait-on pas que les mauvaises nouvelles me font tourner le sang ?

Certes, ti crisi, que tu as bien fait de ne pas sortir avec un temps pareil. Si ce n’est pas au courrier du 12, ce sera à celui du 23, ou même le mois prochain. Ça ne lui presse pas plus que ça, ce livre. À un mois près, il peut attendre.

Dans ma dernière, au sujet de Laurence et de Jacques, je n’ai fait qu’effleurer un doute qui m’est venu; mais je crois fort ne pas m’être trompé. Ce silence persistant après sa lettre cordiale et plaintive, ce n’est pas clair. Sur les conseils calomnieux de l’un, l’autre, par excès de prudence, a pu supposer que la curiosité de Myra était intéressée par un mobile de malveillance. Bien sûr, c’est bête et c’est vil. Mais ignores-tu que les Jacques mesurent tout à leur [aune]. Au fond, Myra doit bien savoir qu’Auguste n’a jamais tablé sur l’un ni sur l’autre. Il n’est plus d’un âge à croire à ces sortes de miracles, j’imagine. Selon moi, s’il a conseillé sa sœur dans ce sens, c’était surtout, à l’occasion, pour aider Laurence. Ainsi, en raison de son attitude et en admettant que mes doutes soient fondés – aussi bien je me suis trompé à sa place -, leur rendrais-je la monnaie de leur pièce en les envoyant promener. Fais-en part à Myra de façon qu’elle procède comme il convient[7].

Bien triste, la fin de Betty. De désespoir, encore, passe. Tous les tempéraments n’ont pas la même force de résistance. Mais de misère ! Et en pleine civilisation, c’est-à dire au milieu de la surabondance ! Moi, en pareil cas, je me ferais plutôt anthropophage. Pour sûr. Peut-être un peu légère de caractère (si jeune) mais elle avait du cœur. Son offre en fut une sincère preuve.

14 mars

Hier, j’ai reçu lettre et colis, ce dernier contenant deux intéressants volumes : une brochure d’histoire politique, sociale et philosophique, et une biographie : Marie Stuart.

Bien bonnes, et surtout, consolantes ces nouvelles. Il vaut mieux que le père Lucien n’ait pas envoyé son petit-fils à Paris au lendemain de ce décès. Ce retard arrange bien les choses. Je croyais qu’Élisa- eût préféré l’avoir auprès d’elle plus tôt ; néanmoins, à cause d’Octave, d’une part, et de la température, de l’autre, fin avril vaut mieux que fin février. Un froid, à cet âge, est si vite attrapé. Au mois de mai, Julien- en sera informé. Qu’en penses- tu ? D’un autre côté, la famille aurait tort de lui en vouloir, parce qu’il s’est adressé aux Cainboulay au lieu d’avoir recours à sa tante comme les convenances le lui dictaient. Il doit y avoir été contraint par de plausibles motifs qu’il saura bien vous exposer lui-même au retour de son voyage. Au fond, il n’y a pas de mal, car ce sont de bien braves gens[8].

Pardieu ! Que tu as raison de ne pas sortir puisque le mauvais temps continue. Rien ne brûle. Et puis, ça brûlerait que ça serait la même chose, té.

Au mieux aussi pour Yvonne. Je veux dire pour sa mère. Tu verras que tu t’en trouveras bien.

Pour les comprimés de Maya, il est vrai, c’est d’une efficacité incontestable. Mais il est bon de te dire, lors du premier envoi d’une seule boîte je n’en usais qu’avec parcimonie, donc insuffisamment, et m’arrêtais dès qu’une légère amélioration se faisait sentir. En outre, je continuais de suivre, concurremment, les prescriptions du médecin du lieu : lavements au nitrate d’argent, au permanganate, pilules de ceci, potion de cela et autres assassineries qui me conduisirent, par la dénutrition d’abord, et la désassimilation ensuite, à deux doigts de la mort. Car c’est quelque chose, tu sais, de diminuer en poids de 17 kilos. Fort heureusement pour moi que le médecin qui me traita à mon retour de Saint-Laurent employait une méthode bien différente de celle de son prédécesseur. Le lait, d’un côté, et ce que tu m’as envoyé, d’un autre, m’ont bien remis d’aplomb. Je continue à me bien porter. N’aie crainte, va. Je ne thésaurise pas les médicaments. Ce mois, j’ai attaqué un nouveau flacon de Globéol. Il me faut ça pour équilibrer le régime alimentaire (celui que je suis), car je ne mange presque jamais de viande. Ce n’est pas qu’elle soit mauvaise. Tu dois bien penser que si elle n’était pas de bonne qualité, on ne nous la donnerait pas. En douterais-tu ?

Qu’est-ce que tu me dis ou veux dire avec mon retour en cellule. Mais il y a trente-trois mois que j’y suis en cellule. En prévention, j’étais en cellule, à Saint-Laurent encore en cellule et aux fers par-dessus le marché, à l’infirmerie, toujours en cellule et isolé, bien qu’à l’ordinaire ce local soit occupé par trois condamnés malades. À vrai dire, j’aime mieux ça. La vie en commun, en troupeau pour mieux dire, a ses désagréments quoiqu’elle offre un peu plus de libertés. De libertés ! je me demande ce que ce mot est venu faire sous ma plume.

18 mars

C’est étonnant que je n’aie pas reçu de lettre ce matin, le courrier étant passé hier. Ce sera donc pour le 25. Pourvu que ta santé soit bonne.

19 mars

Je conservais tout de même un peu d’espoir, mais en vain. Le caboteur a dû quitter Saint-Laurent avant l’arrivée du courrier anglais. Allons ! encore six jours d’attente. À moins, cependant, que le cargo-beef passe dans l’intervalle.

Je viens d’apprendre que l’horaire des courriers était changé. À partir du 17 avril il y aura un départ de Saint-Nazaire toutes les quatre semaines, le mercredi. Renseigne-toi un peu, qué ! De même pour les courriers hollandais et anglais qui, aussi, ont pu subir des changements d’horaires.

23 mars

En admettant comme certaine la date du départ du courrier français, tu m’enverras, par celui du mercredi 15 mai, de façon à ce que je le reçoive au moment de ma libération, ce qui suit : un briquet complet dont deux silex ; deux ou trois cahiers de feuilles à cigarettes ; un petit couteau de poche à extrémité arrondie, pas pointue, on ne me le remettrait pas ; un petit flacon contenant une trentaine de comprimés de chlorhydrate de quinine et enfin, une ceinture de flanelle. Qué tiradou !

Pour Julien, avant de lui donner satisfaction, pèse bien tous ses moyens. Jalouse et surtout méticuleuse à l’excès, sa femme doit tout ignorer, sinon tu vois d’ici le pastis. Aussi bien, Myra peut avoir mieux à lui offrir. En tout cas, ce sont là des choses que seule l’expérience démontre. C’est-à-dire qu’avant de se prononcer, il est bon que les essais aient donné des garanties. Ne manque pas, en lui écrivant, de lui adresser mes amitiés.

Pour Louise, ma foi, ce n’est pas ce que j’ai supposé. Je ne vois pas pourquoi tu ne répondrais pas à ses politesses. Chacun est maître de disposer de soi à sa guise. Avec celui-là ou avec un autre. La fonction ? Bien sûr. Le choix eût pu être plus heureux, pour mieux dire, plus logique. Au fond, cela ne nous regarde pas[9].

Nous voilà au 26 et point de lettre. Quelle patraque que ce service postal ! À présent je n’y compte plus avant le courrier français. Attendrai-je jusque-là pour finir ma lettre ? Cela dépendra de la date d’arrivée de la malle. Généralement, elle arrive le 29. Or le mois étant de trente et un jours, j’aurai encore le temps de répondre à tes deux lettres, car j’en attends deux, celles du 22 février et du 9 mars.

30 mars

Ce n’est pas la peine que j’attende davantage ce chameau de bateau car, même s’il arrive dans la journée, je n’aurai pas mes lettres avant lundi matin. Plutôt tardive, la distribution, ici.

T’ai-je dit que ma santé était toujours satisfaisante, je pourrais même dire excellente si je la comparais à celle du plus grand nombre de mes codétenus. Le scorbut et la diarrhée font des ravages. J’ai bien de-ci de-là quelques [illisible]. Mais c’est l’inéluctable. Les deux régimes, l’alimentaire et le pénal, ne sont pas précisément pour nous tonifier. Cela se comprend, du reste. Ainsi, depuis plusieurs jours – à cause du printemps, sans doute – j’ai le corps couvert de pustules d’acné. Mais je ne crois pas que ce soit dangereux. En tout cas, ce n’est pas douloureux. L’appétit est normal, la vigueur passable, la lucidité parfaite, donc je m’en fiche. Ce certain prolapsus m’inquiète davantage tant il me constipe. Sans moyens mécaniques, que j’ai réduits à l’introduction de petits cônes de savon dans le pertuis anal, je resterais jusqu’à sept ou huit jours sans aller à la selle. C’est pour cela que je t’ai demandé, dans ma dernière, du savon à la glycérine. Plus antiseptique et moins caustique que l’autre, je pense qu’il me réussira mieux.

Tiens ! le voilà qui siffle ce bougre d'[âne] de courrier. Allons ! j’attends jusqu’à demain pour remettre ma lettre.

31 mars

Non pas; le 30, 3 heures du soir. Un vrai miracle, quoi! Je n’ai jamais reçu aussi vivement la correspondance. Alors, tu n’as reçu ma lettre que le 27. C’est bien simple. Octave doit bien savoir pourquoi. Moi, m’en fouti. Tu as bien fait de me tranquilliser au sujet de cet incendie. Je ne savais que penser. Il vaut mieux comme cela. Laisse donc trompeter ces marchands de gloire. Tu penses ! s’ils ont dû chiper la balle au bond, manière de délayer leur méchanceté! Bah! au fond, il n’y a encore que des gens intéressés ou des imbéciles pour s’y laisser prendre. Ton fils n’a jamais cambriolé des bureaux de rédaction de La Guerre sociale ou autres feuilles similaires. Au contraire. Plus d’une fois, anonymement, leur a-t-il versé le produit partiel de ses opérations de « reprise individuelle »[10]. Au fait, laissons ces questions en paix. Te le dirai-je ? Je ne m’en souviens plus de ces brochures et, sans préjuger, il est probable que, au moins dans le détail, je ne les signerais plus aujourd’hui. Quant à l’idée maîtresse, je la trouve toujours juste, logique et ne m’explique pas cette sorte de revirement qu’a eue Élisa à te donner à entendre le contraire. Bien sûr, qué compreni ! Mais à quoi bon ?

Très heureuses les nouvelles de Lucien. Ça se dessine bien, qué ? Les nuages se dissipent, le soleil radie à l’horizon. Il en avait besoin le pauvre ! J’espère qu’à ta prochaine, tu seras un peu plus prolixe.

Tante est-elle un peu mieux ? Je l’espère, car tu as oublié de me le dire.

Amitié de ma part ainsi qu’à ta bonne voisine et aux camarades. Reçois, ma bien bonne, mes plus tendres et affectueuses caresses,

Alexandre

8 mai 1912

Îles du Salut

Ma chère maman,

Sur trois lettres et trois colis que j’attendais, je n’ai reçu que celle du 12 avril, la dernière écrite, et un livre, Humanisme intégral. Les autres ont-ils été à Cayenne ? Dans ce cas, je les aurai demain, à moins, pourtant, qu’ils ne soient perdus dans un naufrage. C’est ça qui serait ennuyeux à cause des remèdes que j’attendais. Figure-toi que, comme un fait exprès, du jour où je n’ai plus eu de Maya, l’entérite m’a repris et, pendant presque tout le mois écoulé, m’a passablement tourmenté ; même en ce moment, ça me taquine encore. Mais ce n’est pas grave. D’ailleurs, j’ai des soins. Du lait, des médicaments.

Plus sérieux doit être ton cas. Car tu as beau me dire : ma santé se maintient (phrase qui ne signifie rien), il m’a suffi de te lire pour me convaincre que tu étais malade. Aurais-tu pris froid ? C’est bien possible. À Paris, le printemps est perfide. Et puis, tu es bien triste, triste comme les choses que tu aurais à me dire et que tu tais. Bien sûr que, dans notre situation, tu ne peux pas sauter à la corde. Mais quoi, il ne faut pas non plus se dessécher de chagrin. Laisse donc le passé en paix et table sur l’avenir. À quoi bon se laisser endormir par des airs de guitare ? Il vaut mieux se pénétrer des réalités, toutes pénibles qu’elles soient, en tâchant de les vaincre, si possible. Aléatoire ! dis-tu. Mais quoi ne l’est pas ? Heureusement que Lucien n’a pas besoin d’encouragement, car ce ne sont pas ces airs de chanson qui pourraient lui donner de l’énergie.

Enfin, j’espère bien que ta prochaine lettre m’apportera de meilleures nouvelles. Je ne pense pas la recevoir avant la fin de ce mois, même dans les premiers jours de juin. Quant aux deux lettres et aux deux colis que je n’ai pas reçus, il me faut, paraîtrait-il, en faire mon deuil. Ils auraient été engloutis lors de ce sinistre maritime. Adresse une plainte au receveur du bureau d’expédition, et tu verras bien ce que l’on te répondra. Tu as droit à une indemnité ; les droits afférents aux valeurs postales étant couverts par assurance. Je dis deux colis, mais c’est peut-être trois. Sans lettres, je ne puis savoir. Depuis celui contenant L’Homme selon la science et les trois brochures d’Espéranto ainsi qu’une Feuille littéraire, je n’ai reçu que celui indiqué au début de ma lettre. C’est donc à toi de voir ce qui me manque. Vraiment, je n’ai point de chance. Moi qui tablais sur la levure de bière et les comprimés pour me retaper les tripes avant ma libération de façon à ne pas moisir en case, me voilà déçu. Il me faut attendre… un peu longtemps. Enfin, puisqu’il le faut.

Alors, tu ne trouves pas pour Joseph ? C’est pourtant bien facile. Chez n’importe quel libraire, demande le catalogue des collections Roret ou Hetzel (ce dernier, éditeur, rue Jacob, 6e), et dans la nomenclature des guides, traités, manuels (ce ne sont que des ouvrages techniques), tu y verras ce qu’il lui faut. Si possible, une édition récente, mise à jour. Tu n’as pas besoin de te déranger. Écris à la librairie Hetzel (ce nom est mal orthographié[11], vois le Bottin) avec un timbre pour la réponse et tu seras servie. Tu vois que c’est simple.

Cette perte de lettres, de colis, ajoutée à l’énervement résultant de mon malaise me rend bête comme une limace. Je ne sais plus que te dire ; à bientôt de tes nouvelles.

Amitiés à tante, à ta bonne voisine, aux camarades. Ton fils affectueux.

9 mai

Je viens de les recevoir, tes deux lettres, ma bien bonne, et, comme le courrier ne passe que demain, je pense pouvoir t’adresser à temps ce petit mot pour te tranquilliser. Tu es bien assez chagrine comme cela sans l’être encore davantage par ce faux retard. Ainsi tout va bien. Je vais pouvoir me soigner aux petits oignons de manière à être fort comme deux Turcs au jour très prochain de ma libération. Je pourrai ainsi aller au travail. J’aime mieux ça que d’être contraint à demeurer en case.

Je n’ai pas encore reçu les six colis annoncés ; mais je les toucherai certainement demain matin. M’en as-tu envoyé un tas de choses ! Très utiles pour la plupart, d’autres le sont moins. Le tube de vaseline est de ce nombre. C’est là un médicament que je puis me procurer à profusion et tant d’autres ! Pour l’opération, je ne suis pas de ton avis. Elle est, au contraire, des plus délicates. Et il ne s’agit pas de « réparation » mais bien d’ablation ! Aussi, comme ça ne me tourmente pas plus que ça, eh bien, je m’en passerai, qué ? Ça ne me dit rien qui vaille les lumières de la science chirurgicale, appliquées aux forçats du moins. Et puis, un homme opéré est un homme incomplet, même lorsqu’il ne s’agit que d’un morceau de tripe. Ma guenille m’est chère !

Que te dirai-je encore ? Que je vais mieux aujourd’hui. Que tu n’es pas très raisonnable de tout penser à la biblio car, forcément et à cause de cela, tu te négliges. Encore si c’est bien vrai que tu ne sois pas trop malade, ça ne serait que demi-mal. C’est peut-être le souci de Lucien qui t’a rendue si triste. Bah ! tu verras qu’il n’y aura rien de mauvais même en mettant les choses au pire. Perte de temps rien plus.

À bientôt de tes chères et bonnes nouvelles, ma bien bonne. Je t’embrasse bien affectueusement,

Alexandre

11 mai 1912

Îles du Salut

Ma chère maman,

Je viens de les recevoir ces colis. Quel déballage ! Rien n’y manquait; mais quelques-uns ont mal supporté la traversée, ou une visite plutôt brutale, car plusieurs tubes de coco avaient vomi leur contenu dans le paquet. Quelle salade ! Au fond, il n’y a pas grand mal. Tu m’as fait rire avec tes calottes. Il fallait en envoyer une douzaine puisque tu y étais. Quelle manie de ne pas t’en tenir à ce que je te demande. Toujours en plus. Il est vrai que condamné à perpétuité, j’ai ou j’aurai probablement le temps de les user si je les emploie.

Et la coupe. Super chic, cette coupe ! À première vue, j’ai cru que c’était des petits sacs. On dirait que pour modèle, tu as pris cette espèce de gaine crânienne qui recouvre le chef de Jules II[12]. Ce n’est pas assez de te mettre en quatre pour moi, il faut encore que je te galèje, qué ? En revanche, tu as eu joliment raison de m’envoyer ces suppositoires. Ça me soulagera beaucoup. Trop caustique, le savon dont je me servais m’irritait les muqueuses et devait me produire plus de mal que de bien. Bonne idée aussi pour la glycérine ; mais celle que j’ai reçue lui est bien supérieure. Par contre, la poudre de coco n’est pas fameuse. La traversée et le climat ont dû l’avarier. C’est te dire de ne plus m’en envoyer. Quant aux copeaux de quassia, il n’était pas besoin d’y ajouter un adjectif. On s’en aperçoit, à l’user, que ce n’est pas du miel. Mais c’est très bon, tant pour couper l’eau que pour stimuler l’appétit. J’en ai pour longtemps.

17 mai

Encore un mois et mes horizons seront moins étroits. En douceur, ça se décroche. Lorsque tu recevras ma lettre, je serai sur le camp depuis onze à douze jours[13]. Cela me fera quelque chose comme quarante-deux mois d’encellulement. Cependant, je ne suis pas encore pourri. Les microbes ne m’ont pas trop rendu vermoulu. Bien sûr, en ce moment surtout, les tripes sont un peu échauffées. Mais d’ici à la fin du mois, elles seront désinfectées, retapées, radoubées et remises à neuf.

29 mai

Ce changement d’horaires a perturbé le service postal. Depuis deux mois, toutes tes lettres m’arrivent ensemble avec le courrier français. Il n’est donc pas utile de continuer ce système. Une seule fois suffit, à moins que les autres courriers n’aient changé ou ne changent leur horaire. Selon les renseignements que tu auras à ce sujet, tu feras pour le mieux. Je t’envoie un horaire à peu près exact (à un jour près) du courrier français. Pour les médicaments, je ne pense pas en avoir besoin de sitôt. En ce moment, je suis tout à fait rétabli. Je continue néanmoins la Maya et la levure jusqu’à l’épuisement, de façon à obtenir une sérieuse désinfection. Ensuite, j’attaquerai mon dernier flacon de Globéol. Tu dois voir par là que je n’ai manqué de rien. Continue seulement de m’envoyer les Feuilles littéraires et autres lectures (quand tu en auras, s’entend) ainsi que deux ou trois cahiers de feuilles à cigarettes chaque mois. Si j’ai besoin d’autres objets, je te le dirai. J’ai reçu – j’avais omis de te l’annoncer – deux gilets de flanelle en remplacement des deux tricots trop étroits que l’administration m’avait achetés avec l’argent versé à mon pécule et provenant de la vente des quelques colis que tu m’avais adressés. C’est te dire que je suis pourvu suffisamment de linge. Ah ! j’oubliais. Figure-toi que depuis quelques mois l’un des côtés de ma moustache a complètement disparu. Il ne faut pas compter sur la repousse. C’est pourquoi je voudrais bien que tu m’envoies un épilatoire (poudre, pâte ou onguent) afin d’obtenir également la disparition de l’autre côté. Il y en a de chers et de bon marché ; mais les uns ou les autres ont tous la même efficacité. Pour mon cas, les moins chers sont même les meilleurs et le mieux sera encore de t’adresser à ton pharmacien en lui expliquant le cas et le résultat à obtenir.

5 juin

Le courrier français est arrivé depuis deux jours et de lettres, de colis, point. Qu’es aco ? Je me suis informé et je ne suis pas le seul. Nombreux sont ceux qui n’ont rien reçu. De prime réflexion, j’ai pensé à un accident te concernant ; mais ensuite, la pluralité des cas m’a fait opiner en un autre sens. La faute en est tout entière au service postal. Pas fameux, ce service, depuis que, seule, une compagnie française l’assure. Allons, patience ! Je pense recevoir les unes et les autres dans une quinzaine de jours, en admettant cependant, que le courrier, ce coup-ci, ne fasse point naufrage.

Je ne t’ai encore rien dit des livres que tu m’as envoyés. Un surtout, Humanisme intégral, m’a beaucoup plu. Tu devais t’en douter d’ailleurs. Quant aux poésies, un peu fades. Je reçois ta lettre du 13 mai m’annonçant quatre colis contenant divers objets au nombre desquels je n’ai pas lu de ceinture de flanelle. Sans doute me l’as-tu expédiée le 6. Dans ce cas, je ne la recevrai que plus tard.

Tu dois penser que je ne suis pas de bonne humeur. À l’avenir, il est un moyen bien simple d’éviter tous ces tracas. Puisque Élisa s’entête à la Voltaire, eh bien, manière de couper court à tout accident de ce genre, Augustin n’a qu’à ne plus lui envoyer son enfant. C’est même ce qu’il aurait dû faire depuis longtemps. Il n’en serait pas réduit à l’état où il se trouve. Bref, pour moi, laisse-moi en paix avec toutes ces questions de famille. J’ai assez d’ennuis comme ça sans m’en créer de nouveaux. Heureusement, ma santé est bonne. Pour le livre de Joseph, si d’ici là tu n’as pas encore envoyé celui que je t’ai indiqué dans ma dernière, je te donnerai une réponse au prochain courrier.

Remercie bien tante et ta bonne voisine de ma part de leur envoi.

Je termine, car énervé comme je suis, je trouverais encore bien le moyen de t’adresser des reproches alors que tu ne sais que faire pour m’être agréable. La faute, en ce cas, ce n’est pas à toi, sainte femme, qu’elle est imputable, mais à ce saligaud à qui Félicien fut confié. Il manque de flair, Augustin. Il est vrai aussi que situation oblige. Enfin, laissons ça là. N’y pensons plus. Le mois prochain, les nouvelles seront peut-être meilleures.

Au sujet de Louise, ma foi, tu pourrais y aller. Si tu supposes ses intentions intéressées, par les demandes, les questions qui te seront adressées, tu seras à même de savoir ainsi les réponses qu’elle voudrait obtenir. Tel qui croit prendre se trouve pris. As-tu compris ? Bien entendu, ce n’est là qu’une idée de ma part. Au fond, tu sais mieux que moi ce que tu dois faire[14].

Amitié à tante, à ta bonne voisine, aux camarades et à toi, ma bien bonne, ma sincère et inaltérable affection. Ton affectionné,

Alexandre

publicité pour le Globéol6 juin 1912

Îles du Salut

Ma chère maman,

Elles m’ont été remises hier soir, à la nuit, tes deux lettres que je comptais ne recevoir que plus tard et, cela va de soi, les colis sont arrivés aussi. Je pense les toucher demain. Ce n’est pas assez de tracas de famille, il faut encore que je te cause du chagrin avec de fausses nouvelles. Allons ! à l’avenir, j’attendrai le dernier délai avant de remettre ma lettre ; de cette façon, je risquerai moins d’être inexact.

Je le conçois, ma bien bonne, que tu sois peinée au sujet de ce mauvais sujet de gosse. Mais que veux-tu y faire ? Dans ces sortes de cas, on ne récolte que ce que l’on a semé et, on l’espère, comme je te l’ai dit déjà, il n’y a pas lieu de se chagriner. C’est fâcheux, bien sûr, mais avec un peu de patience, il sera très facile d’y remédier. Il est tout jeune et avec une meilleure éducation, il se corrigera certainement. Comme toi, ça m’a un peu énervé – il en faut si peu dans ma situation -, mais enfin ce n’est pas une raison pour s’en tenir à ce que je t’ai conseillé dans un moment d’humeur. Attends que son père ait quitté la province (ce qui ne saurait tarder) ; puis, lorsqu’il sera à Paris, ses coudées étant plus franches, il fera lui-même ce que jusqu’ici il a été contraint de confier à d’autres, dévoués, je ne dis pas non, mais peut-être peu aptes. Surtout – tu entends bien -, surtout conseille à Myra de ne pas le tracasser, le harceler par des ah ! mon Dieu ! et patati, et patata[15]. À chaque chose, il faut le temps. Penses-tu qu’il soit moins pressé qu’elle ? D’ailleurs, les jérémiades n’ont pas la vertu de faire activer les affaires. Ainsi envisagées, les choses iront beaucoup mieux et cela nous évitera, à toi comme à moi, des cassements de tête qui, en somme, ne peuvent produire que de fâcheux effets.

Il faut que je te gronde au sujet des objets que tu m’as envoyés. Pour la Maya, passe. Une boîte de réserve, c’est d’une bonne prévoyance. Mais pour le Globéol, ce n’était pas utile. J’en ai encore un flacon intact. Ignores-tu que dans les colonies les choses ne se conservent pas aussi bien que dans un climat tempéré. Autre reproche pour la quinine. De ce que tu m’as adressé, je puis en avoir des kilos en le demandant au médecin. Je t’avais demandé des comprimés et non pas des cachets. Je m’en doutais de ce coup-là. Que d’argent gaspillé. Enfin, le mal n’est pas grand. Est-il besoin de te dire de ne plus m’envoyer de médicaments. Car tu serais bien capable, manière de réparer ton erreur, de m’envoyer cette fois des comprimés. Garde-t’en bien. Je ne saurais qu’en faire. Une bonne fois pour toutes, testamenti ! ne m’envoie pas autre chose que ce que je te demande et exactement ce qui est demandé, rien plus. C’est comme pour la ceinture de flanelle : je ne l’ai pas encore vue, mais je me fiche qu’elle ne soit pas « jolie ». L’essentiel est qu’elle me tienne chaud aux tripes, lesquelles sont sensibles au froid comme une colonne de mercure. M’en envoyer une autre un peu plus tard ? Et pourquoi faire ? Attends que j’aie usé celle-là et après nous verrons. Nom d’un topinambour ! Si je te laissais faire, tu m’enverrais le magasin du Louvre.

Mais qu’est-ce que tu me racontes là, misé opération. Tu te figures que je vais me faire patouiller les andouilles pour presque rien. Zut ! je les vois bien, ceux qui ont subi cette opération ; ils sont bien plus malades après qu’avant. Renseignements pris, l’opération consiste à enlever l’extrémité osseuse de la colonne vertébrale (coccyx). Tu vois que c’est plus compliqué que ce que tu crois. D’ailleurs, je n’en ressens pas la nécessité pour le moment, toujours. Plus tard je verrai. Mais en attendant, ne te tracasse pas pour ça. Ça n’en vaut vraiment pas la peine.

Comme tu as dû t’en apercevoir, je connaissais déjà ce fameux sinistre maritime. Assurément, c’est un grand malheur. Toutes les années, en France seulement, il y cinq à six cents hommes qui sombrent dans le gouffre social du bagne. On s’en occupe moins,  rien que, si l’on voulait, ce soit là un genre de naufrage que l’on pourrait éviter. Amen !

7 juin

Bien qu’il soit l’heure où le soleil va se laver les pieds, je n’ai pas encore reçu les colis. Sont-ils seulement arrivés ? Je le saurai demain.

8 juin

Tu ne m’avais annoncé que six colis et j’en ai reçu sept. Que de choses, bon sort ! Surtout remercie bien tante- et ta bonne voisine-. Que de bonté ! Mais elle est épatante, cette ceinture. C’est tout ce qu’il me faut. Le principal c’est qu’au lavage, elle ne se rétrécisse pas. Excellente idée pour ces romans. Pourvu qu’ils soient du même genre, tu pourras m’en envoyer d’autres. Ai-je besoin de te dire que ces fleurs sont arrivées « passées » comme une momie de la première dynastie ? Quelle idée aussi de m’envoyer ça. Tu ne peux pas les laisser vivre, les plantes ? Joli, ce canif. C’est tout ce qu’il me faut. Et ainsi de tout, d’ailleurs.

15 juin

Ces jours passés, il a fait un temps abominable. Un vent, ma bonne, à déraciner les baobabs, une pluie à dessaler l’océan. Un temps, quoi, à réjouir tous les membres de la création, les pharmaciens et les marchands de mouchoirs. J’ai chopé un rhume de primo cartello. Le nez me coulait comme la fontaine de Vaucluse. Avec ça, la fièvre, la diarrhée, névralgies frontales, courbatures, etc. : en un mot, la grippe. Salope de grippe ! Enfin, c’est passé. La saison des pluies, l’hiver ici, tire sur sa fin. Vivement la bonne saison.

19 juin

Je suis libéré (de la réclusion) depuis deux jours. Le changement de régime m’a surpris, fatigué. C’est l’affaire de quelques jours et je m’en remettrai facilement.

1er juillet

En avance d’un jour, le courrier m’a apporté ta lettre du 6 juin. Mais, comme toujours, celle du 22 mai est restée en route. Je la recevrai probablement demain. Ma lettre a dû t’arriver incomplète car j’y avais ajouté un mot pour te prévenir que les colis que je supposais perdus m’avaient été remis. Jusqu’à ce jour (sauf ceux expédiés le 22 mai et le 6 juin que je recevrai demain ou après-demain), tous me sont parvenus. Tu n’as donc aucune démarche à faire. De même pour Félicie. Ne t’en inquiète plus. Tu verras que tout s’arrangera et au mieux. À présent, la situation de Lucien est des plus brillantes. Je suis convaincu que lui-même ne se doutait pas que l’enchaînement des circonstances lui serait si favorable. Je conçois qu’il en ait été étonné lui-même. Tiens-moi toujours au courant de ses affaires lorsqu’il t’écrira. Maintenant ses nouvelles seront moins rares. Tu dois le penser, bien qu’Octave soit à l’affût de ses moindres succès et cela en raison des récents grabuges qu’il y a eu dans la famille. À cet égard, je suis absolument de ton avis. Laisse-le faire. Il se fatiguera bien[16] *.

Encore des remèdes, nom de nom ! Mais, j’en ai encore de la Maya et du Globéol. Il faut en user et non en abuser, que diable ! À présent, arrête un peu, ma bien bonne. Je me porte comme un charme. C’est tout juste si l’affreuse température que nous subissons depuis quelques jours m’a légèrement indisposé. Un rhume. Borne-toi à m’envoyer quelques lectures, deux ou trois cahiers de feuilles à cigarettes, deux ou trois pelotes ou bobines de fil blanc et un paquet de mèches à amadou. Rien plus, pour le moment. Pour le livre de Joseph, envoie-lui en un pour la cuisine, mais dont le prix ne sera pas supérieur à 3,50 francs. C’est suffisant.

Amitié à tante, à ta bonne voisine, aux camarades et à toi, ma bien bonne, ma sincère affection,

Alexandre


[1] Jacob émet l’hypothèse que la Sûreté soit la cause de la disparition de Laure, ceci avec l’aide de cet indicateur.

[2] Jacob annonce à sa mère l’arrivée d’une lettre clandestine.

[3] De son vrai nom, Joseph-Désiré Moineaux (1815-1895), le père de Courteline fut écrivain, humoriste mais aussi chroniquer pour la Gazette Judiciaire et journaliste au Charivari. Il écrivit des pièces pour Offenbach. Sa satire du milieu policier, Le Bureau du Commissaire, est publiée en 1886 avec une préface d’Alexandre Dumas fils.

[4] On ne comprend pas bien qui peut être Bibyl : un ami de Marie, comme c’est le cas pour ce Vauvois que l’on retrouvera plus souvent et qui lui, plus certainement, sert d’intermédiaire en France pour réceptionner du courrier clandestin.

[5] Il semblerait que la correspondance secrète de Jacob connaisse à nouveau quelques difficultés. Ici il paraît craindre que la Sûreté ne mette la main sur un courrier, du fait d’une mésentente avec sa mère sur les destinataires de ses messages.

[6] Jacob annonce à sa mère l’arrivée d’un courrier par la filière Auguste tout en lui demandant d’agir avec circonspection à l’égard de Lorand et de Jacques en qui il n’a pas confiance (voir lettre suivante).

[7] Ici Jacob semble demander à sa mère de se méfier de deux boîtes aux lettres en lesquelles il n’a pas confiance.

[8] Les problèmes posés par l’organisation de son courrier clandestin ont retardé les projets de Jacob (une évasion ?). Craignant l’accroissement de la surveillance policière à l’approche de sa libération de cellule, il repousse ses projets. À moins qu’il ne s’agisse encore une fois que d’une question de courrier parallèle.

[9] Craignant l’intervention de l’administration pénitentiaire, « sa femme jalouse », Jacob recommande à sa mère une grande prudence.

[10] Le journal de Gustave Hervé aurait-il bénéficié des reprises des Travailleurs de la nuit ? Jacob le donne ici à penser, ce qui, encore une fois, participe de son absence de parti pris idéologique. Pour cet « entrepreneur en démolition », tous ceux qui s’attaquaient pratiquement au « vieux monde » méritaient ses redistributions. Cela nous parait toutefois bien improbable dans la mesure où le 1er numéro de cette feuille socialiste révolutionnaire et antimilitariste parait le 19 décembre 1906. Cela n’empêche bien évidemment pas un lien entre Jacob et Hervé ou Almereyda, ce dernier apparaissant dans la correspondance du bagnard sous les traits de Michel.

[11] Jacob mésestime sa mémoire : Hetzel, éditeur de Proudhon, banni après le coup d’État du 2 décembre, fonda en 1864 une maison d’édition spécialisée dans la presse enfantine et les ouvrages techniques. À sa mort en 1886, son fils reprendra la maison jusqu’à son rachat par Hachette en 1914

[12] Pape de 1503 à 1513, il organisa la Sainte Ligue pour chasser les troupes du roi de France du nord de l’Italie.

[13] Jacob ne réintégrera finalement la détention « normale » que le 17 juin.

[14] Ne recevant pas un courrier attendu, Jacob, constatant que la surveillance dont il est l’objet ne diminue pas malgré la fin prochaine de sa peine d’encellulement, demande à sa mère de ne plus utiliser une filière qu’il pense éventée.

[15] Jacob presse sa mère de ne plus s’inquiéter sur son sort. Il lui explique aussi que sa peine de réclusion se terminant, il va pouvoir se passer d’intermédiaires incapables.

[16] Libéré de réclusion, Jacob explique à sa mère qu’il lui sera plus facile de lui envoyer des nouvelles clandestines. Il lui recommande par ailleurs de redoubler de prudence par rapport à la police.

Tags: , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

1 étoile2 étoiles3 étoiles4 étoiles5 étoiles (5 votes, moyenne: 5,00 sur 5)
Loading...

Imprimer cet article Imprimer cet article

Envoyer par mail Envoyer par mail


Laisser un commentaire

  • Pour rester connecté

    Entrez votre adresse email

  • Étiquettes

  • Archives

  • Menus


  • Alexandre Jacob, l'honnête cambrioleur