Le temps des procès


Claude et Marius 4

On pourrait se lasser des écrits d’un ancien colonel narrant les péripéties d’un ennemi social. Le quatrième article de Claude Nerrand, paru dans La Nouvelle République du Centre Ouest le 19 juin 1993, fait se rencontrer chez Mme Bontemps, épicière à Reuilly, Maxime Baron et Marius Jacob. Le premier assura comme gendarme le transport sur le Loire des condamnés aux travaux forcés vers la Guyane. L’histoire du second est connue. Mais, ici, le président de l’office du tourisme de Reuilly commet l’imprudence de s’inspirer de la première biographie commise par Bernard Thomas en 1970 pour écrire son papier. De fait le forçat 34777 perd 300 points dans son numéro de matricule. Cela n’est rien bien sûr. Mais une réelle recherche en archives aurait permis d’éviter de se tromper de condamné au bagne. Cela n’est rien bien sûr même si la science historique a le souci de l’exactitude dans la narration. Il est ainsi intéressant de noter que le titre de l’article induit le lecteur dans l’erreur chronologique. Claude Nerrand va nous parler du bagne subi par Jacob pendant dix-neuf ans … et c’est la narration de l’extraordinaire procès d’Amiens (du 08 au 22 mars 1905) qui défile sous nos yeux éberlués.

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19 juin 1993

A la découverte de Marius Jacob

Le matricule 34 477 pendant dix-neuf ans

IV – Deux après son arrestation s’ouvre le procès de Marius Jacob. Dans une ambiance houleuse, il est condamné aux travaux forcés.

Habitant le Bois Saint Denis, à partir de 1940, Marius descend presque chaque jour à Reuilly pour faire ses courses. Négro, son cocker noir, le suit, balayant avec ses longues oreilles le passage de Marius qui tient dans sa main droite un grand sac noir rectangulaire.

A l’épicerie de la rue Jean Jaurès, il pénètre de son pas pesant : « Bonjour Madame Bontemps. »

–          « Bonjour Monsieur Jacob », répond l’épicière occupée à servir Maxime Baron, ancien gendarme.

Ce dernier se retourne vers Jacob et lui dit : « J’ai connu autrefois sur la Loire le bateau de transport des bagnards quelqu’un portant votre nom ».

–          « Je le sais, répond calmement Jacob, il y avait longtemps que je vous avais repéré. »

Les deux hommes se sont compris. Pas un mot de plus. Ils sont ennemis. Même à Reuilly, dans ce pays où il ne se passe jamais rien, quelqu’un connait le passé de Jacob.

Marius, arrêté près d’Abbeville en 1903, le procès d’Amiens « des Travailleurs de la nuit » s’ouvre le 8 mars 1905. L’instruction a duré deux mois. Le dossier comporte plus de 20 000 pièces. L’acte d’accusation renferme 161 pages. Sur une table assez grande, installée devant les jurés, tout l’arsenal de la bande est étalé comme pièces à conviction. « des outils merveilleux », écrit plus tard le reporter de « la Voix du Nord ».

On craint des troubles. Depuis plusieurs semaines, les anarchistes se sont réunis criant « Vive Jacob ! » et ont ameuté l’opinion. La salle du tribunal est pleine à craquer, envahie par un public énervé. Assis tranquillement dans le box des accusés au milieu de vingt-deux complices, Jacob, le melon sur la tête, le sourire aux lèvres, regarde d’un air amusé la cour qui s’installe avec l’effet théâtral qui accompagne une telle entrée.

–          « Découvrez-vous ! », crie le président

–          « Pourquoi ? N’êtes-vous pas couvert ! »

–          « Levez-vous ! »

–          « Pourquoi ? N’êtes-vous pas assis ! »

–          « Êtes-vous d’accord sur le choix des jurés ? »

–          « Je ne suis d’accord avec personne, répond l’accusé. Mes amis et moi ne reconnaissons à personne le droit de nous juger. »

Défendu par Me Justal, Jacob s’attribue la paternité des tous les méfaits et déclare que c’est lui qui a abattu l’agent de Pont Rémy. Après examen minutieux, la cour attribue cet acte à Bour, son complice et élève.

Cynique, parfois violent, amusant, drôle, Jacob mène le jeu. Les témoins défilent à la barre. Le sacristain de Saint Godard énumère ce qui a été volé. « C’est tout, enchaîne Jacob, vraiment tout ? Mais savez-vous que ce n’est pas beau de mentir pour un sacristain … Dites aussi ce qu’il y avait dans le placard. Allons, vous savez, ces gravures du genre Fragonard. »

A chaque témoin, il argumente, fait rire la salle par quelques bons mots ou anecdotes complémentaires et devient peu à peu le bandit bien aimé. « Je suis un révolté vivant du produit de ses vols. J’ai incendié plusieurs hôtels. J’ai défendu ma liberté contre l’agression des agents du pouvoir … Disposez de moi comme vous l’entendez. Envoyez-moi au bagne, à l’échafaud, peu m’importe. »

Les vingt-deux « Travailleurs de la nuit » crient parfois « Mort à la bourgeoisie, vive l’anarchie » Jacob, chef de la bande, est expulsé, mais le 22 mars le tribunal condamne Alexandre Marius Jacob aux travaux forcés à perpétuité avec son acolyte Bour.

Le procès d’Orléans, lui, ne dura qu’une journée, le 24 juillet 1905, et de nouveau Jacob est condamné à vingt ans de travaux forcés pour « vols qualifiés et violence à agent ».

Dans sa cellule, il écrit à sa mère qui restera sa fidèle correspondante pendant toutes ces années de bagne. « C’est bon pour les honnêtes gens que de pleurer et de souffrir. Et puis, j’ai hâte d’être rendu au bagne pour le voir avec ses grandeurs, ses lâchetés, ses bassesses, ses passions et ses révoltes. J’y trouverai des âmes fidèles. Combien d’hommes qui ne peuvent en trouver nulle part ? »

Mais Alexandre Marius Jacob n’est déjà plus Jacob, pour dix-neuf ans il est seulement le matricule 34 477.

C.N.

Prochain article : « Les clés du salut »

Lire nos précédents articles dans nos éditions du 4, 9 et 12 juin

Expo au syndicat d’initiative : du mardi au dimanche, de 9h à 12h et de 15h à 18h. Fermé le lundi. Visites commentées à la demande.

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