Paradis Air Line aux îles du Salut


Thierry Guittard, illustration de La vie des forçats, Libertalia, 2008Où sommes nous ?Mêmes les anges meurent aux îles du Salut alors qu’ils accompagnaient leur gaffe de père. Ils reposent à côté des surveillants et autres agents de l’AP, passés de vie à trépas sur les trois cailloux. Un cimetière leur est réservé sur l’île Royale. Repos éternel et vue garantie sur ce paradis dont « les hommes ont fait un enfer » (Mireille Maroger, Bagne, 1937). Il n’y a pas en revanche assez de place pour mettre les fagots en terre. C’est pourquoi, à la fin de la journée, le corps du bagnard décédé est embarqué sur une chaloupe, dans un cercueil amovible et réutilisable. Au son de la clochette, les squales viennent chercher leur repas. L’immersion du corps du forçat défunt provoque le plus souvent un réflexe pavlovien chez l’animal guettant l’embarcation mortuaire. C’est ce que nous raconte Eugène Dieudonné dans La vie des forçats. C’est encore pourquoi Paul Roussenq, dit l’Inco, confie à Albert Londres venu le visiter en 1923 dans son cachot de l’île Saint Joseph qu’il finira « dans le ventre d’un requin ». Le 20 avril 1954, l’honnête retraité du vol politique Jacob écrit à Josette Passas. Il se souvient : « Je songe à ces milliers et milliers de camarades que j’ai vus immergés et aussitôt dévorés par les requins. J’estime que ces cadavres contribuaient aussi à perpétuer la vie d’autres animaux. Je ne blâme pas cependant le culte des morts. Il a sa poésie de consolation ».

 cimetière du personnel de l\'AP, île Royalecimetière du personnel de l\'AP, île Royale

 

 

 

 

 

 

cimetière du personnel de l\'AP, île RoyaleOù sommes nous ?

Eugène Dieudonné

La vie des forçats

Chapitre VIII L’homme et le requin

réédition Libertalia, p.99 :

Les mers des tropiques sont infestées de squales, plus connus sous le nom de requins.

Aux îles du Salut, l’exiguïté du terrain ne permet pas d’enterrer les forçats décédés. On les mouille. Le mouillage se fait vers cinq heures du soir, avant la tombée de la nuit. Les canotiers vont chercher le mort à l’amphithéâtre. Le même cercueil de bois blanc, peint en noir, sert depuis toujours.

Les canotiers le descendent jusqu’au quai, le chargent dans le canot, prennent leurs avirons et s’éloignent de deux encablures au large des îles. Toujours au même endroit, le canot s’arrête. Les requins sont là, tout autour. Ils ont senti et s’apprêtent à la curée. Ils n’en auront pas tous. Un des canotiers lève le couvercle du cercueil, un autre attache une pierre au pied du mort, puis on mouille le cadavre. A peine le corps est-il à l’eau que les requins l’ont déjà dépecé, un bras, une jambe, le tronc, la tête. C’est fini en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire.

La voracité des squales est effrayante à voir. Mais il s’agit ici de morts, qu’on jette à la mer, entourés d’un linceul.

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