SOUVENIRS D’UN REVOLTE épisode 6


Souvenirs d’un révolté

Par Jacob

Les derniers actes – Mon arrestation

(suite)

Je me redressai vivement. Mais lui, toujours veinard, eut le temps de me ressaisir les poignets, en prenant soin de se tenir derrière moi, comme une croix derrière un christ. Sa position était des plus avantageuses ; et s’il avait été plus vigoureux, il n’est pas douteux qu’il m’eût empêché de fuir. A ce moment, j’ignorais que Pélissard et Bour eussent pris la fuite. En voyant le danger de ma position, je les appelai à mon aide. Comme l’on s’en doute, mes appels demeurèrent vains.

Alors, me sachant seul, et me sentant perdu, pour ainsi dire, je rassemblai toutes mes forces et dans un suprême effort je me précipitai en arrière, aplatissant ainsi mon antagoniste contre la cloison du cabinet du chef de gare. Les vitres, la boiserie et la cloison de briques en tremblèrent. Cette manœuvre me réussit. Il était temps ! J’étais littéralement exténué. Après avoir lâché un «ouf !» occasionné par la pression produite sur son ventre, le brigadier de police laissa aller mes bras. Presque aussitôt, comme s’il eût regretté sa faiblesse, il fit mine de revenir sur moi. Sans lui laisser le temps d’accomplir son intention, je le mis en joue avec mon revolver. Ce geste l’arrêta net. Il se fit un bouclier de son bras, se couvrant ainsi la figure, attendant le coup. Je fis feu. Il s’affaissa en pirouettant sur lui-même.

Dès lors, je fus libre de mes mouvements. Immédiatement j’allai sur le seuil de la grande porte de la salle des pas perdus. J’eus beau regarder à droite, à gauche, devant, derrière, je n’aperçus ni Bour, ni Pélissard. Le moment n’étant pas aux rêveries ni aux conjectures, je m’empressai de quitter le théâtre de la lutte.

Aussitôt sorti, mon premier soin fut de recharger mon arme. Mais, croyant n’avoir tiré que deux coups, je ne remplaçai que deux balles. C’est ce qui explique la douille qui fut trouvée vide, lors de la trouvaille de mon revolver.

Au hasard, sans savoir au juste la direction que je prenais, je me dirigeai vers Érondelle qui est une espèce de hameau situé environ à un kilomètre de Pont-Rémy. Je suivis la voie ferrée sur un parcours de deux cents mètres environ, puis je coupai à travers champs.

Dans ce court espace de chemin, je rencontrai plusieurs ouvriers qui se rendaient à leur travail, à l’usine Saint. Les uns me regardèrent avec surprise, intrigués sans doute par l’allure de mon pas et le port évident de mon revolver. Les autres passèrent sans même me remarquer. En coupant à travers champs, je fis la rencontre d’un petit homme aux jambes lilliputiennes, sur lesquelles était posé un paquet de viande en forme de poire dont la queue rabougrie figurait la tête. Son regard puait la fausseté. Aussi me parut-il suspect. Les événements devaient confirmer mes soupçons. Ce triste échantillon de la gent «casserole» n’était autre que le sieur Edmond Mas, empoisonneur patenté de son métier, le dénonciateur qui, quelques heures après, conduisit le procureur de la République sur ma piste.

Arrivé à la hauteur d’Érondelle, je me débarrassai de mon vêtement imperméable en le jetant dans un ruisseau d’irrigation. Puis, comme j’avais oublié mon chapeau dans la rixe, je me couvris la tête avec mon mouchoir ; ensuite je continuai ma marche vers le point culminant du terrain où je me proposais d’arriver.

Dans cette partie de la France, les montagnes et les collines brillent par leur absence. En revanche, les marais n’y font pas défaut. La contrée est aussi plate qu’une poitrine d’Anglaise. C’est tout juste si, çà et là, on rencontre quelques mamelons, c’est-à-dire quelques pelletées de terre amoncelées les unes sur les autres. C’était là le point culminant, objet de mes désirs, et sur lequel j’arrivai vingt minutes environ après mon départ de la gare. N’importe. Les petites choses ont parfois de grands effets ! Ce léger accident de terrain, cette brouettée de terre, pourrais-je dire, fut suffisante pour que je pusse observer les mouvements de l’ennemi.

S’il faut en croire les on-dit, Santos-Dumont n’entreprend jamais un voyage aérien sans être porteur d’une médaille de saint Benoît. Moi, je ne voyageais jamais sans être muni de jumelles marines ou d’une longue-vue. Que voulez-vous ? Chacun a ses petites manies !

J’ignore les services que peut rendre un morceau de métal, dont l’estampe représente une figure de moine ; mais mon ignorance ne s’étend pas jusque aux appareils d’optique.

J’avoue qu’une longue-vue est un objet fort utile et des plus précieux pour un cambrioleur. Voulais-je m’assurer, sans le concours des scellés, si une maison était momentanément inhabitée ? Vite, la longue-vue entrait en scène. Je regardais si les cheminées fumaient ; si le trou de la serrure était couvert de poussière ; si les fenêtres étaient pourvues de rideaux ; si les araignées avaient eu le temps de tisser leurs toiles sur telle ou telle partie de l’édifice…

Mais au fait… Écoutez ceci, braves gens. Vous m’en direz des nouvelles.

C’était à Marseille, au mois de juin, de l’an 99, si j’ai bonne mémoire. Ce jour-là, depuis 8 heures du matin, j’étais posté sur le sommet de la colline de la Garde, surveillant un château situé au Roucas-Blanc, dont un seul domestique – une femme de chambre – avait la garde, pendant l’absence des maîtres. Il faut vous dire que, grâce à une enquête habilement menée, j’avais appris que la servante était passionnément éprise d’un marchand de chi-chi frégis de la Canebière ; de sorte que j’étais au courant de ses rendez-vous tout comme si elle avait été ma maîtresse. Bref, ce jour-là, nous savions donc que la particulière avait rendez-vous avec son particulier dans un garni de Pentagone. Aussi tout était prêt. Les outils étaient à portée du travail ; le butin était même vendu avant d’avoir été pris ; nous n’attendions plus, pour commencer l’assaut, que l’arrivée de la nuit.

Or, depuis 8 heures du matin que je me trouvais à mon observatoire, je n’avais rien remarqué d’anormal ; tout allait à merveille. De temps à autre je voyais la donzelle qui se pavanait dans les allées du parc, les yeux pétillants d’envie de chi-chi frégis. Tout d’un coup, je la vois sortir tout affairée, en se dirigeant vers la grande grille donnant sur la Corniche ; puis je la vois revenir tenant une dépêche à la main : «Bagasse ! Quésaco ?» me dis-je. Et, aussitôt, allonge que tu allongeras, d’allonger ma longue-vue.

(A suivre).

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