La comique aventure du môme à Pépète.

Des trois historiettes, qu’Alexandre Jacob écrit à la prison de Fresnes en 1927, La Comique aventure du Môme à Pépète est la seule qui n’ait jamais été diffusée. En 2004, L’Insomniaque incluait dans sa réédition des Ecrits de l’anarchiste La Cervelle à la mode des îles du Salut et Le Procureur de SA République. Construite sur le ton du vaudeville, cette troisième et inédite nouvelle aborde pourtant deux aspects non négligeables des rapports humains, considérés dans un espace clos et confiné. La camelotte, que l’on nomme aussi débrouille, permet au permet au forçat d’amasser un pécule bien utile à sa survie. En règle générale, elle prend la forme de trafic en tout genre. Ici, il s’agit de prostitution. Car sur les îles du Salut, comme partout ailleurs, le sexe est un bien marchand. Et comme partout ailleurs encore, il régules des relations qui sont tout sauf platoniques. Hétérosexualité et homosexualité trouvent alors facilement et naturellement à s’exprimer. Chez les fagots comme chez les agents de l’AP.

Lhinares dit Pépéte était le plus riche mercanti des îles. Riche de plusieurs milliers de francs et pouvant s’offrir un môme de choix. En fait, Bébert, son môme, était le plus beau du lieu. Pépète n’étant pas partageux en amour, mais, mercanti avant tout, il ne lui déplaisait que, pour le profit, son môme le fit cocu. C’est ainsi que, d’accord avec Ie gardien de l’hôtel du gouverneur, le boche Herman Cros, à qui il donnait un pourboire pour sa complaisance, il tolérait que Bébert fit des passes à l’ombre de ce logement. Mais, un beau jour, Ie Commandant Masse retira les clefs de l’hôtel cependant que Herman Cros, le gardien était hospitalisé. Régulièrement, ces clefs auraient dû être remises au Commis aux rentrées, M. Kiebert ; mais, on saura pourquoi plus loin, M. Masse les garda lui-même. Fâcheux contretemps pour le commerce du môme à Pépète. Erreur. De temps immémorial toutes les clefs des logements des îles sont en plusieurs exemplaires et les détenus intéressés savent toujours où s’en procurer. C’est dire que Pépète ne fut pas longtemps à remettre à son môme un jeu de clefs du dit hôtel afin qu’il pût continuer d’en retirer profit.

Donc, un jour, le condamne Benzini dit Linto, grand passionné de pédérastie donne rendez-vous à Bébert dans le logement indiqué, lequel, comme on sait, avait deux entrées : une -la grande- sur le plateau, l’autre – pour le service- du côté du mur de la caserne. Bebert, arrivé premier au rendez-vous pénètre par la porte de service cependant que Benzini, qui le suivait à distance, se propose d’y rentrer par la porte du plateau afin de ne pas faire remarquer l’entrée de deux condamnés. Mais, dès que Benzini arrive sur le plateau en débouchant du chemin qui conduit a la pente des blagueurs, il tombe nez a nez, pour ainsi dire, avec le Cdt Masse. II est ainsi contraint de continuer son chemin sur le plateau cependant que M. Masse rentre tranquillement dans l’hôtel du Gouverneur. Bébert, qui, par la fenêtre, a vu le mouvement, s’apprête à battre en retraite du côté de la porte de service, mais dès qu’il va pour s’engager dans l’escalier il entend des pas venant de cette direction; il rebrousse chemin, rentre dans une chambre de l’étage et se blottit dans une armoire. Les pas approchent. Il ne voit rien, mais il entend le bruit d’un corps qui s’affale sur le lit. Deux minutes après, d’autres pas ; un nouveau corps qui se jette sur le lit, puis des baisers, des soupirs, des chéri­-chéri. Un silence. Puis des voix. Alors tout s’explique. C’était Mme Blanchard, l’épouse du Commandant adjoint Blanchard qui, ayant pris rendez-vous avec son amant, M. Masse, venait dans l’hôtel mitoyen à celui qu’elle habitait se livrer à de joyeux ébats. Leur causerie terminée, M. Masse et Mme Blanchard se retirèrent, l’un par la porte de devant, l’autre par celle de derrière. Et Bébert, qui venait de l’échapper belle alla illico conter l’aventure à ses amis du camp.

Cela s’est passe en 1923 – en février.

Tags: bagne, camelotte, débrouille, homosexualité, môme, prostitution

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Cet article de JMD a été publié le mercredi 7 mai 2008 à 6:48 et est classé dans Le bagne et ses joyeusetés. Vous pouvez en suivre les commentaires par le biais du flux RSS 2.0. Vous pouvez laisser un commentaire, ou faire un trackback depuis votre propre site.