Lettres du Zoo de Ré 2


Aussi courtes soient les deux lettres qui suivent, elles n’en soulèvent pas moins trois points importants. Alexandre Jacob explique d’abord à sa mère le régime de la correspondance carcérale : un courrier par mois, plus si le prisonnier n’a pas été puni. Puis il la rassure sur sa santé. Le thème médical est récurrent dans la relation épistolaire entre le fils et sa mère. Il donne lieu à des formules particulièrement imagées. Le numéro d’écrou 4043 souffrirait ici de la maladie des soupes de prison : Je suis maigre ! Mais la question qui occupe finalement la majeure partie des deux lettres est celle de l’avocat chargé de la défense de Marie Jacob dans le procès de Laon qui doit se tenir le 25 septembre. Parmi les avocats parisiens présents à Amiens, nous pouvons retrouver seulement Mes Justal, Fabiani, Lagasse, Hesse et Silvy. Les autres avocats ont donc été commis par la cour d’assises de la préfecture de l’Aisne. Me Philippe n’assiste donc plus sa cliente d’Amiens : Rose Roux. La date du procès est très certainement la cause de cette absence qui aurait aussi pu être celle de l’avocat de Marie Jacob. Celle-ci s’en est inquiétée auprès de son fils qui conseille le 19 septembre de prendre un avocat commis d’office au cas où Me Justal ferait défection, ce qu’il ne semble pas croire d’ailleurs.

la citadelle de Saint Martin de Ré10 septembre 1905

Chère maman,

Tu m’as écrit avec trop de célérité car deux jours plus tard tu aurais reçu de mes nouvelles.

Comme tu peux t’en rendre compte par la présente, il est bien dit dans l’une des notes imprimées en manchette que l’on ne peut écrire qu’une seule fois par mois, mais en faisant une demande préalable il est toléré de correspondre chaque dimanche. Bien entendu, cette tolérance n’est accordée qu’à condition de n’être point puni.

Est-ce bien vrai que tu vas mieux ? Ne me disais-tu pas cela manière de m’éviter du chagrin ? Dans ce cas tu aurais tort, car tu dois savoir que je suis accoutumé à recevoir les abordages en pleine poitrine ; je n’aime pas les situations obliques. Aussi te prierai-je, dans ta prochaine, de me dire l’exacte vérité à cet égard. N’y manque pas.

Quant à moi, dans ma dernière, je t’ai dit ce que j’avais : la maladie des soupes de prison, je suis maigre. D’autre part, avec l’hiver, il me va falloir compter avec ma bronchite ; mais j’espère pouvoir me faire prescrire de l’huile de foie de morue, de sorte que je ne souffrirai pas trop. D’ailleurs, c’est le dernier hiver que je passe dans les régions tempérées ; vers la mi-décembre, à ce que l’on dit, je partirai vers l’exotisme. Je n’ai donc plus que trois mois d’attente. Si j’allais à Laon, cela me serait un agréable intermède ; mais, comme je te l’ai dit déjà, je ne crois pas y aller. Du reste, tu seras fixée à ce sujet lorsque tu recevras la liste des témoins. Fais-m’en part.

Je ne suis pas moins étonné que toi du silence de M. Develay. Renseigne-toi auprès de M. le gardien-chef de Laon afin de savoir si tes lettres ont été expédiées. À vrai dire, je te conseille là une démarche inutile, puisque dans la négative, on t’en aurait prévenue. De même, si tu avais reçu une ou plusieurs lettres et que l’on n’ait pas jugé à propos de te les remettre.

Pourquoi veux-tu écrire à Me Justal ? Que lui diras-tu ? Que la date du procès est fixée au 25 septembre ? Crois-tu qu’il l’ignore ? Va, garde donc les 15 centimes du timbre pour acheter un hareng saur. Sois sans inquiétude, le moment venu, il sera à Laon. Présentement, il est à Luchon, aux eaux thermales, en train de faire sa cure électorale tout en buvant de petites tasses d’eau chaude. Quel veinard !

Tu m’as assez dit qu’Yvonne était toujours malade, mais tu ne m’as pas dit si elle était à Paris ou à Berck. L’aurait-on retournée à sa mère ? Réponds-moi de façon à ce que je reçoive ta lettre le vendredi ou le samedi.

Je t’embrasse bien affectueusement. Mille baisers à Rose.

Sincères amitiés aux camarades,

Alexandre

19 septembre 1905

Chère maman,

Il n’est pas utile que tu te pourvoies en cassation ; du reste, au moment où tu recevras cette lettre, ce conseil sera tardif ou il ne sera plus temps. À défaut de vos précédents défenseurs, faites-vous-en désigner d’office ; et lorsque ces derniers viendront vous visiter pour conférer avec vous, dites-leur de vouloir bien demander à Mes Justal et Philippe toutes les pièces vous concernant. N’écrivez plus vous-mêmes. En raison de ton état de santé, je te conseille de ne point te rendre aux audiences.

Je ne m’étends pas plus cette fois. Je serai moins bref à la prochaine.

Je t’embrasse bien affectueusement. Mille baisers à Rose.

Sincères amitiés aux camarades,

Alexandre

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