Dix questions à … Rolland Hénault


Prolifique et drôle, une plume acérée et néanmoins trempée dans l’humanité de l’anarchisme, Rolland Hénault n’en finit pas, dans ses livres, de montrer les errements d’une société si peu ouverte sur le rapport à l’autre. L’écrivain et parolier cultive une force tranquille, réjouissante et vivifiante. Il ne mâche pas ses mots et c’est avec un plaisir non dissimulé que nous lui donnons à nouveau la parole dans les colonnes du Jacoblog. Une cause simple à cela. Rolland connait le Berry comme sa poche et peut vous conter à l’infini une réalité, sa réalité, faite de paysans retors à l’autorité instituée, de gens du cru au tempérament bien trempé, et de Reuilly rouge ou blanc qui, bien loin de vous brûler le gosier, rend la vie nettement plus supportable. Rolland a bien voulu alors se plier au jeu des dix questions. Ses réponses sur ce pays où il ne se passerait soi-disant rien et sur une de ces célébrités, qui n’est pas le gentleman cambrioleur que vous savez et dont nous n’aurons de cesse de souligner la pertinence, l’universalité et la contemporanéité du propos, nous apparaissent éclairantes à plus d’un titre.

1) On te sait écrivain, chroniqueur et parolier. Ta plume, drôle, vacharde, tendre et acerbe, assassine les travers de nos sociétés libérales. Elle reste profondément attachée à l’idée de terroir. N’est-ce pas antinomique avec les principes libertaires ? Ni Dieu ni maître ni Berry ?

Oui, c’est une question qu’on peut se poser. Cette notion de « terroir » est importante car souvent les auteurs dits du terroir sont conservateurs, passéistes. Mais je parlerais en ce qui me concerne du concept d’enracinement, défini par Simone Weil. Je suis d’abord enraciné dans la culture paysanne. Mon grand père paternel est d’origine beauceronne. Les paysans sont très attachés à leur indépendance. Ils vivaient jusque dans les années 60-70 dans un univers complètement libre. Pas de gendarmerie dans le bourg où j’étais (Saint Valentin) mais un garde champêtre débonnaire, et le percepteur passe de temps à autre. Je suis né dans une ferme isolée et j’ai longtemps cru que la ferme dirigée par mon père était un pays indépendant. La Champagne berrichonne était habitée par des communautés de 15 à 20 personnes. On ne prononçait guère le mot « anarchiste » mais on lisait le « Canard enchaîné » et le Crapouillot de Galtier Boissière. On revendiquait notre berrichonitude mais avec une certaine dérision comme en témoigne ce proverbe : « 99 moutons et un berrichon ça fait cent bêtes ». Pas de patriotisme donc et pas d’hostilité aux étrangers. J’ai vu la même chose dans la plaine de la Bekaa, au Liban. La Champagne berrichonne était un pays ouvert aux idées nouvelles depuis la fin du 19ème siècle. Mais il est vrai que de Châteauroux à Bourges et Sancerre on se reconnaissait comme « Berrichons ». Et puis il y a eu beaucoup d’anarchistes en Berry : Louis Lecoin, Pierre Valentin Berthier, Thérèse Collet (anarchistes et pacifistes) Alain Meilland, créateur du Printemps de Bourges avait mis en scène « Les travailleurs de la nuit »…Vierzon était une pépinière d’indisciplinés (Edouard Vaillant, Henri Brisson) et Léo Mérigot, maire communiste de Vierzon, aimait à s’arrêter discuter avec Marius…sans compter les vignerons d’Issoudun, qui s’étaient révoltés dès le 14 Juillet…1589 ! « Le vin est rouge » nous disait Castellan, prof d’histoire moderne à Poitiers, puis à La Sorbonne. En fait il était rouge et noir !…

2)  Tu as fait partie de l’aventure régionaliste de La Bouinotte dès la création de ce trimestriel. Beaucoup de tes livres évoquent le Berry et ses ploucs. Es-tu le Henri Vincenot des anarchistes ? Le Gaston Couté de cette contrée ? Qu’est-ce qui la rend si séduisante à tes yeux ? Les ânes ? Les sorcières ? La ruralité ?

La Bouinotte, oui, ça peut être qualifié de « Régionaliste ». On était trois : Gérard Coulon plutôt spécialisé dans l’histoire, locale ou non, Léandre Boizeau, d’origine communiste, connu pour sa défense de Mis et Thiennot, victimes d’une erreur judiciaire, et moi, dont l’image était celle d’un anarchiste. Ca me plaisait bien, mais je n’étais pas militant autrement que par mes propos, mes écrits, mon affiliation à la tendance Ecole Emancipée et la fondation d’un journal local anarchisant « Le Provisoire », qui fut très populaire dans le département de l’Indre et s’inscrivait dans une mouvance gauchisante, un peu écolo, anti-conformiste, proche de Hara Kiri puis du Canard Enchaîné. Gaston Couté était très populaire dans le Berry. Il avait effectué un voyage à pied avec son ami Lucas, en passant par Issoudun, Déols, Châteauroux, où existait un cabaret, le « Pierrot Noir » d’inspiration « montmartroise » c’est-à-dire anarchisante. Couté était allé ensuite à Gargilesse, alors berceau de nombreux peintres.  Je ne peux pas être comparé à Gaston Couté (ce serait bien de la prétention !) mais je n’ai jamais écrit de poèmes patoisants…Je ne pense pas que ça aurait du sens après les années 50…Mais à l’époque de Couté, le Berry était la région la plus paysanne parmi les terres de langue d’oïl. Le parler berrichon était compris dans toute la moitié nord de la France…

3) Que possède de si particulier ce village de Reuilly pour que tu lui consacres tout un ouvrage ? Sont-ce seulement les enivrantes vapeurs et la bichromie de son nectar ?

Reuilly est dans une vallée de la Champagne Berrichonne. Les vallées de cette région étaient occupées par des « marais », et les coteaux par des vignerons, tout un petit peuple de gens avisés, malins…et puis c’est le lieu de naissance de ma famille maternelle. Ma mère avait travaillé 5 ans dans un atelier de confection, mon grand père était ouvrier, homme toutes mains plutôt. Il connaissait très bien la flore et la faune, il avait l’intelligence des mains et il avait aussi passé son « certificat d’études » à 12 ans sans être allé à l’école durant la belle saison…Il récitait des poèmes de Théophile Gautier et d’autres, plus enlevés…

4) Tu opposes justement dans Reuilly ou les saveurs de la terre le centre-ville blanc au Bois saint Denis rouge. Reuilly, c’était la lutte des classes à la campagne ? La guerre sociale par le vin ?

Il y a un peu de ça. Sauf qu’il y avait autant de classes sociales que de familles ! Le Bois Saint Denis était rouge et, plus encore que le « Centre Ville », c’est la Ferté qui était du côté des Blancs. On disait d’ailleurs « le Château », ce qui est le sens du mot, je crois…

5) Quels souvenirs de Marius Jacob à Reuilly le môme que tu étais garde-t-il justement ?

Mes souvenirs personnels de Marius Jacob sont peu nombreux. Je l’ai vu une fois à Issoudun (où il allait peu) et à Vierzon…Je l’ai bien davantage connu par des voisins. Son voisin immédiat, qui inscrivait tous les événements quotidiens sur un almanach…Et puis Mr Lanote, qui faisait partie du groupe des enfants invités par Marius la veille de sa mort. Guy Malbête était en vacances mais il a souvent monté dans la camionnette légendaire du vieil anar…Puis c’est  suite à la lecture du livre de Sergent que je me suis aperçu que presque tous les habitants de Reuilly connaissaient Jacob. Et ils en parlaient avec sympathie, surtout dans certaines familles, mais il avait une excellente réputation, qui grandissait avec le temps…J’ai connu aussi des forains (marchands ambulants) qui l’avaient côtoyé, les Briselance, les Champaux…Il devenait peu à peu une légende et certains en oubliaient qu’il avait vraiment existé. Mais les séances du tribunal nous amusaient beaucoup…

6) Claude Nerrand, président de l’office du tourisme local, a pu écrire avec des accents balzaciens et en en faisant un propos apocryphe que l’honnête cambrioleur revenu du bagne s’était installé dans le Berry parce qu’ « il ne s’y passait rien ». Les anarchistes se cachent-ils pour mourir ?

Je ne connais pas Claude Nerrand. Je sais seulement qu’au début il n’aimait pas du tout Marius. En tout cas, il disait n’importe quoi : par exemple que Marius évitait de passer devant la Gendarmerie parce qu’il avait peur ! Si Jacob a pu dire qu’il s’était installé à Reuilly « parce qu’il ne s’y passait rien », c’est un peu une parole en l’air. Il s’est installé à Reuilly par hasard et, par hasard, il s’est trouvé au milieu d’une population qui sympathisait avec lui…Il ne se cachait pas du tout et montrait, à ceux qui le méritaient, sa fameuse « ampoule », qu’il allait s’injecter pour en finir avec la vie…Tout le monde connaissait plus ou moins son parcours, et, après le livre de Sergent, tous en étaient fiers…C’est l’impression que j’avais. Claude Nerrand était un déserteur par rapport au monde des vignerons. C’est pas beau d’être déserteur, surtout quand on est civil !

7) Lorsque l’on évoque l’ancien colonel portant fièrement sa rosette et œuvrant pour la promotion touristique de son pays tes mots se font nettement plus durs et ta plume nettement plus vindicative. Pourquoi tant de haine ? Quels reproches peut-on faire à celui qui d’une certaine façon pérennise localement la mémoire de l’honnête cambrioleur Jacob ?

Oui, parce que ce n’est pas à lui de recevoir les mérites de Marius Jacob. Il ne pérennise pas la mémoire de Jacob, il la lui vole pour s’en faire une médaille. Il me semble qu’il a tout fait pour qu’on ne reconnaisse pas à Jacob ses qualités humaines…Mais les Reuillois ne s’y trompent pas…Je ne hais pas Claude Nerrand, je ne hais personne, à Reuilly surtout…je trouve seulement que le portrait qu’on fait de lui n’est pas exact, par rapport à Jacob. Il est colonel, bon, nul n’est parfait. Mais c’est grave, déjà, d’être colonel !…

•8) L’actualité récente a  remis l’idée de violence anarchiste faite aux biens et aux personnes à l’ordre médiatique du jour. On ne compte plus de fait les ouvrages sur la bande à Bonnot par exemple. L’illégalisme ne menait-il pas à une impasse ? Les activités délictueuses de l’honnête cambrioleur te paraissent-elles viables pour son époque ? Le seraient-elles aujourd’hui ?

Question importante, en effet. L’illégalisme, en 2011, me paraît pleinement justifié, devant le sort misérable fait aux plus pauvres. Qu’ils volent, nom de Dieu, mais sans se faire prendre ! Je ne suis pas enthousiaste à l’idée qu’on puisse tuer pour une cause, fût-elle celle d’un idéal qui a ma sympathie. Mais enfin qu’on se paye le G8 et tous ces rassemblements honteux qui pillent les pays pauvres…j’aurais de la peine éprouver de la tristesse. Quand je vois l’insolence effrontée des milliardaires de « gauche », je comprends que ça donne des démangeaisons…et j’ai de la sympathie pour les membres d’Action Directe, dont j’ai connu certains en détention…Ils vont au bout de leurs idées : la défense du peuple !

9) Tu as été visiteur de prison et tu as produit un superbe ouvrage sur la question carcérale. Penses-tu à l’image de Jacob que les pratiques pénitentiaires françaises ressemblent plus à une vieille barbarie qu’elles ne rapprochent le pays d’un degré de civilisation ?

Je n’ai pas été « visiteur de prison » même si je trouve que c’est une activité honorable. J’ai été enseignant en prison, quand, après 1981, Alain Geismar a pris la décision de créer un cycle d’enseignement secondaire et supérieur à la Maison Centrale de Saint Maur. On m’a demandé de venir, j’ai hésité, parce que dans la Boîte postale du Mensuel « Le Provisoire », arrivaient des lettres de détenus. J’y suis allé une première fois et j’ai demandé aux détenus : « Si je viens enseigner ici, je ne pourrai plus passer votre participation au journal. » Ils m’ont dit : « Alors, il vaut mieux que tu viennes ici ».

Sur les pratiques pénitentiaires, j’ai changé un peu. En fait, ce n’est pas moi qui ai changé c’est la nature des détenus…et des surveillants. En 1981, il y avait surtout des gens du « milieu » et quelques militants politiques (les Corses, les Basques, notamment). Tous étaient issus de milieux pauvres (90%) ou misérables. Depuis une vingtaine d’années, les détenus sont en majorité des personnes qui relèvent plus ou moins de la psychiatrie, (les statistiques officielles disent que 7 détenus sur 10 relèvent de la psychiatrie !), des victimes directes de cette société, qui rend fou !…sur les pratiques elles-mêmes, je vois venir des surveillants plus attentifs aux détenus, mais bien plus démunis. La vraie peine ça ne s’améliore pas avec le « confort » (relatif) des lieux de détention, la vraie peine, c’est la privation de liberté ! On a supprimé la peine de mort, très bien, on n’a pas supprimé « la peine de vie », je veux dire la très longue peine, qui vous fait crever sur place, par le suicide, le désespoir, l’absence de perspectives de sortie…C’est moins dur que le bagne de Marius, mais je me méfie de cette différence. Aujourd’hui, la barbarie est invisible à l’œil nu. On ne filme pas la privation de liberté à perpétuité. Sinon, le vidéaste devrait lui-même rester entre les murs durant toute cette période…Je pense qu’il trouverait ça long…surtout vers la fin, comme disait Alphonse Allais.

10) Il y a longtemps maintenant, tu as écrit un article sur Alexandre Jacob pour le magazine Femme Actuelle dont le titre est frappé du sceau de la lupinose. L’honnête voleur peut-il réellement revêtir les frusques et adopter les frasques du gentleman cambrioleur ? Alexandre Jacob est-il Arsène Lupin ?

Ah ma participation à « Femme Actuelle » !…J’avais écrit un article, seul, sur Marius Jacob. Hélas ! la Chef du service, Sylvie Espasa, a été remplacée par un con prétentieux et malhonnête. Il a fait du re-writing (c’est comme ça qu’on dit ?) et complètement chamboulé mon article…bien entendu je ne crois pas du tout qu’on puisse dire que Arsène Lupin c’est Marius Jacob ! Je ne l’ai jamais écrit…on peut suggérer que le procès ait pu donner l’idée d’un personnage, genre Robin des Bois de la bourgeoisie propre sur elle…Mais Arsène Lupin n’est pas un homme du peuple. Marius Jacob, si !

Ceci dit, je ne pouvais pas rouspéter…Mon article était déjà payé ! Et ça le faisait chier le petit con qui remplaçait Sylvie Espasa (une ancienne de l’Huma)…Il était bête, mal intentionné. J’ai cessé toute relation avec « Femme Actuelle », et je n’ai pas regretté…

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