Mes bagnards


le comandant MichelLES «CONFESSIONS» DU COMMANDANT MICHEL

Le numéro 20 de l’hebdomadaire des frères Kessel, Confessions, donne le 15 avril 1937 la parole au commandant Michel, qui a été directeur du bagne des îles du Salut. L’homme a aussi fait carrière en Nouvelle Calédonie, jusqu’à la fermeture de ces camps des antipodes en 1897. Le propos de l’agent de la Tentiaire, au-delà des aspects sensationnels pouvant émouvoir un lectorat avide d’exotisme à bon marché, nous parait doublement intéressant. Il s’agit d’abord d’un témoignage. Mais, pour mieux saisir l’univers carcéral, il convient de passer outre l’ego du témoignant. Le lecteur notera alors l’emploi abusif de la première personne du singulier que l’on retrouve aussi chez les forçats ayant commis des souvenirs. Le commandant Michel ne peut s’empêcher de centraliser le fait narré autour de lui. Apparaissent alors des rapports violents où la problématique de base demeure la survie de l’enfermé dans ces mouroirs coloniaux. Ici bien sûr, le condamné, forcément coupable et dangereux, doit expier. Malgré une galerie impressionnante de portraits, l’article est ensuite centré principalement sur le matricule 34777, une des bêtes noires de l’administration pénitentiaire. Rusé. Machiavélique. Intelligent. Hors norme carcérale. Prêt à tout. Audacieux. A surveiller avec la plus haute attention. Froid. Calculateur. Les qualificatifs ne manquent pas pour désigner Jacob dans une description romanesque jouant sur l’adéquation de l’attraction et de la répulsion. Le geôlier ne peut ainsi dissimuler son admiration pour son vieil adversaire, considéré comme une énigme lui ayant donné tant de fil à retordre. Jacob ne manquera pas, en 1948, de rectifier les faits narré par le chef des gaffes à Jean Maitron. Mais un autre bagnard reste à retenir les pages qui suivent. Barrabas, le bagnard droit et intègre, vient doubler le forçat réel et, au plus bas de la misère humaine et sociale, demeure une icône de la justice des hommes. N’oublions alors pas que Jacob est Barrabas. Reste à savoir pourquoi le commandant Michel a joué sur cette ambiguïté. Le texte qui suit a été publié en partie dans la réédition des Ecrit de Jacob par l’Insomniaque en 2004. Nous pouvons, ici, pour la première fois depuis 1937, le proposer dans son intégralité et en trois parties.

 

Vue des îles du SalutPour la première fois un directeur du bagne, le commandant Michel, évoque:

«Mes Bagnards!

Pendant quinze ans, à Cayenne, j’ai maté 15000 fortes têtes»

Un directeur de pénitencier à la Guyane ne peut vivre un seul jour sans combattre des tentatives d’évasions, de vols, de meurtres ou même de soulèvements. De quelles armes dispose-t-il ? D’un peu de tabac et de sa connaissance des hommes et encore de quelques auxiliaires armés qui ne sont pas tous des hommes de confiance.

Quand je commandais les îles du Salut, j’avais quinze cents bagnards sous mes ordres. Quelques dizaines d’hommes m’aidaient à maintenir la discipline. Mon expérience du commandement « est celle d’un colonel dont le régiment serait composé de ses propres ennemis.

Mes bagnards, j’apprenais à les connaître dès leur arrivée en Guyane. Je n’étonnerai personne en disant que beaucoup étaient des insatisfaits. Certains s’évadaient dès le jour même de leur arrivée à Cayenne, sans même savoir sur quel continent ils se trouvaient. Interrogés par le Conseil disciplinaire :

– Où vouliez-vous aller ?

– Sortir de là. On ne veut pas rester au bagne ! La prochaine fois on aura plus de chance.

Oui, il y avait beaucoup d’insatisfaits au bagne. L’un d’eux ne demandait-il pas son rapatriement pour deux raisons majeures : tout d’abord, il se disait parent de Sainte Thérèse de Lisieux, et ensuite, il avait pris des leçons d’accordéon avec un ex ministre. Mais d’autres, c’est terrible à dire, étaient satisfaits de leur sort. Et ceux-là, je me méfiais encore bien plus, car c’étaient de vraies crapules.

Mes bagnards, des incidents quotidiens m’obligeaient à les considérer comme des individus dangereux. Et pourtant, comment aurais-je pu les traiter autrement qu’en êtres humains ? C’est ainsi que j’avais l’habitude de me faire raser par l’un ou l’autre d’entre eux. Chaque matin j’offrais ma gorge à leur rasoir. Je ne pensais pas à mal, eux non plus je crois.

Quand un groupe d’hommes se trouve réuni dans une étroite forteresse de discipline et de sanctions, un haut navire de guerre sans ouverture sur le dehors, il existe entre eux et leurs chefs une puissante solidarité. Mais surtout lorsqu’il s’agit d’ « hommes punis ». Chacun d’entre eux est séparé de la société par un drame, une peine infâmante. Le vaisseau dans lequel ils se trouvent enfermés ne doit les mener nulle part. de haut de cette prison, ils voient s’écouler un flux morne de vie, comme un immense fleuve de boue. Aucune terre n’est en vue.

J’ai vécu près de trente années dans les bagnes. Je n’ignore rien de ce qui peut se produire dans ces galères ancrées au sol de Guyane ou de Nouvelle-Calédonie. Ni les accès de dés­espoir, les mutineries de l’équipage, ni les saturnales de ceux qui se livrent entre eux à d’hor­ribles rixes de jeux et d’amour, comme des rats dans les cales, ni le lent dépérissement de ceux qui refusent obstinément de vivre. Je connais les bassesses de ceux qui briguent un poste favo­risé de surveillant ou d’employé, tout autant que la sentimentalité larmoyante, au moment où ils reçoivent une lettre de leur mère, de brutes sanguinaires qui semblaient aussi insensibles à la douceur qu’à la crainte.

Et cependant un cas demeure pour moi une énigme…

Moi qui, aux îles du Salut, connaissais simultanément plus de mille bagnards par leur nom et leur numéro de matricule, par leurs mérites et leurs tares, j’ai été mis en échec par l’un d’eux.

Pendant des années, il m’a tenu tête. Je le considérais définitivement comme un dangereux ennemi de moi-même et de la Société. Il fallait l’abattre pour ne pas être abattu par lui. Et soudain survint un coup de théâtre, qui me laisse encore stupéfait…

II s’agit de Jacob, le chef des Travailleurs de la nuit.

En quoi étais-je prédestiné à ces longues luttes, parfois tragiques, contre des bandits difficiles à dompter ?

En rien, semble-t-il. Etant enfant, je ne rêvais pas d’une carrière aventureuse, et je ne jouais ni au gendarme ni au voleur. Mes études terminées, des amis appartenant à l’Administration Pénitentiaire me conseillèrent d’y entrer. « C’est une carrière pleine d’avenir, me disaient-ils. La criminalité ne faisant que croître, l’A.P. ne peut que se développer aussi ».

Parmi mes collègues, j’ai surtout rencontré d’anciens officiers de troupes coloniales. Par contre, certains étaient entrés dans l’A.P. comme commis, ou bien ils provenaient d’une autre administration. Ils étaient presque tous mariés ou pères de famille. Leurs enfants, comme les miens, allaient à l’école où ils rencontraient quelques gosses de condamnés. Quant à leurs vies, je les décrirai en même temps que la mienne.

Pendant plusieurs années, j’ai appartenu à l’Administration Pénitentiaire de Nouvelle Calédonie. L’existence y était agréable. Le climat de l’île y est merveilleux, à tel point que certains condamnés devenaient centenaires. Malgré le bon marché de la vie, leur longévité était coûteuse au budget de l’Administration. C’est pour cela que le bagne de Nouméa fut supprimé.

D’autres faisaient souche dans l’île après avoir été libéré. Certaines familles très honorables de Nouvelle Calédonie comptent un bagnard parmi leurs ancêtres. J’ai hâte de dire que, dans les galeries de portraits de familles, on ne les représente pas en tenue de captivité …

En Guyane, les conditions de vie sont très différentes. Evasion ou décès, les condamnés n’y durent pas en moyenne plus de six ans bien que leur condamnation soit en principe beaucoup plus longue.

A mon arrivée à Cayenne, je fus d’abord séduit par la beauté des îles du Salut. Entourées par une mer violente, elles sont riches de lumière et de végétation tropicale. On y accède par des grèves de sable bordée de cocotiers.

DreyfusJe pense surtout à l’une d’elle, le Diable, qui fut « l’île Dreyfus » pendant cinq ans. Quand j’y parvins, Dreyfus achevait sa peine. Il y vivait seul avec cinq surveillants, constamment renouvelés de peur qu’il ne réussît à gagner l’un d’eux à ses projets d’évasion. On craignait que les Allemands ne tentent de le ramener en France. La consigne était de tuer immédiatement le prisonnier en cas d’attaque venant de l’extérieur.

Un pavillon, la première construction de l’île, avait été bâti spécialement pour Dreyfus. Il avait droit à la moitié d’une pièce, l’autre moitié étant constamment habitée par un surveillant, à qui il était formellement interdit de parler au prisonnier.

Dreyfus avait le droit de se promener une heure par jour autour du pavillon, dans un enclos. La palissade, haute de cinq mètres, l’empêchait de voir l’île.

En 1899, peu après mon arrivée, Dreyfus quitta les îles. L’année suivante, il y eut un autre évènement notable : M. Vérignon prit la direction du bagne de Cayenne. Je n’avais eu jusqu’alors que des relations cordiales avec les bagnards, mais je faillis me battre avec le directeur …

M. Vérignon était un Méridional approchant de la soixantaine, malgré ses cheveux blonds. Après avoir travaillé comme conducteur de travaux publics en France, il avait débuté dans l’A.P. comme chef de bureau. Très actif, circulant beaucoup sur les chantiers, ce fut lui qui créa de toute pièce Saint Laurent du Maroni.

Cependant cet organisateur remarquable avait un langage exubérant. Notre première entrevue fut dramatique. Deux candidats s’opposaient à ce moment-là pour les élections. M. Vérignon soutenait Franconi. Me sachant partisan d’Usleur, il me convoqua dans son bureau pour m’admonester dans les termes les plus vifs. Comme il m’accusait de félonie, je saisis une chaise :

– Un mot de plus, cria-je, et je vous assomme !

M. Vérignon ne prononça pas un mot de plus mais il m’expulsa de son bureau. Cependant, une heure après, il me parlait affectueusement :

– Alors mon fi ! C’est fini maintenant, votre colère est passée ? Eh bien, j’aime votre façon de faire. Au moins, vous réagissez quand on vous attaque.

Nos relations s’améliorèrent par la suite. Et je regrettai ce grand animateur au moment de son départ. Il commençait alors à transporter le bagne vers les régions aurifères de Guyane où la main d’œuvre pénale fût devenue productive.

Cependant son successeur, M. Bravard, homme calme, à tête de Christ, fut lui aussi un administrateur de qualité. Cet esprit fin, lettré délicat, sut poursuivre le programme Vérignon avec une remarquable compréhension de sa tâche.

Au moment ou M. Bravard devint directeur du bagne, nous reçûmes aux îles le condamné Jacob.

Alexandre Jacob, le chef des « Travailleurs de la nuit », celui qui inspira au romancier Mau­rice Leblanc le type de son héros, Arsène Lupin: Jacob, une figure digne d’entrer dans la légende.

Les « Travailleurs de la nuit », une bande de vingt-cinq hommes, avaient été jugés par la cour d’assises d’Amiens. Pendant dix ans, ils avaient «visité» les châteaux et les églises de toute la France, choisissant toujours d’une manière sûre les plus beaux objets d’art. Leur chef était Alexandre Jacob.

A 11 ans, Jacob s’était embarqué comme novice à bord du Thibet. A 16 ans, il fréquentait les milieux anarchistes de Marseille. Typographe, il gagnait 30 sous par jour, qu’il consacrait exclusivement à l’achat de livres. L’année suivante, il était condamné pour fabrication d’ex­plosifs.

Enfermé à Aix-en- Provence, il s’évada. Et c’est alors que commencèrent les exploits des Travailleurs de la nuit. Villas, châteaux, églises, Jacob exécuta plus de cent cinquante cambriolages, rien que pendant les trois dernières années qui précédèrent son arrestation.

II s’érigeait en punisseur des riches. Apres son passage, on trouvait dans les demeures cambriolées des billets signes «Attila», dans lesquels il blâmait les propriétaires de leur richesse excessive. Et parfois Attila brûlait les villas dans lesquelles il était passé.

Dans un château, il eut la surprise de découvrir que le châtelain, loin de posséder une for­tune, était accablé de factures et de traites. Jacob ne vola rien. Au contraire, il déposa la somme de 10000 francs a l’intention du châtelain.

Convaincu de centaines de cambriolages, il garda la tête haute aux assises. Cet homme n’avait pas de besoins, mais il avait trop d’orgueil. C’est lui qui, du bagne, écrivait à sa mère :         «Lorsqu’ on peut affirmer qu’on n’a jamais trahi personne et toujours respecté la parole donnée, cela dépasse de beaucoup les vaines approbations d’autrui…».

Un seul meurtre avait été commis par la bande des Travailleurs de la nuit. L’agent Pru­vost avait surpris Jacob et l’un de ses lieutenants pendant un cambriolage a Abbeville. Le poli­cier était mort, abattu de deux balles.

Rendu responsable, le chef de la bande fut condamné aux travaux forcés à perpetuité.

Le chef de bande Jacob dans l\'Illustration du 18 mars 1905A l’arrivée de Jacob à Cayenne, l’administration pénitentiaire reçut pour consigne de le tenir constamment en cellule. On craignait qu’un tel chef de bande, un organisateur doué de ce caractère froid et rusé, fût capable d’entraîner tout un pénitencier dans une révolte san­glante. La suite des événements montra que cette crainte n’était pas vaine.

Or une rébellion semblable peut entraîner les plus violents désordres, la mort de centai­nes d’hommes. Beaucoup de gens qui ignorent la vie des bagnes se sont fait une idée de ces bagarres d’après les films américains tels que Big House. Pour ma part, j’ai assisté à l’un de ces terribles  drames, la révolte de l’île Saint-Joseph.

C’est dans cette île que sont reléguées les fortes têtes, les récidivistes d’évasion, les hommes condamnés pour crime commis au bagne. Enfin, les fous y ont leur asile.

Peu avant l’époque où Jacob arriva au bagne, une centaine de bagnards avaient décidé de s’évader de Saint-Joseph. Ils savaient que le vapeur reliant périodiquement Cayenne à Saint Laurent mouillait à date fixe en face de l’île Royale. Lorsqu’il y avait un surveillant à rapatrier de Saint-Joseph ou du matériel à expédier, une chaloupe montée par un surveillant et six condamnes faisait la navette entre l’île et le vapeur. Les révoltés avaient comploté de s’em­parer de cette embarcation.

Chacun des bâtiments de Saint-Joseph contient une centaine de cellules en ciment armé, dont le plafond est une grille. Un surveillant de ronde peut ainsi surveiller jour et nuit ce que font les hommes en cage. Ils sont là, comme dans une fosse, pendant vingt-trois heures par jour.

Ces détenus s’étaient concertés chaque matin, pendant l’heure de promenade qui leur est accordée. On devine quelles précautions ils avaient prises pour garder leur projet secret. Heu­reusement pour eux, les mouchards sont peu nombreux à Saint-Joseph, où se retrouvent seu­les les fortes têtes.

Un condamné maquille sa serrure. Au jour convenu, il bondit sur le surveillant au moment où celui-ci passe pour la ronde de 7 heures. Il l’étrangle de ses mains sans que celui-ci ait pu crier.

L’homme saisit le revolver et les clefs du garde-chiourme écroulé à terre. Il libère ses compagnons. Etonné de ne pas voir revenir son camarade, le second gardien pénètre à son tour dans le corridor. Cerné par les révoltés, il tire sur eux un coup de revolver. Mais ils l’assom­ment avec une barre de fer.

Deux condamnes revêtent les costumes des surveillants abattus. Ils pénètrent dans la salle où les autres gardiens sont en train de manger. A coups de revolver, ils les assomment avant que ceux-ci n’aient eu le temps de se défendre. Les surveillants sont dépouillés de leurs costu­mes et ligotés.

Alors, les bagnards déguisés en gardes-chiourme vont attendre sur l’appontement de l’île l’arrivée de la chaloupe. A ce moment, le chef de camp n’a pas encore été attaqué, car il habite avec sa femme au bord du quai.

Soudain, il voit courir vers lui un homme demi nu qui appelle au secours. C’est un des surveillants ligotés qui est parvenu à se défaire de ses liens.

Les condamnés précipitent leur attaque. La femme du chef de camp ferme en hâte la porte du pavillon. Elle manoeuvre les signaux d’alarme. Les révoltés la tuent presque aussitôt, après avoir abattu son mari.

Cependant, de l’île Royale, on aperçoit les signaux. Par bonheur, la chaloupe n’a pas encore accosté à Saint-Joseph. On envoie aussitôt à la rescousse un deuxième canot monté par douze surveillants armés. La révolte de Saint-Joseph a échoué.

Le lendemain, la troupe débarque dans l’île. C’est une chasse a l’homme sans pitié. Cer­tains bagnards se sont réfugiés dans des grottes et d’autres en haut des cocotiers. On les des­cend des arbres à coups de fusil, comme du gibier. Les survivants sont condamnés a mort.

Dès son arrivée, Jacob est donc mis en cellule dans l’île Royale, afin de nous garantir contre une tentative de soulèvement organisée par lui. Et, pendant la journée, lorsqu’il par­ticipe à une corvée, il est l’objet d’une surveillance toute spéciale.

Cependant, il parvient a correspondre avec d’autres condamnés. Les travaux de propreté de sa cellule sont assurés chaque jour par un bagnard. Ce seul contact avec l’extérieur, quelques mots échangés en profitant de l’inattention des gardiens, suffisent à Jacob pour se faire connaître. Peu à peu, il prend de l’autorité sur les autres condamnés. Et c’est lui, l’homme enfermé dans une cage, qui devient l’un des chefs les plus dangereux des hommes punis relégués dans les îles.

II y a d’autres chefs de bande aux îles du Salut, au moment où j’en deviens le commandant. C’est ainsi que Baille, un de mes vieux « clients », est tenancier de jeux dans la case numéro 2. II exerce son autorité sur les soixante hommes de la case. La cagnotte du jeu de la « Mar­seillaise» et la vente du café aux joueurs lui procurent de sérieux bénéfices. C’est une bonne «débrouille ». Il a ses vassaux et ses «mignons ». Ses gains lui permettent de tenter fréquem­ment des évasions. Et l’administration est impuissante à réprimer ces habitudes du bagnard.

Non, Jacob n’était pas joueur. II fit toujours preuve d’une grande sobriété. A l’encontre de Baille, qui fut tué dans la case numéro 2 par un rival à cause du mome Tata, Jacob n’avait pas de moeurs contre nature. Dans sa cellule, il lisait tous les livres qu’il pouvait trouver, Nietzsche, Ruskin, et surtout le Code. Il était abonné au Mercure de France. C’était un homme secret, un véritable chef. Il prêchait la solidarité entre condamnés. L’administration était l’ennemi commun.

La première alerte fut un complot de soulèvement dans l’île Royale, dont je fus averti par des délateurs. D’après leurs renseignements, Jacob voulait tenter de saisir des armes du déta­chement d’infanterie coloniale qui assurait la sécurité de 1’île.

Le projet était réalisable. Certains soldats fraternisaient sans méfiance avec les bagnards. Pour un chef comme Jacob, c’était un jeu d’enfant de saisir leurs armes à 1’improviste. Apres? Je ne sais quel était son plan. Car la mer est violente autour des îles du Salut. L’évasion de sept à huit cents condamnés avec des moyens de fortune n’est pas d’une réussite facile.

Le complot éventré, je n’eus aucun moyen de trouver des preuves contre Jacob. Dans sa remarquable compréhension de son rôle de chef, il s’arrangeait pour ne jamais se mettre en évidence. Ses hommes auraient tué pour lui, mais il ne serait pas compromis lui-même.

En 1’interrogeant, j’observai attentivement son visage. Rien de très particulier, si ce n’est un teint bilieux, assez bronzé. Sa taille ne dépassait pas la moyenne. Mais il contrô­lait fort bien ses paroles. Et, depuis plusieurs années de captivité, il mûrissait patiemment ses projets.

Personne n’osa parler contre lui. Un délateur témoignant au procès aurait été trouvé mort le lendemain, sans que Jacob eut même a intervenir.

Tags: , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

1 étoile2 étoiles3 étoiles4 étoiles5 étoiles (5 votes, moyenne: 4,80 sur 5)
Loading...

Imprimer cet article Imprimer cet article

Envoyer par mail Envoyer par mail


Laisser un commentaire

  • Pour rester connecté

    Entrez votre adresse email

  • Étiquettes

  • Archives

  • Menus


  • Alexandre Jacob, l'honnête cambrioleur