Clarenson le fou chantant


Jules Clarenson, mars 1905 A Amiens, Jules Clarenson rejoue le registre de la folie. Cela lui avait réussi à Marseille en 1891 et à Bordeaux en 1892. Systématiquement envoyé en asile psychiatrique (Montperrin à Aix en Provence, Cadillac en Gironde), il en profite pour s’évader presque aussitôt. Bien qu’il se défende devant le jury de la Somme d’être anarchiste pour mieux justifier son aliénation mentale, la stratégie adoptée ne fonctionne pas comme il l’entend. Il est condamné le 22 mars 1905 à cinq ans de travaux forcés. Sa peine est ramenée en appel à Laon, le 1er octobre, à cinq années de réclusion. Mais elle est assortie de la relégation. La IIIe République l’envoie donc mourir en Guyane. Entre les deux procès, Clarenson, le fou qui prétend ne plus professer d’idées libertaires, aborde pourtant dans la chanson qu’il écrit en prison et que publie Germinal dans son n°14 en date du 23 avril au 7 mai un des thèmes récurrents de la pensée antiautoritaire. La Cellule a été mise en musique pour la première fois en 1995 à l’occasion de la sortie des Ecrits de Jacob chez l’Insomniaque. Elle constitue un réquisitoire implacable, un témoignage à charge contre les prisons, assimilées à autant de tombeaux où « de l’homme il n’est plus rien ». Et c’est dans un de ces tombeaux coloniaux que Jules Clarenson meurt le 19 juillet 1927.

la cellule

La Cellule

De quel cerveau féroce, affolé par la rage,

De quel esprit sadique, affreux, dénaturé

Naquit l’intention terrible de la cage

Où l’homme enferme l’homme et le tient emmuré ?

Ce n’était pas assez des prisons ordinaires,

Des postes, des dépôts, bagnes, réclusions,

Et l’on édifia les maisons cellulaires

Pour compléter l’œuvre d’abomination !

Cellule ! Isolement ! C’est à dire la tombe,

Le lugubre in-pace, un cercueil de dix pieds.

un lourd manteau de plomb sur vos épaules tombent,

Un long voile de deuil vous couvre tout entier.

Lorsqu’on franchit le seuil de la cellule infâme,

Là vous n’existez plus ; de l’homme il n’est plus rien.

Vous êtes mort-vivant ; vous êtes corps sans âme.

Aucune impression, aucun bruit, aucun lien

Ne vous joint aux humains. Si ! reste la pensée,

Le cuisant souvenir qui du matin au soir

Trouble votre cervelle, ô torture insensée,

Peuple votre sommeil d’effrayants songes noirs

La mémoire qui s’efface et la raison qui sombre

Vous suggère parfois des idées de mourir.

Mais votre volonté s’en va ; s’éteint dans l’ombre ;

Et l’on n’a même plus la force d’en finir.

Le vieux Dante avait cru dans son enfer terrible

Mettre avec les anciens, les supplices nouveaux.

Il avait oublié, de tous le plus horrible :

L’atroce isolement, les cellules tombeaux

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