Arsène Geronimo Alexandre


Il est des afflictions qui s’inscrivent dans la durée. Sans atteindre le niveau des peurs millénaristes que suscitèrent certaines pandémies en des temps plus obscurs et plus reculés, des temps mythiques, la lupinose atteint nombre de cerveaux embrumés par les aventures extraordinaires de l’honnête cambrioleur Jacob. Celui de Frédéric Feu commet régulièrement cet amalgame lupinien si caractéristique. Le dimanche 29 mars 2009 sur l’antenne de France Inter, invité par feu Kriss Crumble, il vient parler de son Musée vivant du roman d’aventures. Et pour retenir l’attention de l’auditeur éberlué, il met en avant un personnage réel ayant des attaches dans la fiction. Excès de lupinose garanti. C’est même un peu, beaucoup, son fonds de commerce et c’est ce que révélait déjà son article paru dans C le magazine, n°37, en date de mars 2007.

Que l’auteur soit passionné par le crime organisé (ou non) de la Belle Epoque à nos jours passe encore. Qu’il en analyse les mécanismes qui le font passer dans l’imaginaire collectif serait même plutôt un aspect intéressant de l’historiographie. Mais, parce qu’il y a toujours un mais, ce même imaginaire dérape très souvent. Arsène Lupin aurait ainsi possédé une quincaillerie à Montpellier. Frédéric feu nous relate alors avec force de détails mais, hélas pour lui, sans citation de sources, le génie d’une organisation jacobienne qualifiée ici de rigolote. Même avec des guillemets le mot est révélateur.

Les aspects caustiques permettent de facto d’édulcorer les motivations politiques que, de toute façon, l’auteur ne manque pas de rabaisser avec force d’apriori et de moralisme. Le génie de Jacob devient de la sorte plutôt mal employé si l’on considère que voler les riches pour donner aux pauvres manque un peu de « dialogue » social… Démarche fort peu adéquate au regard de la réflexion historique, mais si caustique, si légère, si fraiche, … si lupinienne en somme. Nous avons mis quelques passages de ce texte en gras et en souligné. Dans le même ordre d’esprit, Frédéric Feu digresse longuement sur l’histoire du poignard perdu, puis retrouvé en grand nombre, de Caserio. Ernest Saurel, de Sète,  permet de faire le lien avec Jacob. Ou plutôt avec l’inspirateur de Maurice Leblanc. Lupinose, quand tu nous tiens !

C le magazine

N°37

Mars 2007

Frédéric Feu

Arsène Lupin, braquage à Montpellier

Arsène Lupin à Montpellier !

POLICE SCIENTIFIQUE D’HIER ET D’AUJOURD’HUI

Dans un intéressant recueil d’histoires locales du Languedoc Roussillon paru en 2005, Hubert Delobette raconte en partie la saga d’Alexandre Marius Jacob. Ce voleur fut célèbre au début du XX° siècle pour avoir, comme Bonnot, innové dans les techni­ques du crime organisé. Cepen­dant, c’est généralement avec moins de violence, de cynisme, et plus de fidélité envers la cause anarchiste qu’elle prétendait servir, que la clique de Jacob se distingue avant tout de la re­doutable bande des « bandits en auto » de Jules Bonnot.

L’histoire de Jacob est bien sûr connue d’après les faits racontés par les journaux populaires et les « minutes » des procès. Mais aussi par lui-même qui rédige à l’occasion de son procès en 1905 l’histoire de sa bande et sa cavale. Comme la célèbre Cas­que d’Or, il vécut bien au-delà de ce que le taux de mortalité des malfrats permet habituelle­ment.

Il survécut au bagne et échappa à la guillotine… Un miraculé en quelque sorte qui se suicida néanmoins en 1954 dans une re­lative indifférence des médias.

Tournée à l’extrême pour faire ressortir tout ce qui peut mettre en valeur des raisons, certes un peu douteuses mais amusantes, de considérer Jacob comme un « patrimoine local », l’histoire contée par M. Delobette recèle deux ou trois événements qui méritent qu’on s’y attarde à l’heure où la police scientifique et technique est en permanence sur tous les écrans.

En effet, depuis les séries télévi­sées de fins de soirées les plus macabres jusqu’aux dessins animés jeunesses – dont l’ex­cellent « détective Conan » dont mon fils de 8 ans est un fan (une version manga et moderne des aventures de Sherlock Holmes), la chasse au crime est plus que jamais un divertissement grand public.

On dit rarement que c’est à Montpellier que Jacob eut son ­­idée la plus « rigolote ». Il acquit une grande quincaillerie, magasin qui à l’époque ne se limitait pas à vendre des outils, casseroles et autres pièces de métal… mais qui était le distributeur des grands fabricants de coffres-forts ! Non seulement, comme le dit M. Delobette, Marius Jacob avait récupéré les notices de fonctionnement des coffres que son équipe « braquait », mais plus étonnant encore, c’est donc Jacob qui vendait à Montpellier les coffres-forts aux bourgeois… De plus, un coffre en fonte et en acier, ça ne s’emporte pas sous le bras ! Jacob livrait, installait et bien sûr repérait les lieux pour son prochain retour… !

Il se trouve par hasard que j’ai personnellement travaillé durant huit ans sur les collections de l’Ecole Nationale Supérieure de la Police, rassemblées jadis par le père de la criminalistique, Edmond Locard.

Le gouvernement du moment (M. Chevènement, ministre de l’intérieur) souhaitait donner de l’identité à ce patrimoine (oui, la police était en quête d’iden­tité ça n’étonnera personne !). Et je m’étais donc consacré, en premier lieu, au tri des pièces concernant les cambriolages de 1800 à 1960 dont bien sûr le matériel de Jacob. Ce type avait du génie, certes plutôt mal employé si l’on considère que voler les riches pour donner aux pauvres manque un peu de « dialogue » social… Ce que l’histoire ne dit pas mais qui est évident en voyant le matériel c’est que Jacob a effectué son activité durant les années qui marquèrent une véritable révo­lution technologique en matière de protection de biens.

Il y avait un culte du « Sûr », du « Pratique », du « Fiable », qui allait des pots de conserves aux coffres-forts avec force innova­tions et publicités.

Les montpelliérains d’adoption de la bande à Jacob furent con­frontés aux coffres à serrures simples, doubles ou triples, aux coffres scellés dans le sol, lestés, à combinaisons, avec clefs ou molettes, … avec ou sans piège, provoquant une double ferme­ture, une alarme ou déclenchant une arme à feu dissimulée dans le mécanisme…

« L’ÉCHELLE DE JACOB »…

Et bien sûr pour cela il fallait passe-partout, rossignols, chi­gnoles, pieds de biche, masses, burins, pinces homard (sorte d’ouvre boite géant), stéthos­cope pour entendre les déclics de la combinaison (merci Laen­nec), chalumeaux et bonbonnes de gaz, dynamite pour les lieux isolés (merci M. Nobel)… sans compter les lampes, les cordes et grappins, la nourriture et la boisson (c’était généralement as­sez long), un surin (couteau), un poing américain (d’ailleurs in­venté par les français à l’origine) et plus rarement un revolver. Il faut dire que ce dernier ne par­donnait pas en cas d’arrestation car le plus souvent, les forces de police n’avaient pas encore droit aux armes à feu et voyaient d’un fort mauvais oeil le fait de se faire tirer dessus et de devoir riposter avec leur sabre. Cependant, certains voyous se risquaient à trimballer dans leur pardessus, un fusil de chasse à canon scié.

Autant dire que le matériel trans­porté par les cambrioleurs devait le plus souvent ressembler à un départ en vacances de familles nombreuses. Le tout se trouvait dans une grosse caisse bien solide, genre plombier. C’est là qu’interviennent les « échelles de Jacob ». En effet, on trouvait souvent dans le matériel des vo­leurs de cette époque des séries de chiffons attachés les uns aux autres. Jacob avait fabriqué une échelle en fils de soie, très effi­cace, légère et solide mais elle n’a rien à voir avec la fabrication douteuse en chiffons de toutes ­­sortes qui laisse à penser que l’on se serait bien vite casser la figure en l’utilisant comme corde. Je pense, sans en être certain, que ce n’était pas pour sauter un mur, puisqu’ils avaient à disposition des cordes tout à fait performantes mais qu’elles étaient faites pour enrubanner tout ce bric-à-brac choisi afin qu’il ne fasse pas de bruit. Certains cambrioleurs de l’époque avaient aussi des sur-chaussons anti-empreintes et l’un deux avait même coupé le bout de ses chaussures pour qu’on ne connaisse pas sa pointure. On attribue à Jacob plus de cent cinquante vols en tant que chef des « travailleurs de la nuit » comme les appelait la presse.

Il cambriole avec succès, sans effusion de sang et nargue la police avec ses célèbres cartes de visites : « Je reviendrai quand vos meubles seront authenti­ques !». Un de ses cambriolages les plus célèbres a fasciné la police de l’époque. En octobre 1901, désirant s’attaquer au tré­sor d’une bijouterie, il loue l’ap­partement du dessus, perce le sol d’un petit trou et laisse passer par celui-ci un parapluie fermé dont il déclenche l’ouverture. Son équipe continue à agrandir l’orifice en laissant ainsi tomber les gravats dans le « pépin » ce qui évite tout bruit pouvant alerter le voisinage. On retrouve ses péripéties dans le film « Du rififi chez les hommes » de Jules Dassin mais je vous conseille bien plus encore son équivalent italien « Le Pigeon » de Mario Monicelli, dans lequel une bande de perceurs de murs on ne plus désorganisée (Vittorio Gassman, Marcello Mastroianni, Toto) gère désastreusement son cambriolage (la fin est à mourir mais ne vendons pas la mèche, ce film est rediffusé de temps à autre). C’est cette propension à cambrioler sans dommage avec humour et dans le cadre d’une cause certes très critiquée mais colorée d’altruisme, qui fit de Jacob un personnage mythique. A tel point qu’il fut la source d’inspiration principale de Mau­rice Leblanc lorsqu’il imagina les premières aventures d’Arsène Lupin le gentleman cambrioleur. Un autre point commun entre Jacob et Lupin, qui nous rappelle aussi l’une des plus grandes qualité de Vidocq, est le goût du déguisement. Si Vidocq avait conseillé à son équipe de police, recrutée chez les malfrats de l’époque, de garder leurs dégui­sements afin de s’infiltrer dans ­la société et de recueillir des informations, Jacob, lui, avait carrément racheté une friperie de Montpellier pour disposer, pour son équipe, de tous les déguisements possibles. Y compris des bases pour se faire des uniformes de gendarmes et de policiers.

M. Delobette cite également les rapports qu’ont entretenus Jacob et certains personnages, beaucoup plus noirs de l’histoire de l’anarchie. Ce fut le cas de Sorel, grand ami de Santo Ca­serio qui poignarda le président Sadi Carnot à Lyon. Oublions un temps Jacob pour relever une remarque de M. Delobette : « Le poignard de Casério avait été acheté à Montpellier». L’histoire de ce « stylet » espagnol est une ­­­­de celle qui me fascine le plus. Peu d’objets dans l’histoire de la police permettent de raconter autant d’anecdotes intrigantes. Accrochez-vous. Tout d’abord, il faut savoir que le couteau qui a tué le président est en ce moment exposé simultanément au musée de la préfecture de police de Paris, au musée des techniques de police Edmond Locard de Saint-Cyr au Mont- d’Or (dont j’ai assuré la scénographie), dans la collection des héritiers d’un grand médecin légiste dont je ne peux citer le nom, un autre exemplaire se trouve dans une exposition « La très étrange affaire du carreau Wendel » en Lorraine. J’ai du mal à localiser le dernier qui semble se balader au Québec après n’être jamais revenu d’une expo pour laquelle il fut prêté aux alentours de 1970. C’est un peu comme les 10 000 hôtels qui prétendent avoir reçu Napoléon ou les reliques de tels ou tels saints qui, collées les unes aux autres, permettraient d’obtenir la masse osseuse d’un tyrannosaure ! Je relève au passage que c’est un sujet qui pourrait intéresser Laurent Puech, autre chroniqueur de « C le mag » qui aime bien pister les arnaques et erreurs historiques et scientifiques. Le couteau de Caserio a bien existé. Il était très affûté et sa lame de Tolède n’a laissé aucune chance à notre pauvre président. Cette arme est même en partie à l’origine de la vocation de Carrel, l’un des plus grands chirurgiens mondiaux. Hélas, celui-ci est également connu pour ses déplorables prises de positions politiques et eugénistes durant la Seconde Guerre Mondiale, ce qui fait parfois oublier que l’intelligence et la morale n’ont rien a voir. Alexis Carrel faisait partie des « spectateurs » de l’assassinat et fut toujours choqué que les plus grands médecins de l’époque qui justement ce jour-là entouraient le président, n’aient rien pu faire pour suturer l’artère touchée.

UN POUR TOUS, TOUS POUR UN !

Pourquoi autant de couteaux ! Sachez tout d’abord qu’il n’y eu pas seulement le couteau acheté par Caserio à Montpellier mais que les juges décidèrent pour la reconstitution d’en comman­der trois autres exemplaires. On a prétendu plus tard que les couteaux avaient sans doute été mélangés, il me semble qu’il est plus probable que l’un des protagonistes du jugement l’ait accaparé en toute discrétion. Chaque personnalité de la poli­ce et de la justice aimait à l’épo­que se constituer une collection personnelle de curiosités, ce qui était encore possible jusqu’à la fin des années 1970 car le statut de pièce à conviction était très flou. De plus la police scienti­fique naissante collectionnait les objets de références pour développer ses techniques, c’est le cas de ses fondateurs français (Alphonse Bertillon et Edmond Locard). De leur côté les mé­decins légistes et chercheurs en anthropologie criminelle s’acca­paraient les morceaux de corps humains, les crânes décapités, les peaux tatoués… Concernant le couteau qui est au Québec, certains documents semblent prouver qu’il s’agit d’une copie. Eliminons aussi celui de Forbach en Lorraine ; il est à moi, je l’ai acheté chez un antiquaire d’An­dalousie… Celui de la collection privée est inaccessible, reste à ­­­­­­­­­­­­­étudier ceux des musées de police. On peut d’abord les comparer avec les mesures très précises de l’original communiquées au journal « L’illustration » qui avait également fait réaliser une gravure des motifs exacts. Les deux objets des musées correspondent très exactement dans les plus infimes détails mais diffèrent entre eux sur un point très important : la couleur du velours du fourreau. Ceux-ci sont bien sûr très altérés par une centaine d’années de conservation peu judicieuse. Mais on voit bien que l’un devait être gris très foncé ou noir et l’autre moutarde foncé ou vert amande (c’est vous dire si le temps a massacré ces éléments !). ­Et c’est là que la glorieuse et très médiatique police scientifique se heurte à un problème. Si il y a un couteau qui a été acheté neuf pour la reconstitution et un autre, le vrai, il doit rester des résidus de sang sur une des lames (Non, je ne  ­­­­­veux pas cloner Sadi Carnot !). Et lorsque je me suis permis, il y a six ans, de faire un très discret prélèvement métallique sur la lame du couteau de Saint-Cyr pour en discuter avec les chercheurs de l’Ecole des Mines de Saint-Etienne, équipée bien sûr de microscopes électroniques et autres spectroscopes de masse, nous nous sommes heurtés à une lacune technique qui ennuie les enquêtes historiques. Après autant de temps, il n’était évidemment plus possible de distinguer les molécules dégradées de sang, brouillées qu’elles étaient par leurs mélanges avec les résidus de rouille, de poussières et de sueurs des mains qui les ont manipulées. On sait donc où est passé le coeur de Louis XVII mais toujours pas quel couteau est le bon ! A ce stade de mon article, je ferai remarquer aux lecteurs passionnés de ­­­Sherlock Holmes, dont il existe une succursale de l’association nationale à Montpellier, qu’ils doivent m’écrire pour me dire en quoi l’anecdote que je viens de citer concerne le plus grand détective du monde. Je donnerai la réponse dans mon article « C le mag » du mois de juin qui s’intitule d’ores et déjà « Sherlock Holmes à Montpellier » et pour lequel toute contribution sera la bienvenue. La photo des couteaux montre l’exemplaire du musée de Saint-Cyr (en bas de la photo avec son étui) et deux autres stylets du même fabriquant. Si par miracle vous découvrez un couteau de cette qualité, il faut éviter de faire une erreur vraiment stupide : celle de poncer la lame comme sur les deux couteaux du haut pour faire disparaître les légères inscriptions « damasquinées » généralement « Recuerdo Toledo ». Certains antiquaires peu documentés pensent en effet que cela fait plus « classe » de ne pas vendre un objet touristique, pourtant cela constitue juste une dégradation de pièce authentique et lui fait perdre sa réelle valeur.

Il y aurait encore beaucoup de choses à dire sur les bandits de la Belle Epoque, sur les pièces à conviction et ce personnage étonnant qu’était Jacob. Mais nous le retrouverons sûrement au détour d’autres articles dans cette même rubrique

Frédéric Feu

Frédéric Feu, metteur en scène de spectacles scientifiques, est un des fondateurs du Centre de l’imaginaire scientifique et technique du coeur d’Hérault dont le siège se trouve à Aniane. Suite à cet article, il nous annonce deux autres recherches dans le même esprit à paraître prochainement : « Sherlock Holmes à Montpellier » et « Fantômas aux pays des garrigues », ainsi que d’autres rubriques sur les sciences et l’imaginaire.

frederic.feu@laposte.net

http://www.imaginairescientifique.fr/contenu/clemag/docs/arsene_clemag_mars_2007.pdf

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