Mon ami innocent


Confronter les sources. Charles Gallo écrit pour déclarer son anarchisme. La cour d’assises de la Seine le condamne à vingt ans de travaux forcés. 05 mai 1886 : un jet de bouteille, remplie d’acide, à la bourse de Paris. Le symbole est trop fort pour envisager une quelconque clémence de la part d’une justice de classe qui fait la chasse aux partageux. 1887. Charles Gallo est à La Nouvelle. De ce bagne des antipodes, il retouche sa profession de foi de propagandiste par le fait. L’analyse de ces deux textes qu’en fait Laurent Gallet est des plus éclairantes. Antoine Cyvoct, l’ami bagnard, rencontré sur le caillou, est innocent.

Quand Charles Gallo croit en l’innocence de Cyvoct.

C’est le 29 mars 1887 que l’anarchiste Charles Gallo débarque en Nouvelle-Calédonie pour expier son acte de propagande par le fait. Il retrouve là-bas un autre militant en la personne d’Antoine Cyvoct. Cyvoct et Gallo, pour les anarchistes, sont des martyrs de la cause. Pour leurs adversaires, de dangereux terroristes. Une différence majeure cependant, pour Cyvoct lui-même et sa famille, il est un innocent qui lutte pour le faire reconnaître. Gallo, alors qu’il est emprisonné à Mazas, écrit un brouillon intitulé « Déclaration de principes » qui constitue sa défense présentée devant la Cour d’assises de la Seine les 26 juin et 15 juillet 1886. Ce brouillon, il semble bien qu’il le reprenne alors qu’il est au bagne puisqu’il en existe une seconde version dans laquelle on voit apparaître quelques modifications dans le texte.

Les deux passages qui suivent nous montrent l’antériorité de l’un des deux textes.

Ci-dessous, le passage « deux classes bien distinctes » est corrigé en « deux classes ennemies », version qui est retenue finalement. Plus loin, le « savoir » disparaît tandis que la puissance devient « matérielle » et « jointe à » la domination « intellectuelle ». Un « fatalement » laisse la place à « irrévocablement » et la « race » à la « naissance ». :

« C’est parce que la propriété individuelle existe que l’humanité se trouve partagée en deux classes ennemies : les uns qui, n’ayant que la peine de naître, reçoivent en partage l’instruction,[le savoir] ,la richesse, le luxe, le bien-être, le loisir, la puissance matérielle jointe à la domination intellectuelle ; tandis que les autres sont irrévocablement voués par le malheur de leur naissance à l’ignorance (…) »

Quelques lignes plus loin, « les faits suivants mis hors de doute par les théoriciens de l’Internationale » est remplacé par « différents principes qui ont été mis en lumière par les écrivains qui ont élaboré les théories propagées par l’Internationale ». Cette dernière version étant toutefois un peu lourde, la version finalement retenue l’allège en partie. Il en ressort donc une claire antériorité d’un texte, remanié pour arriver à une version définitive.

Au sujet de Cyvoct, on peut observer un changement d’importance. Gallo écrit, dans la première version de son texte, conformément à l’idée qu’il se fait de Cyvoct, premier martyr de la propagande par le fait :

« Les anarchistes allemands qui ont brûlé en une nuit les deux bagnes capitalistes de Bismarck et consorts ; les nihilistes en Russie, les Invincibles en Irlande, Florion, [    ], Kammerer, Stellmacher et tant d’autres ; O’Donnel qui a tué le lâche délateur Carey, tous ceux-là faisaient de la propagande par le fait ».

Un nom a été effacé après celui d’Émile Florion, mais on le devine, il s’agit de celui de Cyvoct. On peut encore distinguer le Y en seconde place, le C majuscule en partie, et évaluer la longueur du patronyme concordant avec celui de l’anarchiste lyonnais. En conséquence de quoi, la version définitive du texte de Gallo ne fait plus apparaître le nom de Cyvoct.

Pour Gallo, lorsqu’il passe devant ses juges, Antoine Cyvoct est un propagandiste par le fait, comparé à Kammerer et à Stellmacher qui en décembre 1883 et en janvier 1884 tuent chacun un policier. Le martyrologe anarchiste de Gallo comprend également Florion qui, ne pouvant assassiner Gambetta comme il le prévoyait, tire sur le premier bourgeois venu. Mais au bagne, il fait la connaissance de Cyvoct. Ils se soutiennent parfois, anarchistes isolés comme ils le sont. Gallo, de par sa situation de bagnard, sait parfaitement la vie que peut endurer Cyvoct et, révisant son jugement, décide de lui accorder – contrairement à la plupart des anarchistes d’alors qui continuent à le voir en poseur de bombes – le statut d’innocent.

Laurent Gallet

Mars 2011

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