SOUVENIRS D’UN REVOLTE épisode 24


Souvenirs d’un révolté

Par Jacob

Les derniers actes – Mon arrestation

(suite)

À ces mots la discussion prit fin. La porte s’ouvrit et le capitaine de gendarmerie vint commander à ses sous-ordres de m’emmener. Il marcha en tête. Nous n’allâmes pas bien loin, à quelques pas de là, dans le bureau de M. Challet, je crois. C’était pour me faire subir un premier interrogatoire. Là se trouvait réunie une bande d’individus à mines sinistres et suspectes. De prime abord, je fus peu rassuré. Oubliant que j’avais été fouillé et que tout ce que je possédais m’avait été saisi, d’instinct, je portais mes mains aux poches. À voir l’élégance et le confortable de leur accoutrement, leur physionomie patibulaire, mais pleine de santé, on devinait de ces sortes de gens qui font profession de vivre aux dépens des travailleurs.

C’étaient : M. le procureur, son chien M. le substitut, M. le maire dit Shylock, M. le juge d’instruction et son greffier, M. de-ci, M. de-là ; puis un tas de larbins à ne pouvoir s’en faire une idée : des gendarmes, des flics, des employés de la gare, de l’octroi, de la douane, de la mairie, de la sous-préfecture voire même ceux des pompes funèbres. Les uns étaient assis, les autres debout. Seul le juge d’instruction se promenait devant la table où était assis son aimable greffier, à grandes enjambées, comme un homme qui subit 40 degrés de fièvre. Dès que la porte se fut refermée sur moi :

– Veuillez me dire votre état civil, me dit-il tout en continuant d’arpenter le bureau. (La fièvre ! vous dis-je.)

Certes, photographié, mensuré dans plusieurs villes de France, même à l’extérieur, j’étais sûr que l’on découvrirait qui j’étais ; aussi me donnai-je le faux nom que je portais alors pour que l’on ignorât mon véritable nom pendant les quelques jours que dureraient les recherches afin que je pusse combiner et exécuter une évasion. C’est là chose assez facile dans ces petites prisons de sous-préfectures et j’aurais certainement réussi si je n’avais eu affaire qu’au gardien-chef, ce Napoléon de la bêtise ; mais le procureur et le juge d’instruction s’en mêlèrent et mon projet tomba à vau-l’eau.

– Escande Georges, né à Sète, le…, etc., lui répondis-je en lui détaillant mon pseudo-état civil.
– Vous êtes inculpé de meurtre, tentative de meurtre et vol qualifié, reprit-il lorsque le greffier eut écrit ma réponse. Qu’avez-vous à répondre ? ajouta-t-il en marchant toujours.
– Que j’ai soif.
– Vous ne répondez pas à la question.
– C’est possible ; mais un verre de lait ou un bol de bouillon feraient bien mieux mon affaire que toutes vos questions.
– Signez-vous ? reprit-il après avoir dicté mot à mot ma précédente réponse au greffier.
-Non.
– C’est bien.

Et presque aussitôt, je sortis accompagné de tout ce monde.

– Les chasseurs sont-ils prêts ? demanda le procureur au capitaine de gendarmerie.
– Oui, monsieur. On n’attend plus que vos ordres.
– Bien. Disposez-les pour le départ.

Quelques minutes après nous entendîmes les chevaux caracoler sur le pavé, à l’extérieur de la gare, et la foule crier et jurer contre leur intervention. Il y avait vingt-quatre chasseurs à cheval formant le carré, c’est-à-dire six sur chaque côté. Le capitaine de gendarmerie, flamberge au vent, marchait en tête, accompagné de plusieurs sous-officiers de cavalerie. Moi, Pélissard et toute la bande de larbins que j’ai nommée tantôt prîmes place au milieu du carré afin d’être protégés contre les intentions malveillantes de la population. Ce fut à ce moment que les alambics donnèrent le plus de vociférations. Ah ! mes enfants ! quel vacarme ! quel tohu-bohu ! Sur tous les tons et dans tous les timbres depuis la voix aiguë et grêle des enfants jusqu’à la note rauque et grave des hommes en passant par le son flûté des femmes, les «A mort ! A l’eau! A la guillotine !» ne ralentirent plus un instant de la gare jusqu’à la prison. Il fallait voir cette scène ! C’était pire que la réception de Mirbeau et Pressuré à Toulouse, où j’ai reçu une fameuse tripotée entre parenthèses. Tous ces cris, ces hurlements étaient accompagnés de gestes, de menaces, de branlements de bras : on aurait dit que tous ces corps subissaient une secousse de tremblement de terre. Toute cette foule suivait le cortège en cherchant de franchir les barrières formées par les chevaux, se rapprochant, s’éloignant en ondulation comme une mer houleuse ; en se heurtant, se bousculant, se croisant, tombant à terre, se piétinant même, quitte à se relever pour crier de plus belle : «A mort ! A la guillotine ! A l’eau !»

«À l’eau !» Ce cri domina tous les autres lorsque nous passâmes sur le pont du canal et sur celui de la Somme. Manière de nous faire prendre un bain et de nous masser ensuite. Quelle sollicitude !

(A suivre).

Nous rappelons qu’on peut se procurer à GERMINAL les numéros parus des « Souvenirs de Jacob ».

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