L’idéal sublime de Léon Pélissard


Léon Pélissard dans Le Monde Illustré 25 mars 1905Comme pour Alexandre Jacob, Jacques Sautarel et Marius Baudy, le procès d’Amiens (8-22 mars 1905) donne à Léon Pélissard l’occasion de pouvoir exprimer hautement ses convictions libertaires, de dire son « idéal sublime ». Lui aussi passe, par la force des choses, à la propagande par la parole. Son style, nettement moins ampoulé que celui du bijoutier anarchiste Sautarel (voir article L’Homme), nettement plus direct aussi, lui permet d’utiliser une dialectique simple et efficace. Léon Pélissard pratique l’aphorisme. Le vol s’en trouve, par ce biais, politiquement justifié et les pivots de la société capitaliste dénoncés avec véhémence. Sa déclaration qui, comme celles de Jacob, Sautarel et Baudy, n’a certainement pas pu être formulée au palais d’injustice d’Amiens, est néanmoins publiée dans le journal anarchiste amiénois Germinal, le n°12, en date du 26 mars au 9 avril 1905.

Germinal

N°12, 26 mars – 9 avril 1905

Déclaration de Léon Pélissard

Messieurs les jurés,

Je suis un enfant de la nature, enthousiaste de ses lois que je considère comme les seuls équitables. En les comparant à celles élaborées par les bourgeois, ma pensée s’est fixée en quelques aphorismes que je vais énoncer sous forme de questionnaire, légitimant les actes pour lesquels je comparais devant vous.

D : Qu’est-ce que la loi des hommes ?

R: Des crimes de lèse nature. Les lois naturelles feraient de la terre un paradis, les lois des hommes en font un enfer.

D : Quelle est La première des Lois naturelles ?

R: Celle de se procurer son nécessaire, on ne peut l’enfreindre sans la mort.

D: Qu’est-ce que le salaire ?

R : Une survivance du servage. Que penses-tu de ces pères de familles dont le gain quotidien est moins coûteux à des entrepreneurs que l’entretien d’une bête de trait? N’est-ce pas une indignité, une insulte a la civilisation ?

D : Qu’est-ce que le vol commis par un prolétaire ?

R : Une reprise légitime de possession au mépris des anathèmes intéressés du bourgeois, et que confirme son droit à l’existence. L’exploitation, l’agio, la propriété individuelle, à mon avis, constituent exclusivement le vol manifeste, que dis-je ? Le vol à main armée, car ceux qui s’y adonnent disposent de régiments toujours prêts à massacrer les travailleurs s’ils veulent revendiquer leurs droits.

D: Qu’est-ce que l’armée ?

R : L’école du crime et du banditisme, où l’on enseigne constamment le pillage et l’art sauvage d’exterminer son semblable : et j’ai lieu d’être fort surpris de me voir traîner devant vous, pour des faits qui ne sont en réalité que des jeux d’enfants auprès de ce qui me fut enseigné au régiment : Sachez qu’au Tonkin, je vis les soldats français semer sur des indigènes inoffensifs, les égorger furieusement, après avoir incendié leurs villages dans lesquels ils s’étaient réfugiés, et cela parce qu’ils refusaient de porter nos bagages à des centaines de lieues, loin de leur foyer. Voilà les crimes de la race, de la patrie grisée de ses héroïsmes. Malgré soi, le mot de Mme Roland obsède, et le coeur ne cesse de murmurer: 0 patrie! Que de crimes on commet en ton nom!

D: Qu’est-ce que la bourgeoisie?

R : Une association de malfaiteurs.

D : Qu’est-ce que l’église ?

R : Un temple d’imposture et d’hypocrisie.

D : Qu’est-ce que la religion?

R : Une fumisterie.

D: Qu’est-ce que les prêtres ?

R : Des filous à l’américaine, promettant contre finance un paradis de fictions.

D: Qu’est-ce que le confessionnal ?

R : Un lieu de débauche à l’usage des femmes, c’est pour ça qu’elles sont si entichées.

D: Qu’est-ce que La presse bourgeoise?

R : Une meute aboyant au service de la police qui lui tolère ses rapines et ses chantages.

D: Qu’est-ce que La police?

R : La réponse est de Paul Courier: « La police est le plus puissant moyen inventé pour rendre un peuple vil et lâche »

D: Qu’est-ce que la justice bourgeoise?

R : Une balance qui penche plus ou moins pour un même fait, selon que l’inculpé est déshérité ou fortune.

D : Qu’est-ce que Le budget?

R : Une énorme somme d’impôts prélevés sur la misère du peuple pour payer toutes ces monstruosités.

D : Qu’est-ce que Le paupérisme ?

R : Un réquisitoire sanglant contre la société bourgeoise.

D: Qu’est-ce que le mariage ?

R: Le tombeau de l’amour. La chair veut être libre et capricieuse.

D : Qu’est-ce que L’anarchie ?

R: L’idéal sublime de ceux qui gémissent et la poésie des esprits féconds.

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