Dix questions à … Claire Auzias


Claire Auzias a sa part de responsabilité dans la publication à l’Atelier de Création Libertaire de notre thèse sur Alexandre Jacob. Après avoir porté son regard critique sur nos travaux, elle a transmis le cd de notre thèse à l’éditeur libertaire lyonnais, donnant ainsi l’impulsion à la sortie d’Alexandre Jacob l’honnête cambrioleur. Les travaux de Claire l’enragée, sur l’anarchisme mais aussi sur les roms, sont fondateurs, innovants.

Mais Claire Auzias est également romancière. En donnant vie et saveur aux extraordinaires aventures de Laplume et Goudron, elle jette la question de l’illégalisme dans le débat actuel, débat que les relents aseptisés de l’actualité cherchent à confiner dans la facile psychose sécuritaire. A ce titre, nous lui avons demandé de répondre à quelques questions sur Jacob, sur le bagne, sur l’illégalisme, sur les roms.

•1) Tu as écrit Les aventures extraordinaires de Laplume et de Goudron à la manière d’un roman, un road movie, une sorte de fable comique sur l’illégalisme. Peux-tu en quelques mots dresser le portrait de Laplume et de Goudron ?  Une histoire présente de l’illégalisme te paraît-elle limitée et dangereuse du fait même des risques du métier qui accompagnent ces pratiques ?

a) Laplume et Goudron est un roman comique car se prendre au sérieux serait terrible pour des héros. Ce sont deux joyeux drilles qui oeuvrent trente ans durant  au cambriolage d’huissiers de justice et de notaires, c’est-à-dire à l’une des chevilles  garante de la propriété,  et de la transmission des héritages, c’est-à-dire l’un des lieux le plus unanimement admis comme le reproducteur  central de l’inégalité au monde. Tous les révolutionnaires sérieux ont réclamé l’abolition de l’héritage et tous les coups de mains révolutionnaires sérieux ont commencé par brûler les titres de propriété. Mais le genre choisi pour ce livre est en effet la fable et non la démonstration didactique qui eût été assommante. D’ailleurs les succès formidables des deux héros se passent largement  d’oraisons. Ce sont deux héros qui vivent en symbiose leur activité nocturne et dont la réussite tient aussi dans cette complémentarité profonde entre eux.

b) : Une histoire présente de l’illégalisme est limitée nécessairement et inquiétante pour le moins, sinon dangereuse. Oui les risques du métier sont graves. Nul n’est autorisé à  aggraver ces risques.

Les risques du métier d’illégaliste sont les plus importants parce que les juges et  les instances punitives  sanctionnent moins les faits que l’interprétation des faits. En un mot, chacun sait qu’il vaut mieux couler un système financier mondial qu’émettre un chèque sans provision pour un rmiste, ou tirer un sac de ciment pour un perruqueur. Il suffit de lire la presse aux ordres pour savoir cela. Mais surtout tuer quiconque par bavure coûte moins cher que tuer quiconque par idéologie proclamée (Je n’ai rien en faveur des meurtres idéologiques,  en général). Quant aux  reprises  sur les biens, il suffit qu’elles soient « reprises » pour être sanctionnées à vie. Un voleur proclamant que « La propriété c’est le vol » sera condamné à mort pour ce propos, tandis qu’un escroc bancaire proclamant que l’argent est l’opium des classes possédantes sera blanchi sur le champ par  son Etat.

L’histoire présente de l’illégalisme met en cause trop de personnes vivantes ou d’ayant-droits pour qu’on puisse l’écrire telle qu’elle est. Et c ‘est pourquoi en général, nous préférons nous replier sur le passé historique qui ne met personne en danger. Quand nous en écrivons des fragments accessibles, les uns tremblent, d’autres réprouvent. Certains pensent plutôt que le silence est d ‘or et que rien ne vaut se taire ad vitam. Mon choix est ailleurs et je pense au contraire que la parole est créatrice de vie, quel qu’en soit  le prix. En un mot, il y eut des milliers d’illégalistes dans les temps récents. Est-ce qu’il est tellement intéressant de  concentrer l’histoire  sur un seul personnage para-tonnerre, par exemple, comme on le fit ces dix dernières années sur un seul sujet ? Sachant qu’il n’existe jamais d’histoire sociale isolée et que tout « fait social total » exige une multiplicité de concours.

J’appelle illégalisme uniquement la reprise pratiquée au sein du mouvement anarchiste, voire par générosité, dans un environnement plus largement sympathisant. Les actes de banditisme classique ne font pas partie de l’illégalisme, ni les actes de banditisme politique comme d ans certains groupuscules non anarchistes de toutes les époques, car les tenants et aboutissants, les pratiques et les modes de vie sont opposés. Encore une fois , il n’est pas que de bon bec en anarchie et de braves et vaillants brigands peuvent tout à fait éclore chez de parfaits autoritaires ou chez de parfaits psychorigides,   des admirateurs militaires ou des fanatiques de tous bords.

Ceux-là n’entrent pas dans mes catégories d’illégalistes. Ce n’est pas l’acte qui définit exclusivement l’illégaliste, mais son discours et sa pratique, non seulement sur le tas, mais aussi pendant ses loisirs, heures de repos et en congés professionnel. Ce n’est pas  seulement ce qu’il fait du butin, mais aussi comment il le fait et avec qui.

Il y a plusieurs types d’illégalismes :

1)  les plus durables sont ceux qui ont la force d’agir seuls. Donc pas de fuite, pas de complications de réseaux. Motus et bon boulot. L’exemple le plus récent est celui du « Solitario », citoyen espagnol, arrêté au Portugal en 2007, actuellement écroué à la prison de Monsanto à Lisbonne : il agissait, comme son nom l’indique, tout seul. « Il solitario », en dépit de proclamations très subversives  lors de ses audiences, n’est toutefois  pas reconnu comme un anarchiste à part entière, semblerait-il.

2) L’exemple de Laplume et Goudron est charnière : ils eurent des collaborateurs occasionnels, mais le gros du travail se fit en duo et encore une fois un duo intime, garantie de sa longévité. C’est ce qui me plaisait dans le roman.

3) Et enfin la troisième catégorie d’illégalistes est si étendue, si collective, si vaste qu’elle est un mode de vie pluriel, une contre-société, un choix, un risque de mort et de perte de liberté – ce qui est le pire de tout. Un combat de désaliénation directe. Certes, les engagements sont asymétriques, tout le monde ne fait pas la même chose. Il ne s’agit pas d’aplanir les courages, ni les solitudes inévitables. Mais c’est cette résolution d’une fraction de génération entière, qui fit un mouvement au sens noble, collectif et perpétuellement mouvant. Cela rend l’histoire contemporaine de l’illégalisme  très difficile. Ce n’est même pas l’obstacle du flic.  Le flic n’est qu’un pauvre flic. Comme dit l’autre : on n’emprisonne pas des idées. L’obstacle est beaucoup plus subtil.

•2) Le débat que nous avons animé dans les locaux du CIRA Marseille au mois de février dernier à propos d’Alexandre Jacob a rapidement dévié sur les questions de violence en politique. Peut-on faire abstraction de cet aspect lorsque l’on se penche sur la pratique illégaliste ? Doit-on fatalement porter une condamnation, même subjective, de cette pratique en affirmant comme le fait Maitron qu’il s’agissait avec la propagande par le fait de « maladies infantiles de l’anarchisme » ?

D’abord Jean Maitron a exprimé un avis personnel, que je ne partage pas du tout et si les termes de ta citation sont exacts (ce que je ne vérifie pas), eh bien nous savons d’où sort cette  brillante maxime ! Porter condamnation de l’illégalisme n’est aucunement fatal, c’est un point de vue, que pour ma part je ne suis pas. Je ne condamne  personnellement pas  l’illégalisme et sûrement pas en bloc et abstraitement. Il peut m’arriver subjectivement de réprouver tel ou tel type d’acte évidemment, mais c’est au coup par coup, cela dépend de chaque situation et surtout de chaque acteur. Je ne m’engage pas pour autant à soutenir n’importe quoi, ni n’importe qui ! Si le débat du CIRA (auquel je ne participais pas) a dévié sur la violence en illégalisme, c’est en effet une toute petite partie du sujet, car l’on connaît beaucoup d’illégalistes  parfaitement non-violents. Il n’y a pas de cause à effet. C’est le cas de mon Goudron qui ne se prive pas d’instruire la jeunesse précisément sur l’inutilité de la violence. On ne doit pas bêtifier non plus dans l’angélisme : quand on porte des armes, si on en porte, ou en abrite, c’est bien dans l’hypothèse même théorique qu’elles signifient un rapport de force et que ce rapport de forces risque d’avoir à s’engager. Ma vie a particulièrement  souffert de ce point et je ne saurais donc ni le renier, ni le prôner étourdiment. Quand la mort est là, il est trop tard pour analyser son empire.  On ne peut donc pas faire abstraction entièrement de l’éclosion potentielle de  violence  dans l’illégalisme, mais réduire l’illégalisme à une violence automatique est inexact.

•3) Penses-tu comme Vivien Bouhey  a pu le développer dans sa thèse de doctorat publiée récemment aux Presses Universitaires de Rennes récemment, qu’il y a à la fin du XIXe siècle un complot anarchiste contre la République, visible entre autres par le biais de réseaux ? Une telle vision ne s’inscrit-elle pas dans une espèce de fascination paranoïaque et universitaire vis-à-vis du mouvement libertaire ? Ne touche-t-on pas là plutôt à un phantasme facile ?

Je n’ai pas lu cette thèse et je n’aime pas me prononcer sur du « on-dit ». Ma réponse sera donc prudente et circonstanciée : Non, il n’y a pas de complot anarchiste à la fin du XIX e siècle ni contre ci, ni contre ça, parce que l’anarchisme n’est pas un complot. C’est un programme « politique ». Un programme « politique »  ou « social » ne  se pense pas en terme de complot, ça c’est du roman policier. D’autant que les anarchistes sont incapables de complot pour mainte raison que je ne saurais développer ici hélas. C’est méconnaître l’aspect foncièrement sectoriel, fragmenté, rhizomique du mouvement anarchiste qui fait sa force et son identité.

•4) Comment envisages-tu la place d’Alexandre Jacob dans l’histoire de ce mouvement ?

C’est toi l’auteur de la biographie d’Alexandre Marius Jacob et non pas moi ! Je m’en réfère à tes travaux ! La place d’Alexandre est fondamentale en ce qu’il a explicité, exprimé et peut-être théorisé sa propre pratique, et de ce fait il est l’un des piliers théoriques ( si je t’ai bien lu) de l’illégalisme. Je n’aime pas les compétitions ni les surenchères. Aussi je pense que Clément Duval, par exemple et de nombreux illégalistes fervents du  second XXe siècle ont droit à leur mausolée tout autant. Il se trouve que nous disposons de textes d’Alexandre  Jacob qui nous permettent d’amplifier son personnage. Sa place, en somme est fondamentale bien sûr. Dans notre jeunesse, en outre, il était une véritable pierre philosophale, un  conte des mille et unes nuits…autant que Bonnot et Ravachol.

•5) Nous avons à la fin de notre étude sur « l’honnête cambrioleur » travaillé sur l’historiographie de Jacob et en particulier sur la recomposition de l’image de l’illégaliste qu’il fut. Le mythe lupinien te parait-il crédible ? Pourquoi ce mythe est-il fréquemment admis dans les milieux libertaires ?

Le mythe lupinien nous plait : il transforme un vrai héros en un  idéal, un personnage historique en une image de conte.  Nous apprécions  ces  puissances oniriques, comme tout le monde et  c’est pourquoi l’équation Arsène Lupin = Alexandre Marius Jacob nous touche ; Cependant tu nous as démontré dans tes travaux que Jacob est mieux qu’Arsène Lupin, qu’il est un vrai révolutionnaire et non point un dandy, et nous te croyons sur étude. Tu as rompu épistémologiquement avec le recours à Arsène lupin en rendant à Jacob sa capacité politique que  la figure littéraire avait gommée. Je crédite tes analyses du sérieux requis, pour réfuter l’imagerie antique Lupin= Jacob.

•6) Lors de nos recherches, René Bianco nous a écrit, avant de décéder, que la charge contre les biographies précédentes de Jacob était maladroite et mal venue. Tu nous a largement par la suite aidés à développer notre propos. En quoi, selon toi, notre vision de l’honnête cambrioleur diffère-t-elle des Vies d’Alexandre Jacob de Bernard Thomas ou encore de Marius Jacob l’anarchiste cambrioleur de feu William Caruchet ?

RENÉ  Bianco est un excellent historien anarchiste de l’anarchisme, et c ‘est très rare. Je l’ai vérifié plusieurs fois. Il entretenait ses attachements à certains critères et c’est pourquoi il a sans doute défendu auprès  de toi la personne de Bernard Thomas qu’il a du connaître dans son très jeune âge, du temps où Bernard Thomas fricotait avec les anarchistes. René Bianco est un homme de fidélités aussi. En outre, il y avait peut-être entre eux, cette obligation franc-maçonne. Cependant René Bianco ne se leurrait pas sur les qualités professionnelles d’un travail. N’ayant pas ce parcours, j’ai soutenu ta démarche contre les interprétations antérieures avec beaucoup d’aisance : Les livres antérieurs ne sont pas des études, tout au plus du journalisme et encore ! Pas du Albert Londres.  Leur objectif était de romancer des affaires à grand spectacle et Marius Jacob en est une. Par exemple, Bernard Thomas  est un vulgarisateur  notable, mais aucunement un professionnel de l’histoire, ce qu’il n’a d’ailleurs jamais revendiqué. De plus il y avait encore précédemment Alain Sergent qui fut la source première avec Jean Maitron en  cette matière. Aussi,  n’ayant point les mêmes obligations  que René, n’ai-je pas hésité à encourager ta démarche qui nous est utile et à laquelle tu ne peux pas te soustraire. Tu es dans ton rôle. Il ne faut pas comparer les  compétences : Bernard Thomas fait du Broadway quand tu fais de l’histoire. Il y a des anarchistes qui aiment le music hall et le grand spectacle,  on leur laisse leurs goûts. Tu es un professionnel de l’histoire. En résumé il y avait du commercial et du «  seconde main »dans le portrait par Bernard Thomas dont tu as départi ta biographie, c’est le minimum que l’on attendait de toi.

•7) Tu as travaillé avec les éditions Egrégores à la réédition des souvenirs du bagne de Jacob Law. Peux-tu nous présenter le personnage dont la vie, hormis le parcours carcéral, parait bien obscure ? On ne sait par exemple pas grand-chose sur son devenir après la Guyane.

Jacob LawComme historienne, je ne m’intéresse réellement qu’aux affaires inconnues, méconnues, rares, minoritaires, etc.C’est à ce titre que Jacob Law m’a aussi arrêtée. Un anarchiste juif russe à Paris qui commet un attentat, est expédié au bagne sans que l’historiographie officielle de l’anarchisme ne se souvienne de lui. Un oublié chez les oubliés ! Jacob Law est un personnage peu séduisant : les lecteurs superficiels veulent être séduits et n’apprécient pas ce bonnet de nuit, triste, qui vitupère les comportements trop humains de ses congénères au bagne. Les anarchistes consommateurs de récits enluminés n’ont pas goûté der trouble-fête. Pourtant, comme tu le sais toi-même, en ce qui concerne Alexandre Marius Jacob, les dires de Jacob Law sont corroborés par sa propre compagne, Josette Passas. Ils n’ont rien de médisants. Mais les manichéistes  ne veulent pas entendre cela.

J’ai rédigé la biographie de Jacob Law pour la revue Chimères en 2006 qui l’a publiée. C’était un épisode passionnant de travail aussi bien  à la bibliothèque du Bund qu’aux archives de la Santé, et d ‘outremer. Jacob Law est typiquement le personnage englouti et incompris. Son texte en témoigne : il s’exprime lourdement, avec  difficulté. On suppose qu’il est reparti en Urss après son expulsion par la France, c’est ce que certains de ses camarades avancent et sa famille  l’attendait à Balta après ses  mésaventures européennes et guyanaises. Mais en vérité de nos jours, on ignore encore s’il a péri dans les goulags, comme c’est probable.

•8) Law est un des rares, si ce n’est le seul, à donner un e vision négative du bagnard Jacob, matricule 34777, allant jusqu’à la qualifier de larbin de l’Administration Pénitentiaire. Comment peux-tu expliquer cette attitude de Law vis-à-vis de Jacob en particulier et des anarchistes au bagne en général ?

Elle est salutaire, elle ramène les héros aux pieds d’argile à leur juste mesure. Il n’y a pas d’absolu et surtout pas au bagne. Il faut singulièrement ignorer comment joue l’enfermement, prison et bagne pour croire qu’il soit exclu qu’un intègre seigneur comme Marius Jacob puisse être ainsi qualifié. Je n’étais pas présente au bagne et je ne puis mordicus affirmer. Jacob Law était muré dans sa solitude d’exilé juif, à moitié fou qu’aucune approche humaine n’est venue adoucir. Il a vu ses compagnons  de l’extérieur comme des gens compromis. Il ne s’agit pas de juger, ni de décider le vrai du faux. Il faut surtout se souvenir qu’en analogue circonstance, on ne sait pas ce que nous-mêmes aurions fait. Alexandre Marius Jacob  semble avoir choisi le meilleur possible pour lui-même, en servant d’homme de compagnie à l’épouse du gouverneur du bagne. C’est ce que confirme sans hésitation son ultime compagne. Seule une morale religieuse  condamnerait une telle stratégie de survie. Il est clair qu’on peut entendre au moins les propos de Jacob Law comme la dénonciation d’une absence de solidarité entre les bagnards anarchistes, ce qui est déjà  sinistre information. Je te rappelle que son jugement est laudatif concernant Dieudonné, Roussenq et De Boe, ce qui tend à amoindrir l’isolement moral total de Jacob Law au bagne.

•9) L’intérêt que tu portes aux populations tziganes t’amène à travailler aujourd’hui au Portugal ? Qu’en est-il dans ce pays de l’histoire de ce groupe humain mis au ban des presque toutes les sociétés et ce depuis des temps immémoriaux ?

Pour les Gitans portugais, nous devrons attendre quelques temps avant que je puisse avancer des  analyses et présentations fiables. Actuellement, on sait qu’ils sont presqu ‘entièrement aux mains des églises, Opus dei et autres extrémismes du moment. On sait aussi qu’il sont dans certains lieux totalement déstructurés  au point de s’entretuer entre clans rivaux de quartiers à coups de kalachnikov (ce que relate la presse à grands frais) sans doute pour des  questions d’hégémonie économique souterraine, drogue probablement. La situation du Portugal est  lamentable en Europe au sens où, ce pays est très retardataire en matière  de mise à jour européenne quant aux droits des Gitans et surtout à leur autodétermination. Mais comme l’aliénation civique des Tsiganes est universelle en Europe, on ne saurait plus dire où ils sont le mieux ou le plus mal traités de nos jours.

•10) Peux-tu nous éclairer sur le qualificatif de « voleurs de poules » dont l’imaginaire collectif affuble ces populations encore aujourd’hui ? Y-a-t-il eu une conscience illégaliste et politique chez les tziganes et autres roms ?

Belle question mais aussi délicate à traiter que les premières de ton questionnaire : conscience illégaliste au sens anarchiste  chez les Gitans ou Roms ? Non.

Tout un peuple n’est pas « voleur » ni de poule ni d’autre chose, et c’est racisme que de s’en tenir à cela. Nos concitoyens tsiganes d’Europe ne se reconnaissent pas dans ces clichés et considèrent qu’il en va de leur honneur de combattre ces idées reçues. C’est le premier de nos devoirs que de les accompagner sur ce plan. Mais il est très difficile d’ignore à quel point l’illégalité est répandue parmi nos concitoyens dans ce groupe, et notamment du fait qu’ils n’ont souvent pas d’accès à des moyens  moins risqués de gagner leur vie. Bref : à population discriminée, ressources discriminantes. Ce sont des choses qui arrivent et il y a beaucoup de gens du voyage, Roms et autres Gitans dans les prisons d’Europe. Trop. Pour des actes mineurs et sans intérêt. Les trois quarts du temps ce sont des gestes insignes. Ce que traduit exactement la conscience populaire avec son «  voleur de poules » : si voleurs il y a, ce ne sont pas des grandes affaires. Très peu de haut banditisme chez les Roms. On peut en trouver, mais  minoritaire. Ou alors des commandes pour plus gradés qu’eux, aucunement tsiganes comme par exemple les brocanteurs et antiquaires qui les envoient dérober dans les châteaux de France les pièces manquantes pour enjoliver les demeures de la bourgeoisie française et européenne. C’est du moins ce qu’on peut lire dans un rapport du ministère de la solidarité sociale d’il y a quelques années.

La première de toutes les urgences est de rappeler que  s’il y a beaucoup de Gitans et autres en prison  c’est qu’ils ont moins d’appuis bien placés que d’autres, c’est la seule conclusion décente que l’on puisse en tirer. C’est un emprisonnement de pauvres.

Et maintenant : la conscience politique. Oui, cette conscience existe depuis des décennies, tout au long du XXe siècle elle a cheminé. Elle se poursuit de nos jours, fragile, hésitante et timorée, pour plusieurs raisons. La principale est le niveau d’alphabétisation et d’insertion du peuple rom dans l’ensemble européen. La raison fondamentale de leur minorisation est un racisme inimaginable, loin devant tous les autres qu’ils soient de sexe, de race ou d’opinion.  Les Gitans sont mondialement en bas de l’échelle des valeurs du mépris. A mépris universel, silence universel : «  Pour être tranquilles, vivons cachés, et taisons-nous »! D’ailleurs après l’extermination de la seconde guerre mondiale, parler et redresser la tête est une prouesse.

Eh bien cette prouesse est accomplie en Europe de l’Est. Malgré la  grande misère de ce peuple, il y aussi là-bas les plus combatifs des leaders politiques. Mais plus agréable désormais à constater est la relève d’une génération de Manouches et Gitans français qui redresse la tête hors des barbelés des camps français et espèrent gagner leur existence légitime en ce pays.

A nous de  leur prêter attention, et s’ils le requièrent, main forte. Leurs ennemis sont innombrables : des colonialistes  avérés et actifs prennent actuellement des mesures afin d’entraver autant que faire se puisse l’autonomisation des Gens du voyage français et latins (France, Espagne, Italie, Portugal). Mais avec un peu de vigilance de la part de leurs compagnons non tsiganes,  nous tous en premier lieu, c’est un obstacle qu’ils vaincront bientôt. Certes, on ne combat pas le Vatican d’un trait de plume. C’est le pouvoir le plus ancien, le plus solide et le plus rôdé d’Europe. Les extrêmes droites vaticanes ont pris des mesures écrites dans les pays latins  où l’église catholique était religion d’Etat, contre l’autonomie des Tsiganes. Si un jour les libres -penseurs et autres athées, citoyens de simple bienséance moderne,  prennent conscience de cet insupportable féodalisme en plein XXI siècle, peut-être trouveront-ils enfin des raisons de se réveiller pour assister les  Manouches et Gitans dans leur combat titanesque, sans leur demander même en contrepartie le moindre credo certifié conforme. Je ne vote pas, mais je me battrai toute ma vie pour que ceux qui sont privés de ce droit puissent comme moi, choisir de ne pas l’exercer volontairement et librement.

Les Manouches n’ont pas besoin de mentors, ils sont assez grands pour savoir ce qu’ils veulent. Ils ont besoin de soutiens actifs. Ils n’ont pas besoin de prophètes, de propagandistes, de prêtres des temples sacrés. Et encore moins de manipulateurs. Ils ont besoin d’égaux et de solidarité attentive.

Claire.

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