Souvenirs de mousse


Jacob mousse, fonds Jacob, CIRA MarseilleAlexandre Jacob a officié sur au moins huit navires : le Thibet, le Ville de la Ciotat, l’Armand Behic, le Prince of Albert, le Guadiana, le Douro, l’Alix et le Suzanne et Marie. Il ne fait guère de doute que ses multiples voyages ont nourri son imagination et sa réflexion. Mais sa vie de mousse ne nous est guère connue que par les trois biographies commises par Alain Sergent, Bernard Thomas et William Caruchet. Il  n’y a pas pléthore de sources quant à cette période déterminante. Les archives des Messageries Maritimes ont été brûlées dans les années 1980. Restent alors les souvenirs du vieux marchand forain écrivant à Jean Maitron en 1948, puis à Josette Passas en 1953 et 1954. S’ouvre ainsi à nous une expérience maritime enrichissante même si lors de son procès, à Amiens en 1905, Alexandre Jacob a pu déclamer : « J’ai vu le monde et il n’était pas beau ».

 

le TibetSouvenirs rassis d’un demi siècle, premier manuscrit

« J’y obtins  le certificat d’étude à onze ans avec la mention passable, c’est à dire de justesse. Deux mois après, alors que je jouais aux billes sur la place Saint Michel (nous étions à la veille de Noël), un monsieur chargé de colis me demanda de l’aider à transporter ses objets. J’acquiesçais et, chemin faisant, il me questionna sur mes désirs d’avenir. « je voudrais naviguer comme mon père » lui dis-je. Arrivé chez lui, il me donna sa carte et me dit d’aller dire à mes parents d’aller le voir à son bureau. C’était M. Martino, capitaine d’armement de la Cie Fraycinet. C’est à la suite de ces circonstances que en janvier 1891 j’embarquais comme mousse à bord du Tibet pour un voyage sur la cote occidentale. Par la suite, j’entrai aux Messageries Maritime comme novice. Puis à la Cie Axel et Bush, puis à Worms, puis enfin au service du pilotage à Marseille. Mes parents avaient l’intention de faire de moi un capitaine au long cours. Ils se renseignèrent à cet effet à l’Ecole de commerce. Mais le programme des études me parut au-dessus de mes aptitudes. C’est à ce moment que je commençai à fréquenter les milieux anarchistes (…). Alors que je naviguais, j’avais lu L’histoire des Girondins de Lamartine et Quatre-Vingt-Treize de Victor Hugo. Ce dernier ouvrage fit une forte impression sur moi, à tel point que à plus de cinquante ans de distance je me rappelle encore ce passage où Cimourdain évoque les trois parasites à supprimer : le prêtre, le juge et le soldat. (Que n’a-t-il ajouté les précepteurs !) Je lus aussi les Rougon-Macquart de Zola ».

hôtel des Messageires Maritimes à MarseilleSouvenirs rassis d’un demi siècle, manuscrit final envoyé à Jean Maitron

Vers la Noël 1890, alors que je jouais aux billes sur la place Saint Michel, un Monsieur surchargé de paquets, me pria de l’aider. Chemin faisant, il m’interrogeait, me demandait quelle profession j’envisageais d’embrasser. « Marin » lui dis-je. Arrivé à son domicile, il m’offrit un pourboire que je refusai. Il me remit alors sa carte en me disant d’inviter mes parents à aller le voir. C’était M. Martino, capitaine d’armement à la Cie Fraycinet. C’est ainsi que le 22 janvier 1891 j’embarquai comme mousse à bord du Thibet pour un voyage au long cours sur la côte occidentale d’Afrique. Par la suite, je naviguai comme novice aux Messageries Maritimes, puis à Axel et Bush, puis à Worms et Jasse et enfin au service du pilotage à Marseille. Je quittai la navigation pour raison de santé.

 

le Suzanne et MarieLettres à Josette Passas

le DouroDimanche 15 novembre 1953

Le plus grand nombre des enfants de ma génération dansaient sur les flots. Vous êtes heureux, les jeunes de ce temps ! Alors tu as assisté à une course de taureaux à Barcelone. C’est écœurant. Et quand les picadors éventrent leur cheval sur les cornes du taureau. Toutes ces tripes qui traînent à terre. Pas beau. L’école landaise, sans mise à mort, est plus supportable. Sais-tu qu’un dimanche à Arles j’ai voulu aller tenter ma chance d’arracher la cocarde d’un taureau dont les cornes étaient (imprimées) de caoutchouc. Il y avait trente francs de prime. Novice, je m’étais mis au centre de l’arène et, quand j’ai pris ma course pour atteindre les barrières, le taureau m’a pris entre ses deux cornes et m’a projeté en l’air. J’ai chuté à l’intérieur de la barrière. Porté au dispensaire : presque rien, des écorchures aux mains et aux genoux. Ca m’a guérie des courses de taureaux. Mais j’étais déserteur d’un navire anglais que j’avais plaqué à Saint Louis du Rhône. Mis en cabane, une cabane de policier, je m’en évadai un heure après et filai sur Marseille à la crèche. C’est en allant de Saint Louis à Arles que j’ai fumé à la pipe de la bouse de taureau. Ce n’est qu’au 17e km que j’ai trouvé un débit de tabac. La bouse est infumable ? Ca prend à la gorge.

le Ville de la Ciotatl\'Armand BehicLundi 30 novembre 1953

A 13 ans, j’étais novice timonier, je pesais 52 kg. Sur les grandes lignes Marseille-(…) via Mahé, Adélaïde, Sidney. Mon travail, l’après-midi, consistait à balayer. J’étais en quelque sorte kidnappé. Ca a commencé avec une anglaise de 34 à 40 ans qui, sous prétexte de se faire porter un pliant dans sa cabine, m’a couvert de caresse, m’a mordu et le reste. J’en sortais flapi mais content. Une autre, une Australienne, m’agrippa le lendemain. Tant et si bien que j’étais devenu le chien-chien de ces dames. Et cela pendant deux ans, sur deux paquebots différents. Tout ce monde érotique se fréquente, se raconte leurs exploits. Un soir, en allant passer la soirée à terre, j’ai eu envie de pisser. Je vais donc sur le (warf), le long du bord, face à un hublot. Béatitude ! Je vois sur une couchette supérieure les deux filles du gouverneur (Mantel) (le même qui est mort dans l’explosion du Mont Pelé à la Martinique), qui à ce moment était nommé à Maurice, je vois dis-je ses deux filles, 17 et 19 ans, se sucer en 69 complètement à poil. Elles se trémoussaient comme deux serpents, soupirant, murmurant de légers cris. J’en avais le tricotin raide. Toujours les yeux collés au hublot, celle qui était dessus regarda dans ma direction. Nos regards se croisèrent. Je partis en vitesse car le douanier, qui était à une quarantaine de mètres, soit sans raison apparente, soit intrigué par mon stationnement de dix minutes, se dirigeait sur moi. Je franchis la grande grille du port et allais passer la soirée au quart. Cela se passait à Sydney. Le lendemain, en prenant mon quart à 8 heures du soir, l’aînée, celle qui était dessus, me remit un billet me donnant rendez-vous à dix heures entre les deux cheminées. Je m’y rendis, y rencontrais les deux sœurs qui me recommandèrent la discrétion. Nouveau rendez-vous mais à l’heure du repos. En sortant, je me fais piquer par le second commandant qui, depuis quelques temps, avait du observer mon manège. Sur sa demande, je lui répondis que je venais faire ma commission. « Tu fais trop de commissions » me dit-il et, le lendemain matin, il me fit présenter d’office à la visite médicale. Le toubib, par ordre sans doute, me colla huit jours d’infirmerie. Je n’ai jamais tant reçu de friandises. Ces dames ne m’oubliaient pas. Et ces dames, presque toutes protestantes, n’oubliaient jamais d’assister à l’office du pasteur en chantant les vertus de la fidélité conjugale. Il y en avait une qui devait avoir de 60 à 65 ans mais qui, maquillée, en paraissait 45, me suçait tellement que j’en étais malade jusqu’au sang.

le GuadianaVendredi 12 février 1954 :

En décembre de la même année, j’embarquai comme mousse à bord du Thibet et le 22 février on prenait la mer pour Oran, Dakar, Konakry, Cap (Lipiez), Petit Papa, Grand Papa, Sierra Léone, Libreville. Au retour, j’achetai 400 perroquets pour un pantalon bleu coûtant 3F50. Presque tout l’équipage en avait acheté. Les oiseaux étaient logés dans une grande cage sous le (galland) avant au-dessus de celle du bosco. Tous les jours, il en mourait 10, 20, 30. Je les jetai à la mer et je le remplaçai par autant que je pouvais dans la cage du bosco. Cela se vit et fut vertement réprimandé. A Marseille, il m’en restait cinq que je donnai à des voisins.

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