Sur les pas de Marius Jacob : Claude Nerrand


La Marseillaise 5 avril 2001La presse berrichonne n’a pas manqué bien sûr de relater cet évènement reuillois que fut notre rencontre avec le président de l’office du tourisme de ce petit village riant, au bord de l’Arnon, à la fin du mois de mars 2001 (Voir le papier de La marseillaise du Berry à la fin de cet article). Claude Nerrand nous a confié un carton de papiers relatifs à Marius Jacob. Il s’agissait de recherches que l’ancien lieutenant-colonel avait effectuées pour les besoins de l’exposition qu’il a monté sur l’anarchiste, considéré alors comme un vieil homme tranquille. Si ce dossier, constitué en 1993,  n’est pas fondamental pour la connaissance de l’illégaliste, il contient certaines informations intéressantes sur la fin de sa vie, sur le rapport ambigu et mythique avec Arsène Lupin mais aussi sur la famille du vieux marchand forain de Bois Saint Denis. Ainsi apparaît-il dans le livret de famille conservé aux archives Municipales de Marseille qu’Alexandre Jacob a eu trois autres frères, tous trois morts en bas âge. Le renseignement nous parait essentiel pour saisir l’incroyable et œdipienne relation unissant un fils à sa mère. Nous y reviendrons. Claude Nerrand a entre autres réunis les témoignages de certains locaux ainsi que ceux des amis de l’anarchiste : Guy Denizeau à Lussault sur Loire et Pierre Valentin Berthier à Paris.  Ces investigations vont dans le sens de la démonstration d’une personnalité originale à mettre en valeur pour le bien et le développement du tourisme local. Claude Nerrand a alors toujours affirmé dans une subjectivité éclatante ne pas vouloir faire de Jacob un héros, mettant ainsi en cause, comme l’a fait bien avant lui la presse bourgeoise et nationale du début du XXe siècle, l’attachement viscéral à l’anarchie et la justification politique des cambriolages commis. Reste donc l’image du bagnard et celle de l’aventurier, revenu de tout et choisissant le Berry pour finir sereinement et petitement une existence « faite d’heurs et de malheurs » dans le pays où il ne se passerait rien.

 

Guy Denizeau

A propos d’Alexandre Jacob, il faut savoir : il n’a jamais été Arsène Lupin. Vous allez vous en rendre compte rapidement. Seule l’audace de leurs exploits se ressemble un peu quelquefois. Cela mis à part, la comparaison devient désobligeante pour Alexandre Jacob.

La naissance de Jacob remonte à plus d’un siècle. Qui, aujourd’hui, peut imaginer les souffrances endurées à cette époque par un enfant né dans un quartier pauvre de Marseille ?

En ce temps là, la rue sentait la sueur et le crottin, les malchanceux de naissance devaient baisser les yeux, courber l’échine, obéir et même s’agenouiller pour vivre. C’était avant les deux guerres mondiales, avant les effets de la révolution technique et scientifique qui aurait du libérer l’homme du « travail forcé » et de la faim.

La radio, la télévision n’existaient pas, l’espace où l’on évoluait était étroit. L’obéissance de degrés en degrés, du faible au fort s’instaurait comme naturellement. Il fallait se soumettre ou disparaître. Qui défendait les droits du faible dans les mœurs de ce temps ?

La pagaille de notre époque est supportable pour une majorité, celle de la fin du siècle dernier ne le serait plus. Jacob l’a vécu avec une grande intensité, sans désarroi, c’était avant ses exploits. Celle d’après sa libération, il l’a vécue sereinement, celle d’après la dernière guerre avec une lucidité d’une grande acuité. L’information lui parvenait de jour et de nuit par la radio. Il l’écoutait passionnément, la commentait avec une objectivité étonnante, l’heure lui importait peu. Fatigué, il se couchait, reposé, il se levait. L’âge n’a jamais atténué son intelligence.

Après tout ce qu’il avait subi de sévices inhumains, au spectacle de la misère toujours régnante, l’injustice inchangée, il aurait pu devenir le pire des enragés. Eh bien, non ! Le jour même de sa mort, son attitude était encore pleine d’humour.

Ce ne sont pas les actions d’éclat qu’il a accomplies avant son arrestation qui l’ont rendu unique dans l’histoire des hommes. Mais celles perpétrées en détention au profit des faibles, là où il se trouvait, à ses risques et périls qui étaient grands. L’injustice, il ne la supportait pas.

La liberté recouvrée, son comportement ne le signalait à personne.

Les hommes qui l’ont distingué ne sont pas n’importe qui. Parmi eux, Alexis Danan, Albert Londres contribuèrent à sa libération et à l’abolition du bagne. Louis Roubaud dit de Jacob jugeant d’après ses lettres : « Je n’ai jamais trouvé dans ces pages une seule pensée vulgaire ou égoïste, pas un mot de haine. Ces feuillets sont lourds de sentiments humains, d’amour filial et de générosité ».

Dans la vie de Jacob, pas de grande bouffe, de clinquant, d’objets rares ou coûteux, sobriété à tous les niveaux. Son cadre de vie, les murs de sa maison blanchis et nus donnent le ton.

Son goût pour la propreté corporelle, ménagère et morale explique sans doute sa longévité malgré les avanies terribles, les mauvais traitements et les maladies subis.

Il aurait fait pour les droits de l’homme plus que la ligue du même nom si son message était passé. Il faut lire sa déclaration faite au tribunal et aux jurés qui le condamnèrent.

C’était un grand humaniste, les autorités pénitentiaires le savaient depuis longtemps mais le conformisme est aveugle et sourd. Jacob rêvait pour l’homme d’une société où la plus grande liberté serait possible, d’où la douleur serait exclue et l’injustice bannie. Hélas, les féodalités se succèdent, s’adaptent, dominants et dominés aussi.

Guy Denizeau

 

Pierre Valentin Berthier

Paris, 16 août 1993.

Monsieur Claude Nerrand, à Reuilly (Indre)

Cher Monsieur,

Vous me demandez ce que je pense de l’identification que l’on fait parfois entre Alexandre Jacob et Arsène Lupin. II y a selon moi, à l’origine, une idée qui était dans l’air et dont on peut supposer, sans preuve, qu’elle s’est concrétisée dans le pittoresque d’un personnage.

Les injustices dont souffraient les couches populaires à la fin du siècle dernier et au début de celui-ci ont suscité une catégorie particulière d’illégalistes et de criminels : des activistes qui défiaient l’ordre par idéal, qui voulaient que ça change, mais à qui manquaient des moyens normaux pour convaincre les masses malheureuses d’agir en vue de leur affranchissement. Jacob fut un de ces activistes, précurseurs d’une agitation politique qui fit concevoir une société reposant sur moins d’oppression et plus d’égalité.

Maurice Leblanc a-t-il pris Jacob pour modèle? C’est un modèle alors peu ressemblant, car Jacob était socialement déterminé tandis qu’Arsène Lupin est un dilettante de la délinquance philanthropique. On a prétendu que Maurice Leblanc avait assisté aux audiences du procès Jacob et y avait puisé son inspiration. Mais où sont les preuves? En a-t-il laissé la trace dans un manuscrit, une correspondance, un témoignage? Pour moi, je n’en sais rien. En fait, la relation du procès par la presse pouvait suffire à lui donner cette idée, si toutefois il l’a eue. L’a-t-il eue ? II y a  présomption, mais rien de ce que je sais ne le confirme.

Pour créer un personnage, beaucoup d’écrivains se sont inspirés d’un modèle existant. Jean Valjean, Madame Bovary, le baron de Grac, la Dame aux Camellias, sont des adaptations romancées de personnes ayant vécu. Il sied alors de ne pas confondre : même si l’on prouvait la filiation directe de l’être réel à la créature imaginée, cette filiation n’en appartiendrait pas moins à la fiction. II est possible, et tout à fait vraisemblable, que Leblanc ait été conduit à inventer un gentleman-cambrioleur parce qu’i1 était intéressé par l’affaire Jacob. Rationnellement, tant qu’on n’en a pas la preuve absolue, cela reste une conjecture.

Veuillez croire, cher Monsieur, à mes vœux pour une excellente continuation de votre exposition, et à mes sentiments très cordiaux, auxquels se joint Mme Berthier.

Pierre Valentin Berthier

  

         Vers la fin de la guerre, Marius  a reçu des fonctionnaires de la répression des fraudes. Au cours de l’inventaire de son stock, il manquait la facture de 32 mètres de tissus. Jacob fut condamné par le tribunal correctionnel d’Issoudun à 15 jours de prison. Défendu à l’audience par Maître Boudran, celui-ci avait basé sa défense sur celle d’un délinquant primaire, au casier judiciaire vierge. Le procureur et le président du tribunal, mieux informés, souriaient pendant la plaidoirie, Jacob a passé quinze jours à la prison de Châteauroux. A sa sortie, il m’a rendu visite et m’a dit que ces quinze jours de prison lui ont fait plus de mal que ces 25 ans de prison et de bagne car il était innocent

Marius chiquait, cela lui était resté du bagne afin d’éviter le scorbut

 Propos recueillis :

         Après son mariage, je n’ai pas vu Marius chiquer. Madame Jacob avait peut-être remis de l’ordre

         Madame Jacob était très nerveuse. Maniaque sur la question du ménage, elle imposait à l’entrée les patins. Jacob aimait tendrement sa femme, pourtant de caractère un peu difficile

         C’est sur le marché que l’on a commencé à l’appeler Marius. Il était marseillais, son deuxième prénom était Marius, alors il est devenu Marius. Mais jusqu’à cette période, il s’appelait Alexandre et signait ses lettres Jacob

         Ce qui frappait le plus chez Marius, c’est son mépris de la mort. Il a préparé la sienne. Dans la conversation, si un trait de médisance venait s’infiltrer, il ne relevait jamais. Il parlait de ses histoires d’autrefois pendant des heures. Il prenait pour une idiotie sa comparaison avec Arsène Lupin. Il n’a jamais connu Maurice Leblanc. Jamais il ne parlait religion. Pour lui, cela n’existait pas

         L’intérieur de la maison était très dépouillé. Les murs, passés à la chaux, ne portait aucun décor particulier sauf la photo de sa mère. Peu de mobilier, quelques étagères et une grande table. La baignoire était dehors sous un abris de feuillage. Il chauffait l’eau dans une grande cosse. Peu d’habits, quelques chemises et pantalons. Il vivait d’une manière très sobre. Avec lui on pouvait parler une nuit entière

 AUPRES DE REMY MALBETE (Bois Saint Denis)

         En fait, il recevait peu de monde au Bois Saint Denis, chez lui. Mon père était très bien avec lui. Il vendait des chaussettes de couleur violette. Sur sa voiture, pour tourner à droite, il tirait sur une ficelle qui actionnait un morceau de bois qui se tendait

 AUPRES DE NICOLAS ZAJAC (né en 1943)

Tous les journaux ont parlé de la promenade des neufs gamins du Bois Saint Denis  et du goûter offert par Marius Jacob, la veille de sa mort. Parmi les neuf enfants, il y avait :

         Nicolas Zajac,

         Maria Zajac,

         Christiane Kierdzierke

         Jean-Claude Lanotte

         les petits Genest …

Tous n’ont pas participé à la ballade dans la vieille 6 chevaux Renault, surtout les filles. Le repas du midi (et non un goûter) comprenait du boudin et de la purée trop liquide ….

Tout le monde était très heureux autour de la grande table qui était joliment préparé. Et il y avait surtout de la limonade et quelle joie !

On avait l’impression que Marius voulait faire un cadeau aux enfants.

Les parents avaient été un peu réticents, inquiets. Madame Lanotte est venue d’ailleurs jeter un coup d’œil au cours du repas.

Il faisait très beau. Les garçons étaient en short mais, à la fin de la soirée, l’air est devenu très frais … A cette époque les routes du Bois Saint Denis n’étaient pas goudronnées

 AUPRES DE JACQUES LALEUF (garagiste à Reuilly)

         Marius faisait réparer sa vieille Renault par mon père Roger Laleuf. Pendant la réparation, Marius parlait, parlait, parfois pendant deux heures. « Monsieur Laleuf, vous qui êtes serrurier, savez-vous combien, on peut enfermer de clefs dans un tube d’aspirine ? 100 clefs. Avec un système de petites lamelles, on peut arriver à constituer une variété de 100 clefs différentes ». « Pourquoi un tube d’aspirine ? » « Facile à se mette dans le derrière, en prison afin d’échapper au regard des gardiens »

  

 

La Marseillaise 5 avril 2001La Marseillaise du Berry

5 avril 2001

REUILLY

Un chercheur .sur les pas de Marius Jacob

Si Ie temps a transforme Jacob en une sorte d’original pour les Reuillois, le personnage, lui, appartient a I’Histoire.

C’est en particulier l’avis de Jean-Marc Delpech, professeur d’Histoire et Géographie au collège de Fraize (près de Saint-Dié) dans les Vosges. Celui-ci travaille sur une thèse de doctorat d’Etat sur le personnage dans la direc­tion du professeur François Roth (la guerre de 1870, Fayard) a l’université de Nancy II. « Un intérêt depuis la plus tendre enfance, non pas pour Arsène Lupin ­

avec lequel le rapproche­ment ne lui parait pas bien venu – mais pour I’Histoire, la découverte du personnage et du mouvement anarchiste dans mes études, la publica­tion des Ecrits de Jacob aux éditions de l’Insomniaque. Surtout l’envie de refaire de l’histoire qui devait fatale­ment m’amener à faire quelque chose sur Jacob même si ce n’était pas évi­dent d’imposer le sujet a un public d’universitaires qui ne connaît pas Jacob ». La démarche de Jean-Marc Delpech n’est pas de faire de Marius Jacob un super héros imaginaire, ce qu’il reproche aux biographies de Caruchet ou Thomas, une sorte d’ Arsène Lupin, ce qui ne correspond pas a la réalité. «Jacob comme Henry, ce sont des non-lieux de mémoire oubliés de I’Histoire. Jacob montre que l’illégalis­me anarchiste, sans une goutte de sang ou très peu, ça peut marcher. Sa bande, les «travailleurs de la nuit » a quand même tenu trois ans. C’est un organisateur et on a voulu en faire un individua­liste, quelqu’un à part, alors que sans ses copains bagnards, anarchistes, il n’existe pas. Il n’est pas innocent qu’il se soit si bien acclimaté dans le monde forain qui est un monde libertaire ». Une bonne rai­son d’écrire sur ce personna­ge fascinant dans l’optique du Maitron « Ravachol et les Anarchistes », Jacob et les Anarchistes, loin des clichés et du mythe, plus proche de la réalité et de ses écrits. En attendant, Jean-Marc Delpech était mardi à Reuilly  où Jacob, après le bagne, finit sa vie à 74 ans en 1954, mar­chand forain. Claude Nerrand, président de l’Office du Tourisme, le conduisait « sur les pas de Marius Jacob». C’est juste­ment le titre d’une brochure « commise » par ce dernier et disponible a l’Office de Tourisme, local, rue Rabelais. D.B.

 

 

 

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