Jacob anarchiste ?? Parfaitement !!


La violence, les atteintes à la personne comme à la propriété peuvent-elles être considérés comme des actes révolutionnaires et politiques à part entière ? La question se pose chez les anarchistes dès le départ et le vol suscite de nombreux débats à partir de l’affaire Clément Duval (1886). Pour les uns, à l’image de Grave et de l’équipe des Temps Nouveaux, le voleur ne serait, comme le bourgeois, qu’un parasite social. Pire, certains useraient même de l’idéal libertaire comme d’une excuse facile à la jouissance des biens dérobés. Mais le vol peut être aussi considéré comme un acte individuel normal, justifié, légitimé par la nécessité de subsister, de réagir face à une insolente paupérisation des masses. Est-il politique pour autant ? A cet égard, l’article d’Armand Beaure va dans le même sens que L’erreur de Jacob, papier que signe Victor Méric dans Le Libertaire du 23 avril 1905. Jacob anarchiste ?? Parfaitement !! Le titre paraphrase bien évidemment la brochure de Fortuné Henry sur Ravachol édité en 1892 par la Bibliothèque Anarchiste. Mais il tranche définitivement, par le biais des deux points d’exclamation, la question épineuse de l’appartenance au mouvement libertaire dès qu’un individu se réclamant de lui se retrouve dans une salle d’audience de cour d’assises pour un délit droit commun revendiqué par lui et de prime abord au nom de la Cause. En réalité, le texte de Beaure vise moins à affirmer l’idéologie libertaire d’Alexandre Jacob, que Germinal a entendu de toute façon dès le départ, qu’à désapprouver avec force et le manque hypocrite d’intérêt pour le procès des Travailleurs de la Nuit, et la condamnation sans appel de la part des leaders anarchistes et socialistes. En 1927, Ernest Armand publiait une brochure posant finalement la même question, L’illégaliste anarchiste est-il notre camarade ?, et révélant de facto que le débat n’était toujours pas clos. En 1905, l’équipe de Germinal n’a cure de ces stériles controverses et affirme bel et bien son amitié et ses salutations révolutionnaires à Jacob et aux Travailleurs de la Nuit.

Germinal

n°14

du 23 avril au 07 mai 1905

Jacob anarchiste ?? Parfaitement !!

Point n’est besoin d’être cambrioleur pour être anarchiste, et la plupart des cambrioleurs ne sont pas anarchistes. Disons en passant que beaucoup d’individus traduits devant Thémis se réclament de ce titre, sans en avoir jamais compris la portée. Cette déclaration est toujours accueillie avec enthousiasme par les chats-fourrés et les pondeurs de copie sensationnelle, pour jeter comme obstacle à notre propagande le produit nauséabond da la société chère à leur cœur, que nous voulons anéantir.

Nous, anarchistes, qui à l’opposé des politiciens, recherchons moins le nombre que la qualité des individus, nous n’avons pas à cacher nos sentiments. Tant pis si les doctrines que nous propageons et que nous croyons saines sont admises avec lenteur. C’est des individus qu’il faut à nos cotés, non des timorés ou des girouettes. C’est pour cela qu’aux institutions bébêtes ou perfides des biens pensants, nous disons : oui, on peut être anarchiste et cambrioleur. Jacob est de ceux là.

Pour prouver la véracité de ce que j’avance, j’offrirai volontiers, aux contempteurs de ma thèse, un débat contradictoire. Et, plagiaire, je me contenterai de m’armer des déclarations de Jacob parue sur « Germinal ; j’estime que cela me serait suffisant pour détruire toute thèse contraire.

Comment ! Il n’est pas permis à un anarchiste, que le rôle de bête de somme da   ns un bagne patronal répugne à sa dignité d’homme, et souvent à sa santé, de troubler la digestion, la quiétude d’un banquier, magistrat, général, prêtre ou rentier, en leur reprenant tout ou partie de ce qu’ils ont volé lâchement ! Quel puffisme ! En contestant à un homme le droit à la révolte – et ce sont des actes de révolte que Jacob et ses malheureux amis ont commis – c’est lui contester son droit à l’existence, existence que tout être doit rêver faite de moins de personnes possible.

Qu’on ne nous objecte pas que Jacob et ses amis œuvraient comme des bourgeois, le bourgeois étant par nous traité de voleur. Ce dernier ne s’expose qu’à la peine de palper l’or, produit de notre sueur, du vol, de l’assassinat lent mais sûr, secondé par tous les rouages autoritaires, adulé par les « honnêtes gens ». Jacob et ses amis ont exposé leur vie, leur liberté, et je crois que le cambriolage ne s’accomplit pas souvent sans avoir peiné. Les cambrioleurs, à l’opposé des bourgeois, ont tout contre eux, y compris l’anathème de certains personnages, dont parfois ils ont amélioré le sort, en les faisant bénéficier du produit de leur travail. Il en fut ainsi pour Ravachol.

Oh, les honnêtes gens ! Zola a bien dit le mot qui leur convient. Depuis l’affaire Jacob, j’ai conversé avec plusieurs, et voici grosso modo le raisonnement que me tenait un qui se targue de socialisme.

« Jacob, chenapan, bandit, maquereau, assassin de plusieurs femmes »

– Mais, dis-je, riant de ce langage, et songeant aux oublis de l’acte d’accusation de notre ami, vous avez pris cela dans les journaux bourgeois ; lisez donc le procès et les déclarations de Jacob parus dans « Germinal » dont vous avez le numéro en poche et je crois que tout autre sera votre opinion.

« Pas besoin, je suis fixé et me désintéresse de ces bandits », me répondit mon intellectuel socialiste. Puis, faisant tournoyer sa canne, il me quitta en murmurant « Messieurs, les libertaires, grâce à l’unité et à Jacob, nous dégringolerons vos théories ». Je ne pus répondre que par un formidable éclat de rire, pensant que ce citoyen crèverait de faim, honnête homme.

Oui, il est des gens qui disent rêver d’un meilleur devenir ; révolution future, société future, beaux mots dont ils ont plein la bouche. Quant au présent, tant pis si d’autres et eux-mêmes se serrent le ventre.

Nous aussi, nous rêvons d’une révolution collective qui sera le couronnement de nos efforts individuels pour son avènement ; nous aussi, nous rêvons d’une société où le vol sous toutes ses formes aura disparu, mais en attendant demain, aujourd’hui, il nous faut vivre, et si nous sommes trop lâches ou inhabiles, pour commettre les actes qui nous permettront de patienter, la réalisation de notre rêve, du moins ayons le courage d’applaudir ceux qui plus virils agissent sans se soucier du blâme des pantins et des « honnêtes gens ». C’est pourquoi nous disons : Jacob est anarchiste.

Armand Beaure

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