Les procès anarchistes


Le procès des trente, du 6 au 12 août 1894, constitue une étape charnière dans l’histoire du mouvement libertaire français. Le coup de frein à la propagande par le fait, initialement envisagé comme un coup d’arrêt médiatique et judiciaire total, n’en est pas moins marquant. Ravachol a embrassé la Veuve le 11 juillet 1892. Auguste Vaillant l’a suivi à l’abbaye de Monte-en-l’air le 5 février 1894. Emile Henry a été raccourci 105 jours plus tard. La tête de Santo Geronimo Caserio ne va pas tarder à rouler dans le son. La mécanique à Deibler s’est nourri du sang des anarchistes et les lois dites « scélérates », celles des 11 et 15 décembre 1893 et celle du 28 juillet 1894, ont permis d’organiser une véritable chasse aux sorcières. Mais, contrairement à ce que peut affirmer Raymond Carré dans l’article qu’il donne à la revue Gavroche en mai-août 1994, la propagande par le fait a perduré. Relevons en outre le même vocabulaire d’ordre médical pour évoquer l’utilisation politique de la bombe. L’auteur parlera alors pour discréditer a posteriori une pratique politique à part entière, en reprenant les travaux de Jean Maitron qui devait estimer plus respectable l’entrée dans le mouvement syndical, de prophylaxie ou encore d’épidémie. La propagande par le fait, maladie infantile de l’anarchisme ? Cela ne fait ici, dans cet article, aucun doute.

1894 les procès anarchistes et la fin des attentats

Gavroche, n°75-76, mai-août 1994

Les attentats anarchistes furent nombreux dans le premier semestre 1894. La série se termina par l’assassinat du président de la République Sadi Carnot, à Lyon, le 24 juin.

Dès la fin de l’année 1893, le gouvernement, terrori­sé par le fait qu’un anar­chiste, Vaillant, se soit symboliquement attaqué à la Chambre des députés en y jetant une bombe (le 9 décembre 1893), prend des mesures draco­niennes contre les anarchistes en votant la « loi scélérate » du 13 décembre 1893 qui, tout en donnant des moyens accrus à la police (800 000 francs), s’attaque en parti­culier à la liberté de la presse : elle punit l’incitation aux crimes et délits par voie de presse et leur apologie ainsi que toute association de mal­faiteurs envers les personnes et les propriétés et permet, en outre, d’innombrables perquisitions et arrestations. Cette loi, jugée incom­plète par les partisans de la répres­sion à outrance, est complétée au lendemain de l’assassinat du prési­dent Carnot, le 28 juillet 1894 par la création d’un nouveau délit : « celui de propagande anarchiste en dehors des conditions de publicité exigées par l’article 23 de la loi du 29 juillet 1881 ». Dans son article 5, la loi lais­se la possibilité aux tribunaux d’interdire la reproduction des débats.

Ces lois trouvent leur application dans deux procès : celui de Jean Grave, le 25 février, et le Procès des Trente en août 1894. Avec ce dernier procès prend fin la série des attentats anarchistes débutée par Ravachol, trois ans auparavant.

Samedi 25 février 1894, Jean Grave, qui vient de publier un ouvrage intitulé : La Société mouran­te et ¡’Anarchie est arrêté et jugé sous l’inculpation de provocation au vol, à l’indiscipline et au meurtre, ainsi que du délit d’apologie de faits qualifiés crimes par la loi.

Son défenseur, Maître de Saint-Auban cite quatre témoins : Elysée Reclus, Octave Mirbeau, Paul Adam et Bernard Lazare lesquels attestent de l’honnêteté et de l’esprit supé­rieur de l’auteur. « Je serais très glo­rieux d’avoir écrit son livre ! » s’excla­me Paul Adam. Le réquisitoire de l’avocat général Bulot dure plus de deux heures et l’avocat de la défense termine sa longue plaidoirie en implorant : « Jurés de la fin de ce siè­cle, ne soyez pas persécuteur ! ». Jean Grave est toutefois condamné à deux ans de prison et mille francs d’amende.

Pendant ce temps, les attentats continuent : le 12 février, explosion à l’hôtel Terminus, qui fait un mort ; le 20 février, explosion au Faubourg Saint-Jacques qui fait également un mort et le même jour, explosion dans la rue Saint-Martin ; le 15 mars, l’anarchiste Pauwels saute avec sa bombe à La Madeleine et le 4 avril, c’est l’explosion du restaurant Foyot. Emile Henry accusé de l’attentat du café Terminus est arrêté, condamné à mort et exécuté le 21 mai. Enfin, le 24 juin, c’est l’assassinat du président Carnot par Caserio qui est exécuté le 15 août.

Le Procès des Trente

C’est le procès des hommes qu’on a nommé les Intellectuels de l’anarchie doctrinale, par opposition aux Propagandistes par le fait. Le gou­vernement, par le bras de sa police, avait décidé de frapper un grand coup pour en finir avec les théori­ciens et les propagandistes anarchistes. Sous prétexte d‘association de malfaiteurs, trente personnes sont déférées aux assises de la Seine par arrêt de la chambre des mises en accusation du 10 juillet 1894.

Le procès, qui passionna l’opinion publique, se déroula du 6 au 14 août 1894 sous la présidence de M. Dayras et de l’avocat général Bulot – l’homme des procès anarchistes – qui occupe le siège du ministère public.

Sur les trente personnes accusées, cinq ont pu fuir : Paul Reclus, le neveu du savant Elysée Reclus, Cohen, jeune écrivain étranger, Duprat, Martin et Emile Pouget, le directeur du Père Peinard. Ils seront condamnés par contumace, par arrê­té du 31 octobre 1894 au maximum de la peine, soit vingt ans de travaux forcés.

LA PRATIQUE DU DROIT A L’EXISTENCE CHANT ANARCHISTE

S’il est un droit primordial, Pour sûr, c ‘est le droit à la vie ; Sous le règne du capital, L’existence nous est ravie ; Ce droit nous devons l’affirmer, Tous les moyens sont bons, que diantre ! Tout est permis, voler, tuer.

Si vous n ‘avez pas de turbin C’est la faute au capitaliste, Prenez partout le pain, le vin, Et watrinez qui vous résiste.

Cette chanson aurait été retrouvée, parmi une vingtaine d’autres, dans la malle d’un compagnon lors des répressions policières 1894. Chansons destinées à la propagande anarchiste, elles étaient vendues 10 cen­times.

On y relève les titres : Faut plus de gou­vernement ; Le chant des peinards ; Les grands principes ? J’m’assois dessus ; Conscrits insoumis…

Les vingt-cinq accusés présents sont : Jean Grave, Sébastien Faure, Chatel, Ledot, Matha, Agnéli, Bas­tard, Paul Bernard, Brunet, Billón, Soubrier, Daressy, Tramcourt, Cham­bón, Malmaret, Fénéon, Chéricotti, Ortiz, Bertani, Liégeois, la veuve Milanaccio, la fille Cazal, la femme Chéricotti, la veuve Belloti et Louis Belloti.

L’échantillon est complet, on a volontairement mis sur le même banc intellectuels et accusés com­promis dans des affaires de droit commun : il s’agit de prouver qu’il y a entre eux entente, dans le but de former une association de malfai­teurs et ainsi de justifier les mesures sévères prises à leur égard.

A côté de Jean Grave, principal rédacteur de La Révolte, moderne théoricien de l’anarchisme scienti­fique, est assis Sébastien Faure – le défroqué – infatigable orateur, apô­tre du nouveau système. Il y a Charles Chatel, le directeur de la Revue libertaire ; Félix Fénéon, employé au ministère de la guerre, collaborateur de L’En-dehors et de la Revue Blanche, le « critique aigu » comme l’a appelé Mallarmé ; Matha, gérant de L’En-dehors, l’ami d’Emile Henry.

Le tribunal s’efforce de prouver l’existence de la fameuse association de malfaiteur, mais comme les anar­chistes étaient, à cette époque, hos­tiles à toute entente, les accusés n’ont aucun mal à réfuter l’accusa­tion sur ce point. De plus, les intel­lectuels anarchistes reçoivent de nombreux témoignages de sympa­thie qui influencent manifestement le jury.

Sur le même banc, des voleurs – il faut rappeler que pour les anar­chistes illégalistes, le droit au vol est pour eux le droit à la vie en marge de la loi – comme le coquet Ortiz et ses amis italiens. Avec eux, l’accusa­tion est plus à son aise. Il y a des preuves de leurs larcins puisqu’on a trouvé chez eux des objets volés.

Après une semaine de débats, l’avocat général Bulot dans son réquisitoire tente, malgré l’absence de preuves, à prouver malgré tout qu’il y avait eu entente entre les théoriciens et les illégalistes, et demande un verdict sévère pour ceux qu’il considère comme les meneurs. Les avocats de la défense ont la partie belle pour démontrer qu’il n’y eut jamais aucun contact entre les accusés, lesquels bien sou­vent ne se connaissaient même pas. La parole est donnée aux jurés qui reviennent avec un verdict d’acquit­tement général, sauf en ce qui concerne Ortiz, Chéricotti et Bertani respectivement condamné à 15 ans et 8 ans de travaux forcés et à six mois de prison.

Il est vrai qu’à la suite de ce juge­ment les attentats anarchistes pren­nent fin. Est-ce à dire que ce verdict de clémence d’une part, et que les mesures policières excessivement sévères prises à l’égard des anar­chistes d’autre part sont les raisons suffisantes à cet arrêt des violences ? Comme le souligne Jean Maitron dans son Histoire du Mouvement anarchiste en France : « … cette pro­phylaxie eût été bien insuffisante si une autre cause plus sérieuse n’eût joué en faveur de leur disparition ». Et l’auteur rappelle que depuis 1892, le rapport des forces bourgeoisie- prolétariat avait subi des modifica­tions profondes et « un sentiment nouveau de force collective suscep­tible de conduire à l’émancipation des travailleurs allait orienter peu à peu les propagandistes libertaires dans une autre voie. Cette force nouvelle était le syndicalisme avec sa panacée : la grève générale iden­tifiée à la Révolution ».

Le développement de la Fédéra­tion des Bourses du Travail qui, au congrès de Nantes en 1894 allait tenir un congrès unique avec les syndicats guesdistes et dont l’anar­chiste Pelloutier deviendra le secré­taire général en 1895, constitue le premier jalon de la future Confédé­ration Générale du Travail. Nombre d’anarchistes, dont la majorité ne s’identifiait pas aux méthodes « terro­ristes », trouvèrent là un moyen de s’exprimer.

L’ORIGINE DES ATTENTATS ANARCHISTES
C’est pour venger Descamps, Dardare et Léveilié, victimes de brutalités policières le 1er mai 1891, que Ravachol déposa ses bombes. Elevé au rang de martyr de l’Anarchie, Ravachol devait susciter des vengeurs qui, devenus martyrs à leur tour, engendrèrent de nouveaux terroristes… Telle est la cause fortuite qui fut à l’origine des attentats.
Certains facteurs contribuèrent à favoriser l’extension de l’épidémie plutôt qu’à l’enrayer. A cet égard, on peut penser que l’attitude des groupes socialistes, du parti guesdiste en particu­lier, attitude qui se différenciait guère dans son hostilité de celle des partis bourgeois, renforça, par réaction, la solidarité des compagnons à l’égard des propagandistes par le fait.
L’action terroriste trouva de plus un aliment dans la corruption des élus de la nation dont un tiers était compromis dans le scandale de Panama.
Enfin, il convient de signaler combien la presse contribua à créer une psychose collective de l’attentat. Durant ces années troubles, les journaux tinrent une rubrique quotidienne de la dyna­mite ; Ils multiplièrent Interviews et reportages sur ce thème, ce qui, dans une certaine mesure, ne put qu’encourager les vocations.
Extrait de l’Histoire du mouvement anarchiste en France (1880-1914) de Jean Maitron.

Raymond Carre

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Un commentaire pour “Les procès anarchistes”

  1. Clement Duval dit :

    Oui la propagande par le fait, pratique a part entiere de l’anarchisme hier comme aujourd’hui n’en déplaise a certains pseudo anarchistes (dont certains mangent dans les rateliers de la politique politicienne et de la franc maconnerie)) qui voudrait sous couvert de respectabilitée institualiser et domestiquer l’anarchisme en faisant table rase de la « revolte « .
    Ouvrant les yeux, soyants vigilants(es) et rejettons avec fermeté ces fossoyeurs de l’anarchisme .

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