Judex buccinum undatum


La chasse aux propagandistes par le fait, la chasse aux anarchistes tout court, a fait la fortune de nombre d’avocats et hommes de loi hexagonaux en cette fin de XIXe siècle. Parmi ceux-ci, Léon Jules Bulot figure en bonne place dans le peloton des coupeurs de têtes. L’article de Laurent Gallet révèle alors une nécrologie du Torquemada du drapeau noir. Mais le pauvre vieux finit malencontreusement écrasé par un taxi de Paris, une mort saluée par les compagnons en 1922.

Judex buccinum undatum

par Laurent Gallet

15 octobre 2010

Léon Jules Bulot, le substitut du procureur général puis avocat général de Paris, est un personnage bien connu des anarchistes. C’est lui qui, le 28 août 1891, demande trois condamnations très lourdes, dont une à mort, contre les militants ouvriers Decamps, Dardare et Léveillé suite à un échange de tirs avec la police de Clichy, le 1er mai 1891. Par son intransigeance, il lance Ravachol contre lui et, le 27 mars 1892, l’immeuble dans lequel il réside est la cible d’un attentat retentissant. Ravachol pourra dire lors de son procès avoir « voulu faire comprendre à tous ceux qui ont à appliquer des peines qu’il fallait à l’avenir qu’ils soient plus doux ». De Bulot, le conseiller à la cour de cassation Pierre Bouchardon, dresse le portrait suivant : « sous sa robe rouge, avec son profil de vautour chauve et l’air glacial qu’il savait prendre à l’heure du réquisitoire, il donnait le frisson »[1].

L’avocat général représente encore le parquet le 24 février 1894 lors de l’affaire Léauthier, lequel a poignardé un bourgeois anonyme qui s’est révélé être un haut diplomate serbe. L’anarchiste est envoyé au bagne où il décédera quelques mois plus tard. Le 28 avril 1894, il réclame et obtient la peine de mort contre Emile Henry.

Le 11 août suivant, alors que le procès des 30 est commencé depuis 5 jours, Bulot demande une interruption de séance pour se laver les mains. Il avait reçu un paquet contenant de la merde. Ce qui fit dire au critique d’art Félix Fénéon, depuis son banc d’inculpation, que « Depuis Ponce-Pilate, on n’avait pas vu un juge se laver les mains avec autant d’ostentation ». Devant la supériorité intellectuelle des accusés et l’absence de preuve de l’association de malfaiteurs échafaudée par l’avocat général, Bulot doit se résoudre à évoquer les circonstances atténuantes pour les prévenus. Toutefois, le verdict d’acquittement quasi général est un sévère camouflet pour lui.

Le 27 novembre 1905 s’ouvre le procès des 4 à la suite de l’attentat de la rue de Rohan commis contre le roi d’Espagne Alphonse XIII et le président Loubet. Le procureur Bulot, sans s’opposer aux circonstances atténuantes pour les accusés – au nombre desquels figure Charles Malato – en vertu de leur indiscutable honorabilité se déclare néanmoins convaincu de leur culpabilité. Le jury, une fois encore, ne suit pas l’avocat général et prononce l’acquittement général.

Mais remontons un peu le temps, avant celui des lauriers.

Né le 12 novembre 1851 à Paris, Léon Jules Bulot est nommé substitut à Saint-étienne le 13 janvier 1880, puis à Lyon le 29 juin 1880, avant de retourner dans la Seine, le 14 octobre 1882. Il est alors le substitut gambettiste qui vient d’être nommé à Paris par M. Devès, lorsque le double attentat de Lyon retentit le 23 octobre. C’est Cuaz, juge d’instruction lyonnais, qui est chargé de l’affaire, mais il reçoit l’aide de Bulot, renvoyé à Lyon moins de 10 jours après avoir gagné Paris, sans doute pour sa première rencontre avec les anarchistes. Après s’être tenu informé que les samedi 12 et dimanche 22 octobre des manifestations devant le Grand-Théâtre pour réclamer le maintien d’une subvention publique de la mairie avaient été chargée par les forces de l’ordre, il déclare qu’« il faut attribuer l’explosion du restaurant du Théâtre-Bellecour aux manifestants du Grand-Théâtre, les agents qui surveillent habituellement cet établissement ayant dû l’abandonner hier pour s’occuper de la manifestation du Grand-Théâtre »[2]. Les anarchistes ne sont pas encore la marotte favorite de Bulot, qui ajoute même à ses paroles l’apologie de fait qualifié crime à l’instar de bien des libertaires contre lesquels il requerra tout au long de sa carrière. « J’aurais été heureux, a ajouté M. Bulot, que deux ou trois des gémmeux [sic] qui criaient : Bas Gailleton ! Subvention ! se fussent trouvés là au moment de l’explosion » !

Bulot, « collier de barbe courte relié à la moustache, portant lui aussi ses décorations par-dessus sa robe, caricature de grand bourgeois de la Belle-Epoque, noeud papillon et haut-de-forme dans le civil »[3] est décédé le 09 janvier 1922. Il est alors procureur général à la cour de cassation et les anarchistes ne l’ont pas oublié puisqu’une nécrologie féroce de Pierre Mualdès rappelle les conditions de sa mort par ces mots : « Comme un vulgaire caniche, ou un quelconque piéton de deuxième classe, Mossieu le Procureur Général Bulot s’est fait écraser par une auto »[4].


[1] Pierre Bouchardon, Ravachol et Cie, 1931, p. 12

[2] Le petit Lyonnais n° 4079, daté du 24-10-1882

[3] Yves Frémion, l’anarchiste. L’affaire Léauthier, p.91

[4] La revue anarchiste n°1 – 1922

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