PVB


Godelure tenait en grande estime son copain Pierre Valentin Berthier ; en lisant les quelques lignes qu’il nous a envoyées le 02 juillet dernier, nous nous apercevons qu’il s’agit certainement plus que de l’estime. Une communauté d’esprit devait rapprocher ces deux pacifistes invétérés soudés par une amitié de plus de trente ans comme aurait pu dire l’autre. Mais, il y a peu, PVB est passé centenaire de l’autre côté du décor. La presse « amie » n’a hélas que très peu évoqué le poète, l’homme de lettres, le militant anarcho-pacifiste, l’ami de tant de compagnons libertaires dont Alexandre Jacob. L’autre presse non plus d’ailleurs. Godelure lui rend un ultime et magnifique hommage. Ce n’est pas une oraison funèbre car les morts sont tous de braves types. C’est la reconnaissance de la rectitude faite homme. C’est l’histoire d’un mec loyal, honnête et droit.

Pierre Valentin Berthier

Le Jacoblog lui  a consacré une touchante nécro, Pierre-Valentin Berthier, un des derniers amis de Jacob, s’est éteint le 6 mai 2012.

Seule désormais, Josette Duc peut encore évoquer l’honnête cambrioleur, dont elle conserve un souvenir éperdu.

Il avait connu, fréquenté régulièrement Jacob pendant plusieurs années à Issoudun, jusqu’à ce qu’il émigre à Paris en 1951.

Né en 1911, il avait donc 40 ans.

Il doit être possible de retrouver dans la quantité de ses écrits, l’origine de sa « foi » libertaire, et celle de son pacifisme intégral .

Auteur prolifique, on lui doit des centaines d’articles dans divers périodiques, toujours en rapport avec ses trois passions : l’anarchisme, le pacifisme, la langue française.

Idem pour ses romans et nouvelles .

Quant à ses recueils de poèmes, c’est un régal par leur perfection certes, leur « orthodoxie » aussi, mais surtout par leur signification. Berthier ne perdait pas son temps à rimailler inutilement. Ses poèmes étaient en fait majoritairement des poèmes de combat.

Paradoxalement, malgré un talent incontestable, il n’a jamais gagné sa vie avec sa plume, sauf bien entendu pendant sa période de journaliste localier à Issoudun, de 1936  à 1951.

Il nous rappelait ironiquement qu’il avait toujours eu la guigne avec les éditeurs.

La grande masse de ses écrits est nous l’avons dit plus haut, constituée d’articles bénévoles pour des publications militantes.

C’est donc son métier de correcteur d’imprimerie qui lui permettait de faire bouillir la marmite. Même à l’époque où il tenait une librairie à Paris.

Si l’on voulait choisir un mot qui résume Berthier, ce pourrait être RECTITUDE, même s’il ne semble pas avoir collaboré avec le périodique pacifiste éponyme des années trente.

Parce qu’à l’âge de vingt ans, confronté à l’appel sous les drapeaux, il s’est déclaré incompétent et a donc logiquement refusé d’endosser l’uniforme, ce qui lui a valu arrestation et privation de liberté. Il aurait même pu y laisser sa peau si l’on en croit cette brève extraite de : « La Patrie Humaine » de janvier 1933 :

P.-V.Berthier est très malade

A la suite des vexations dont notre ami Pierre-Valentin Berthier a été la victime de la part des autorités militaires, sa santé est gravement compromise.

Les dernières nouvelles que nous recevons sont bien inquiétantes. Il est au lit depuis le 27 décembre, écrivent ses parents, et ne fut à peu près bien que le jour où il rédigea la lettre que la Patrie humaine a publiée. Il se plaint de souffrances intolérables dans la tête. Le médecin défend toute visite et toute lecture. Sa vie est en danger.

Il est incontestable que ce sont les souffrances endurées par Berthier, lors de son arrestation arbitraire, qui l’ont mis dans cet état. Nous souhaitons pour les autorités responsables qu’aucune issue fatale ne soit à déplorer.

Presque aussi fort qu’Eugène Bizeau, autre poète anarcho-pacifiste réformé lui, pour faiblesse de constitution, et décédé à 105 ans !

Le 18 septembre 2011 donc, Pierre-Valentin franchissait le cap des 100 ans, entouré de sa famille, c’est à dire de ses deux petites filles et leur mère récemment veuve de Claude, son fils unique, et de quelques amis dont Bertrand Ledoux, d’Issoudun.

Si l’on fête le centenaire d’une naissance, il faut reconnaître qu’à part une hygiène de vie exemplaire, c’est surtout la chance ou le hasard qui font que…

Par contre, ce qu’il était légitime de fêter, c’étaient les 80 ans de militantisme anarcho-pacifiste de notre ami.

80 ans de fidélité à un idéal pas toujours facile à défendre.

80 ans de rectitude, de réflexion, d’observation, d’écoute, de compassion, d’entraide, de solidarité, d’attachement au respect de l’autre tout en combattant ardemment ses idées.

Pierre-Valentin n’avait pas d’étiquette. Il  reconnaissait défendre les thèses anarchistes individualistes, par défaut selon lui-même (cf son entretien dans Jacoblog) du fait que « l’anarcho-communisme, doctrine parfaite si la psychologie humaine acceptait un jour de s’y convertir », n’était malheureusement pas pour demain.

Il revendiquait son pacifisme intégral, c’est à dire sa conviction que pour obtenir la paix universelle, il suffirait que les hommes refusent individuellement d’apprendre à utiliser des armes, et collectivement  d’en fabriquer. Cela s’appelle l’Objection de conscience, individuelle, et collective.

Il adhérait bien évidemment à la sentence de Han Ryner :

« Beaucoup se contentent de ne pas vouloir la guerre ;

moi, je veux la Paix. »

Jamais on ne l’a lu se proclamer écologiste.

Et pourtant, il l’était, et de la première heure !

Il suffit pour s’en convaincre, de lire son « Billet de Paris » dans La République du Centre du 23 novembre 1976. Il  y évoque le fer et son histoire, pour terminer ainsi :

« L’avouerai-je ? Quand je vois écorcher vive cette infortunée planète nourricière, raclée, fouillée, forée, excavée, à sa surface et dans ses profondeurs, je souffre de ses plaies incurables, comme si c’était ma propre chair qu’on martyrisait. »

Si ce n’est pas une conscience écologiste, qu’est-ce que c’est ?

Plus proche de Pierre Rabhi assurément que des pétaradants Arthus Bertrand et Monsieur Hulot , que des vitupérants Placé, Duflot, Cohn Bendit ou même Mamère !

On l’a parfois qualifié de « Père tranquille de l’anarchie », parce qu’il ne prenait jamais bruyamment la parole dans les assemblées, parce qu’il ne saccageait jamais rien dans les rues pour faire valoir son point de vue, parce qu’il ne s’imposait jamais.

Son arme, c’était sa plume, son talent d’écrivain tellement efficace, parce que c’est bien connu, les écrits restent, alors que les gueules de flics lapidées, ça cicatrise. Sans parler de ce que jamais un pavé dans la gueule n’a convaincu qui que ce soit.

Je n’irai pas jusqu’à dire que Berthier convertissait les C.R.S. avec sa prose, ou ses vers .

Je dis simplement qu’il a écrit, après mûres réflexions, en pesant ses mots, que ses écrits sont à notre disposition, et qu’ils peuvent nous aider à progresser dans nos réflexions.

Il ne s’est fait aucun ennemi, laissant la porte ouverte à  un dialogue éventuel.

Par rapport aux religions et aux croyances occultes, son  message était clair . Il était athée, et partisan d’une laïcité tout court, c’est à dire sans adjectif.

Sans agressivité non plus. Il a raconté un jour dans un article, que trouvant un musulman prosterné dans l’entrée de son immeuble, il lui avait respectueusement fait part de son étonnement devant une attitude aussi stupide, mais qu’il l’avait laissé continuer en le plaignant.

Il avait de l’amitié pour un vieux curé chartrain, non pas pour partager ses croyances débiles, mais une passion commune, la toponymie. La thèse de l’abbé Villette au sujet du site d’Alésia intéressait notre ami au plus haut point.

Il n’a probablement pas provoqué son copain ensoutané, en lui recommandant de lire ce qu’il avait écrit dans Liberté d’octobre 1959 :

« Combien de savoir perdu à l’exégèse des Ecritures !

Que de travail infructueux, que de forces gâchées,

dans ces millions de livres rabâchant et commentant

et annotant les mystères de la foi et les fables de la religion,

« tout le vrai des autels qui dans la tombe est faux » !

Quelle perte de substance dans la formation d’un, prêtre ! »

ou bien dans le même mensuel daté de mars 1960 :

« Que la religion, tout en se mon­trant souple, ondoyante, multiforme, dans le domaine du concret, du quo­tidien, du temporel, continue d’être aussi rigoureuse, intransigeante, mo­nolithique, dans celui de l’abstrait, de l’éternel, du sacré, cela ne nous étonne point, car le crédit attaché à l’appartenance divine de l’Eglise et à sa représentativité céleste repose tout entier sur l’intangibilité de son message originel : le menteur qui veut continuer à profiter de son mensonge est condamné sans appel à s’enferrer à perpétuité dans l’im­posture. »

« Rien de plus naturel qu’après avoir donné pour lois au genre hu­main des fables dont la crédibilité est à présent détruite, l’Eglise per­siste néanmoins à en proclamer le caractère authentique et providentiel : tout s’écroulerait pour elle si elle y renonçait. La théologie se regarde comme une science exacte, puisqu’elle se fonde sur la certitude absolue de la Révélation. »

Des citations de Berthier, on devrait en graver sur les murs, en insérer dans les manuels scolaires, en faire des dictées. Ben oui, qu’est-ce que vous avez contre la dictée, bande de soixante-huitards ? Vous croyez peut-être que Berthier aurait si bien écrit s’il n’avait pas fait de dictée à l’école ?

Parce que chaque mot est pesé, qu’il est utile, parce que P.-V.B. a toujours « tourné sa langue sept fois dans sa bouche » avant d’écrire (il m’aurait pardonné cet écart, car il était très indulgent), ses textes sont discutables dans la mesure où ils invitent au débat, mais ils sont inattaquables.

On va terminer avec Le Canard Enchaîné qui se serait honoré en passant une nécro, même petite, pour Pierre-Valentin Berthier qui la méritait bien.

On sait le palmipède avare de ce genre d’exercice, mais on n ‘oublie pas qu’il avait fait fort à propos de Marius-Alexandre Jacob en 1954.

Par ailleurs, Pierre-Valentin était ami avec Bernard Thomas, il l’avait bien aidé pour  préparer ses bouquins.

Surtout, il lui avait rédigé une superbe nécrologie, qui reste d’ailleurs son dernier article publié par Union Pacifiste, en mars 2012.

Il était certainement un des plus anciens lecteurs du journal satirique.

Ça n’est pas très important, quoique significatif.

Plus grave est le blocage de cet hebdomadaire, probablement du fait de Bernard Thomas, contre tout ce qui est publié sur Jacob, sans son « imprimatur ».

C’est ainsi que tous les meilleurs ouvrages, ceux de l’Insomniaque d’abord, les deux volumes des « Ecrits », les trois petits bouquins ensuite, puis le nouveau volume des « Ecrits », et enfin « L’Honnête cambrioleur » du camarade J.-M.D., qui est pourtant le fruit d’une thèse d’histoire officiellement reconnue, ont été ignorés.

Ce qui nous console, et ce sera le mot de la fin, c’est que Le Canard s’est ridiculisé en publiant dans son numéro du 29 février dernier, un compte-rendu de lecture du livre de Jacques Colombat.

Godelure.

02 juillet 2012

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