Enfermés


cellule 1Les photographies des îles du Salut que notre ami internaute Eric nous a transmises,  nous permettent d’approfondir notre périple sur l’archipel … et de rentrer dans la prison de la prison : le cachot et la réclusion. Les condamnations à la cellule et au cachot peuvent atteindre deux mois ; elles sont prononcées par les commissions disciplinaires de chaque pénitencier. La peine de cellule ne permet pas au condamné de travailler à l’extérieur. Le labeur s’effectue en cellule et le forçat est soumis au pain sec un jour sur trois. Le régime alimentaire s’aggrave dans le cadre du cachot. Le pain sec devient quotidien et le condamné dort les deux pieds enchaînés. Le Tribunal Maritime Spécial (TMS), établi à Saint Laurent du Maroni depuis 1893 (il siège à Cayenne de 1889 à cette date), statue sur les crimes et délits commis par les bagnards. Il prononce les peines les plus graves : la réclusion sur l’île Saint Joseph ou la peine de mort. Avec ses 20 ha, cette île n’est guère plus grande que l’île du Diable. Elle se spécialise depuis 1899 dans la réclusion des forçats condamnés par le TMS. Trois bâtiments rassemblent les 152 cellules de la réclusion dont le plafond est remplacé par une grille qui permet à la douzaine de surveillants parcourant un chemin de ronde de voir les détenus. Outre ces surveillants, le chef de l’île dispose aussi de forçats chargés de l’entretien, des repas et de divers travaux dans les ateliers. Le docteur Louis Rousseau nous offre une vision apocalyptique du cachot et de la réclusion. Il estime en outre « un dénouement fatal » pour un homme soumis à un tel régime durant plusieurs mois consécutifs.

 

Docteur Louis Rousseau

Un médecin au bagne

Armand Fleury, 1930

cellule 2p.141-142 : Les cachots avaient les uns 13m2, les autres 17. Ils étaient dépourvus d’ouvertures. Il y faisait complètement noir. La ventilation était assurée – manière de parler – par dix trous minuscules placés au bas de la porte et un tuyau d’aération qui partait du plafond. Le mobilier ? Un lit de camp et deux petits baquets identiques en bois ; l’uns servant à l’eau de boisson, l’autre aux déjections. L’homme au cachot, plongé dans l’obscurité, les aurait à coup sûr confondus si son flair ne lui avait permis de les distinguer. Mis aux fers tous les soirs, le condamné puni de cachot était au pain sec et à l’eau deux jours sur trois. Le troisième jour, il touchait la ration normale. Il ne travaillait jamais ; il était enfermé dans l’obscurité sans une minute de sortie jusqu’à la fin de sa punition. Le cachot était infligé pour deux mois au plus. Quand un condamné était au cachot pour plusieurs mois, cas très fréquent qui impliquait le cumul de plusieurs punitions, il était mis huit jours au cachot clair à la fin du premier mois, puis retournait au cachot noir pendant trois jours et ainsi de suite. Le cachot clair était une cellule où pendant huit jours il bénéficiait d’un peu de clarté mais où, d’autre part, rien n’était changé à la peine. On estimait que l’obscurité absolue pendant plusieurs mois consécutifs risquer d’amener un dénouement fatal.

cellule 3p.145-150 : Réclusion cellulaire – Infiniment plus dure est la peine de la réclusion cellulaire. Criminelle, afflictive et infamante, elle double la peine correctionnelle de l’emprisonnement. Elle est infligée pour une durée de six mois à cinq ans et se fait à l’île Saint Joseph.

Notre emprisonnement est une copie du système auburnien, dont le principe est l’isolement la nuit et le travail en commun le jour. Notre réclusion cellulaire coloniale est une copie du système pennsylvanien dont le principe est l’isolement permanent. Cet isolement a nécessité la construction de bâtiments spéciaux. Qu’on se figure, situé sous un grand hall sombre, deux rangées de cellules séparées par un mur mitoyen. Le plafond de ces cellules est remplacé par des barreaux en sorte que, vue à vol d’oiseau, elles ont l’air de cages. Quelques-unes seulement sont plafonnées en maçonnerie et sont transformées en cachots noirs. Une passerelle située au-dessus du mur mitoyen qui sépare les deux rangées de cellules permet aux agents de surveiller les réclusionnaires qu’ils voient à travers les barreaux de leur cellule comme on voit un animal en fosse. Les uns assis sur un de leurs baquets travaillent à faire des balais ou des brosses ; les autres tournent en rond comme des fauves. Les lits de camp mobiles sont tous relevés de 6 heures du matin jusqu’à six heures du soir. Seuls quelques malades sont autorisés à avoir leur lit rabattu pendant la journée. Des médecins ont demandé que ce mobilier sommaire soit amélioré, qu’une étagère soit faite pour poser le récipient à eau potable et que se récipient se différencie du baquet à ordures. Des réclusionnaires ont porté plainte jusqu’au département. L’administration locale consultée a répondu que tout meuble pouvait devenir entre les mains du réclusionnaire un projectile dangereux pour le personnel en service et qu’il y avait donc lieu de s’en tenir aun mobilier actuel largement suffisant ! Les portes en fer des cellules sont munies d’un guichet par où on passe au condamné sa ration. Ici, c’est la maison du silence et toute parole prononcée à haute voix est rigoureusement punie. Les appels se font par trois coups frappés sur la porte de la cellule ; de temps en temps trois coups rompent le silence, suivi du bruit du guichet qu’ouvre et ferme un porte-clefs.

cellule 4Le réclusionnaire a droit à une heure de promenade. A cet effet, il se rend dans un système de cellules analogues, pareillement dominé par une passerelle, mais situé en plein air, en sorte qu’au lieu de voir le dessous d’un toit, le réclusionnaire voit le ciel pendant une heure par jour. Cette cellule de repos, beaucoup plus grande que l’autre, a environ six mètres sur quatre. Elle est communément désignée sous le nom de préau car il s’y trouve un petit préau où s’abrite le condamné quand il pleut. Les réclusionnaires se rendent à leurs préaux isolément, et, à l’aller comme au retour, ne peuvent ni se rencontrer ni communiquer. Cette sortie a lieu de 7 heures à 8 heures du matin, à une heure où le soleil est plus bas que les murs, si bien qu’au bout de quelques semaines de ce régime, les réclusionnaires présentent tous cette pâleur livide caractéristique.

Le réclusionnaire doit travailler dix heures par jour et le genre de travail qu’il exécute est choisi de façon qu’il s’accommode de l’isolement cellulaire. En général, c’est le triage des brins de balais, des feuilles de cocotier.

Il touche la ration alimentaire stricte sans aucune possibilité de l’améliorer.

Il porte des vêtements spéciaux qu’il touche à son entrée à la maison de force et qu’il cha,ge une fois par semaine.

Une baille d’eau est mise au préau une fois par semaine à sa disposition.

cellule 5Les cheveux sont coupés en escalier.

Les condamnés à la réclusion peuvent être autorises à lire en dehors des heures de travail et de promenade. Il faut pour cela qu’ils n’aient pas eu de punitions pen­dant trois mois s’ils sont condamnés à un ou deux ans ; pendant six mois s’ils sont condamnés à trois et quatre ans et pendant huit mois s’ils ont cinq ans à faire. L’ab­sence de toute lumière artificielle et la demi obscurité des locaux rend la récompense de la lecture à peu près illu­soire. Si la conduite du réclusionnaire est bonne, il peut écrire à sa famille une fois par mois.

L’usage du tabac est rigoureusement interdit, mais 1’en­nui mortel  pousse le réclusionnaire à rechercher ce plaisir défendu. Il est alors exploité par ses gardiens. Le porte-clefs arabe Belaïda, ignoble mouchard que j’ai connu à la réclusion, achetait aux réclusionnaires une demi ration de pain pour trois cigarettes. Il revendait ce pain, à raison de cinquante centimes la ration, aux surveillants qui en nourrissaient leurs volailles à un mo­ment où le riz et le maïs étaient chers. Belaïda n’admet­tait pas qu’un réclusionnaire se procurât du tabac autre­ment que par son intermédiaire et dénonçait au surveil­lant chargé de la réclusion ceux qui fumaient sans avoir eu recours à lui. La commission disciplinaire les punissait alors de cachot ; c’était la seule punition disciplinaire infligée aux réclusionnaires.

cellule 6Il arrive que l’administration n’a quelquefois aucun travail à faire faire à tous ces reclus. La peine devient alors intolérable et s’aggrave du supplice de 1’inaction forcée. J’ai vu le cas se produire ; le chef de camp s’ingénia d’ailleurs à remédier à ce manque d’ouvrage. II est arrivé autrefois, au temps du directeur V…, que des réclusionnaires souffrant de n’avoir rien à faire et demandant du travail, M. V…, après avoir fait la sourde oreille donna l’ordre de leur distribuer des briques et d’exiger par jour, de chacun d’eux, le poids de 33 centilitres de poussière de brique finement pulvérisée !

Le médecin du pénitencier visite les réclusionnaires une fois par semaine. Il peut apporter quelques adoucis­sements à leur régime quand leur santé l’exige, déli­vrances de citrons, autorisations d’avoir le lit de camp rabattu dans la journée, heures supplémentaires à passer au préau. Le régime de quelques réclusionnaires est quelquefois adouci irrégulièrement et très heureusement du reste. Il s’agit toujours d’ouvriers adroits qui travaillent au préau toute la journée au profit du chef de camp ou du surveillant chargé de la réclusion.

Tous ces réclusionnaires, dont la grande majorité est faite des condamnés à perpétuité qui ont commis le crime d’évasion, deviennent un jour scorbutiques. Mal nourris, cloîtrés, vivant en contact intime avec leur petite tinette, infestés d’ankylostomes, d’anguillules ou d’amibes, ils sont sujets aux entérites. Cette étroite captivité irrite les nerveux. Des cas de neurasthénie aigue se produisent. L’un cassera son lit de camp, un autre ses deux petites bailles. Celui-ci frappera éperdument la porte de sa cellule et chantera vingt-quatre heures de rang jusqu’à ce qu’on lui passe la camisole et qu’on lui mette le revolver sous le nez. Celui-là se maquillera. Seul un service médical attentif et humain peut, par des évacuations opportunes sur l’hôpital, empêcher cette peine stupide d’être meurtrière.

cellule 7Strictement appliquée, la peine de réclusion cellulaire, telle que je l’ai connue, était infaisable. Si des hospitalisations fréquentes et faites à temps n’intervenaient pas, peu d’hommes pouvaient accomplir leur peine de bout en bout car, même quand elle n’était pas de plusieurs années, elle atteignait ou dépassait les limites de la résistance humaine.

Il semble donc à qui se contente de lire les textes sans étudier la pratique de la réclusion coloniale que les articles 3 et 5 du décret du 18 septembre 1925 atténuent la barbarie de cette peine. A vrai dire cette barbarie était en général atténuée par un service médical attentif ou par un surveillant suffisamment intelligent. Très souvent –le réclusionnaire ne faisait pas trois mois d’encellulement strict avant que survienne une entrée à l’hôpital ou une quelconque atténuation au régime. En cas de carence des initiatives auxquelles il devait des adoucissements aux rigueurs de sa peine, il se trouvera bien désormais d’être protégé par un texte moins inhumain.

Le législateur de 1925 frappé de la dureté de cette peine ne voulut cependant pas la supprimer. Il se contenta d’y apporter un tempérament.

cellule 8C’est d’abord l’article 3 du décret du 18 septembre 1925 qui précise le mode d’exécution de la peine de réclusion cellulaire et en adoucit le régime disciplinaire. Sous le régime du 5 octobre 1889, la réclusion cellulaire comportait l’isolement de jour et de nuit permanent. Depuis 1925, cet isolement permanent, accompagné de l’obligation au travail et au silence, est interrompu au bout de trois mois et fait place pour un trimestre à l’isolement nocturne avec travail en commun le jour et, dans le cas où la santé du détenu ne sera pas bonne, le gouverneur peut, sur l’avis du directeur de l’administration pénitentiaire et sans doute, – car le texte ne le dit .pas – sur la prescription du médecin, prolonger le régime de moindre rigueur. Sinon la réclusion recommence pour trois mois et ainsi de suite.

Ce même décret, dans son article 5, permet aussi au condamné à la réclusion cellulaire de bénéficier de la loi du 14 août 1885 sur la libération conditionnelle, lorsqu’il a subi le quart de sa peine, alors qu’aux termes de l’article 2 de la loi susvisée, les récidivistes – un réclusion­naire cellulaire est toujours un récidiviste légal – ne pouvaient en bénéficier qu’après avoir accompli les deux tiers de leur peine. Mieux encore : le réclusionnaire cel­lulaire qui, après avoir bénéficié de cette disposition, a .été frappé de déchéance, peut, malgré la révocation – de cette mesure, en bénéficier derechef, mais seulement pour la moitié du temps qu’il lui reste à purger.

 Ces dispositions nouvelles qui régissent le mode d’exé­cution de la réclusion cellulaire, c’est au scorbut que nous les devons. Sachant que pour lutter contre ce mal, les médecins coupaient la réclusion par des séjours à l’hôpital, le législateur poursuivit le même but par un relâchement périodique du régime cellulaire, prévoyant même son interruption jusqu’à nouvel ordre quand la santé ne va plus du tout. La solution qui s’imposait était la suppression de cette peine. Par un savant dosage, le législateur a préféré en conserver tout le bénéfice, c’est ­à dire la ruine à bas bruit de la santé, et diminuer le ris­que du scorbut à forme épidémique, difficile à cacher, et les entrées incessantes à l’hôpital.

cellule 9On peut se demander si c’est à dessein ou par omission qu’il ne parle pas des punitions disciplinaires applicables aux condamnes à la réclusion cellulaire, jusque-là passibles du cachot ? A notre avis c’est à dessein, et son silence s’explique bien simplement : il a compris que la réclusion cellulaire en Guyane, même à la dose de trois mois, dé­passait les limites de la répression. On punit cependant beaucoup. Parler à voix haute, correspondre illicitement, fumer, rabattre son lit de camp, voilà les éternels motifs. Le cachot n’existant plus, on se rabat sur la cellule. Comme cette punition ne modifie en rien la vie du réclusionnaire qui est un encellulement aggravé, elle lui serait indifférente si, portée sur son livret, elle ne venait com­promettre sa libération conditionnelle qui, sous l’admi­nistration de certains gouverneurs, n’est pour ainsi dire jamais accordée.

Le supplice de la réclusion cellulaire subsiste donc. Il est fractionné, mais a conservé tous ses caractères. Les réclusionnaires touchent bien chaque jour douze centi­litres de vin – toujours la prophylaxie du scorbut, on l’appelle du reste le vin médical – mais combien peu le boivent ! Privés de tabac ils le troquent contre deux cigarettes que leur cède le porte-clés. La nourriture est ignoble, l’eau de lavage rationnée. Lorsqu’un réclusion­naire obsédé réclame, c’est fini pour sa tranquillité. Il est coté, toujours signalé et puni. Devant la longueur de la peine qui est distribuée avec plus de générosité depuis qu’elle a été amendée dans les textes, le réclusionnaire s’efforce de la subir sans broncher pour obtenir cette libération conditionnelle au quart de sa peine par laquelle le tient l’administration, mais c’est alors en tout supportant, faim, fatigue et crasse, au prix d’une résigna­tion très préjudiciable à sa santé.

 

 

 

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