Roussenq au bagne et dans le Monde Libertaire


 Le Monde Libertaire

N°1557

Du 9 au 15 avril 2009

Au bagne

 

 

Il y a une dizaine d’années, les Editions du Monde libertaire avaient contribué à exhumer de l’oubli le souvenir d’un révolté qui connut le pire qu’une vie puisse offrir (1). Paul Roussenq, le « bagnard de Saint Gilles », baptisé aussi « L’Inco » (« L’incorrigible »), obtenait ainsi une reconnaissance renouvelée des anarchistes, des historiens des bagnes et de ceux qui ont fait de leur combat une dénonciation de l’horreur carcérale, passée et présente.

L\'Enfer du bagne, Paul Roussenq, Libertalia, mars 2009Les Editions Libertalia viennent d’apporter une nouvelle pierre à cet effort en faveur de l’être exceptionnel que fut ce méridional, recordman des jours de cachot au bagne de Cayenne. Libertalia vient en effet de rééditer L’enfer du bagne (2), écrit par le bagnard, en 1942, alors qu’il était -encore- en captivité. Cet ouvrage, publié en 1957 et devenu introuvable, est un ouvrage passionnant sur l’homme qui l’a écrit et sur les bagnes de Guyane.

Cela débute par une longue préface de Jean Marc Delpech, déjà auteur d’Alexandre Jacob, honnête cambrioleur (Editions ACL). Ce travail est une mise en perspective de la vie de Paul Roussenq. Comprendre d’où il vient, pourquoi et comment il réagit face à l’injustice sociale et militaire, apprendre ce que sera sa vie à son retour de l’Enfer du bagne… sont autant d’éléments incontournables pour bien saisir la trajectoire de Roussenq. Cette longue préface, très réussie, est une approche du personnage qui nous le rend presque familier : une nette impression de mieux le connaître se dégage lorsque l’on aborde les pages que l’ex-bagnard écrivit sous le régime de Vichy.

Il faut relever aussi l’agréable idée d’avoir reproduit en fin d’ouvrage le chapitre que le reporter Albert Londres avait consacré à Roussenq dans son livre Au bagne (1923), et une chronologie complétée, qui fait de ce livre le plus complet existant à ce jour et consacré au Bagnard de Saint Gilles.

Enfin, le livre est heureusement enrichi des dessins de Laurent Maffre.

Que ceux qui pensent trouver là, sous la plume de Roussenq, une énième description des bagnes, spectaculaire et anecdotique à la fois, se ravisent ; et les amateurs d’histoire qui, blasés, croient avoir affaire à un nouvel ouvrage érudit en seront aussi pour leurs frais. Le travail de Roussenq n’a rien de cela, et pourtant, il est essentiel à la compréhension du quotidien d’un forçat de Cayenne et s’adresse tant aux amateurs qu’aux profanes. Cette qualité est importante.

Paul Roussenq après sa libérationLe livre de Paul Roussenq se caractérise en effet par une exhaustivité et simplicité du langage. Sa concision, alliée à un esprit synthétique, fait que le livre nous ouvre facilement un univers inconnu ; le fait que Roussenq y ait vécu pendant 23 ans donne un ton particulier à ces lignes. Personne n’aurait l’idée de remettre en cause les informations qui nous sont livrées là, l’ex-bagnard émaillant son travail de description de détails que seul un ancien pensionnaire des bagnes peut connaître.

Passant en revue chaque aspect du bagne, « L’Inco » nous donne à comprendre, sentir, subir, souffrir, ce que lui et des dizaines de milliers d’autres ont connu au nom de la République française et de ses universelles valeurs d’égalité, de fraternité, de…liberté. Sur un ton apaisé, sans description sordide ou spectaculaire, mais sans manquer de montrer du doigt les travers de la nuit carcérale du bagne, il nous en fait pénétrer tous les sombres aspects. Il est un souvenir de cette épopée, là où l’Etat  refuse toujours de conserver des vestiges du bagne. Nul besoin d’être déjà rempli d’empathie pour se révolter contre le sort que l’on fit subir à Roussenq et ses congénères; la lecture de son livre au ton clair et direct suffit. Comme elle suffit à établir un lien ténu, indiscutable, entre la politique meurtrière de l’Etat français dans les bagnes et celle d’aujourd’hui, régulièrement épinglée par la Cour européenne des droits de l’homme.

Daniel Vidal

 

Notes

1 – Paul Roussenq, le bagnard de Saint Gilles, Editions du Monde libertaire, Collection Graine d’ananar, 1998. Aujourd’hui épuisé.

2 – Paul Roussenq, L’Enfer du bagne,  Editions Libertalia, 136 pages, 10 euros, disponible à Publico.

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