Le grand Krach


Nombre de textes d’Eugène Pottier sont dédiés à des personnalités issues soit de la Commune de Paris, soit du monde des chansonniers, soit encore du socialisme dit révolutionnaire. Ce sont justement les Chants révolutionnaires de l’auteur qui sont publiés l’année de sa mort en 1887.  L’Internationale a ainsi été écrite pour Gustave Le Français, décédé le 16 mai 1901, seul communard qu’a fréquenté Alexandre Jacob alors que l’honnête cambrioleur résidait à Paris sous les traits de Georges Escande cette année-là. Avec le Grand Krach, Pottier écrit pour Gustave Rouanet, fils d’un proscrit du coup d’état du 2 décembre, journaliste virulent dans la presse socialiste de Paris, ardent défenseur des mineurs gréviste du bassin houiller des Cévennes en 1881.

Mais le vieux communard ne pouvait pas se douter que l’homme, proche de Benoit Malon, émargerait à l’Aquarium des Bouffes-galette de 1893 à 1914 d’abord pour le compte des rad-soc, puis pour celui des Socialistes unifiés et enfin pour le parti socialiste de Jaurès.

Dans cette chanson, Eugène Pottier s’en prend aux mécanismes spéculatifs qui alimentent le triptyque capital – propriété – travail. L’usure qui en découle apparait ainsi comme le stade ultime d’un vol légal, celui du labeur prolétaire par le possédant bourgeois. Et, comme un prélude au Grand Soir, le système engendrerait sa propre perte, les bourses s’effondrant, les banques faisant faillite, les usines déversant une « farandole immense » de « forçats libérés« .

Le Grand Krach, écrit à l’occasion de la grande dépression qui frappe l’Europe et le monde à la fin du XIXe siècle, ralentissement économique qui enrichit une minorité, peut aussi justifier les pratiques illégalistes dont Jean Maitron nous dit dans son histoire du Mouvement anarchiste en France qu’elles eurent un succès certain parmi les camarades après l’éphémère et néanmoins explosif épisode de la propagande par le fait. Quoi qu’il en soit, en déclarant n’approuver et n’avoir « usé du vol que comme moyen de révolte propre à combattre le plus inique de tous les vols : la propriété individuelle », Alexandre Jacob  ne fait finalement qu’abonder dans le sens des propos du vieil Eugène.

Nous pouvons retrouver logiquement cette chanson dans le premier des deux cd accompagnant la première version des Ecrits du cambrioleur anarchiste en 1995. Et, comme une allusion à Bobby Lapointe, elle a été orchestrée par le duo Trois Ligne de Bling.

Le grand krach

Le grand Krach

Texte d’Eugène Pottier,

Mis en musique par le duo Trois lignes de Bling

Au citoyen G. ROUANET.

Le grand Krack est bien proche,
Mais la vaste sacoche
De tous les suceurs d’or,
Parle jeu d’une pompe,
Jusqu’à ce qu’elle en rompe,
S’emplit, s’emplit encor.

La masse qui turbine
Sèche dans la débine
Comme un linge tordu.
La pompe trouve à boire,
Dans sa misère noire.
Des gouttes d’or fondu.

Bientôt, montagne énorme,
Le Capital se forme
Du travail non payé.
La sacoche se gonfle
Et le piston qui ronfle
N’est jamais enrayé.

Tout coule en or liquide,
Le cerveau qui se vide,
La moelle de nos os,
Les gaz, les mers, les nues,
Les forces inconnues,
L’épargne des gogos !

Ce vol se perpétue,
Épuise et prostitue
Ce vieux globe gâté.
Humanité souffrante,
Cette pompe aspirante,
C’est la Propriété.

Mais tout a sa mesure.
Dans le sac de l’Usure
Se déclare un grand trou.
Où trouver un refuge ?
Crevant comme un déluge,
Il pleut un argent fou.

A bas tous les commerces,
Il tombe des averses
De coupons lacérés.
Et l’on voit – pertes sèches –
Voltiger en flammèches
Tous les papiers timbrés.

Bravo ! la Banqueroute,
Sur la Bourse en déroute,
Roule ses flots amers.
On voit grossir les ondes,
Les forbans des deux mondes
Sombrent au fond des mers.

Au feu les budgets ivres !
Les Banques, les grands livres
S’embrasent à la fois.
Le ciel en devient rose,
Et cette apothéose
Ébahit les bourgeois.

Que peuvent-ils répondre ?
Le sol craqué et s’effondre
Sous leurs pas effarés ;
Et sur terre commence
La farandole immense
Des forçats libérés !

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