Mes tombeaux 33


Les Allobroges

7ème année, n° 1307,

lundi 8 mars 1948, p. 2

Mes tombeaux

souvenirs du bagne

par Paul Roussenq, L’Inco d’Albert Londres

XXXII

Quand le poids d’un passé qu’on croyait révolu s’attache à nos pas les prisons s’ouvrent seules

Chacun de nous s’était assis à l’une d’elles, dans les deux vastes salles où se prenaient les repas. Les assiettes blanches à fleurs, les couverts récurés à neuf, le menu bien ordonné, tout cela nous fit la meilleure impression. De jeunes éducateurs choyaient ce petit monde.

Les dortoirs aux petits lits blancs, recevaient le soleil par de larges fenêtres, lorsque nous les visitâmes, de même que l’infirmerie où se trouvaient quelques petits malades – qui eurent leur part de nos largesses… Là aussi, il y avait cinéma, terrain de jeux, etc…

A leur sortie, les jeunes hommes qu’ils étaient devenus, pouvaient prendre part à l’existence : ils ne retombaient plus dans l’ornière. Et cela me fait songer à ce film si émouvant : « Le chemin de la vie »…

Certes, nos maisons de correction de naguère, ces bagnes d’enfants, ont été liquidées grâce à d’ardentes campagnes de presse. Mais les centres d’éducation surveillée qui leur ont succédé, recèlent encore bien des abus et des lacunes.

La preuve en est dans les nombreuses évasions qui s’y produisent. Et quant aux jeunes détenus de moins de dix-huit ans que l’on jette dans nos prisons, il y sont traités de façon révoltante.

SUR LA ROUTE

Quelque temps après mon retour de Russie, j’éprouvai le besoin de me retirer de cette vie publique qui absorbe, de son activité, les manifestations extérieures de celui qui s’y consacre. Je pris une patente de marchand ambulant et me mis en devoir de me constituer un petit stock de mercerie composé d’articles légers et peu volumineux. Cela fait, j’allai de part et d’autre, écoulant ma camelote dans les fermes et les agglomérations rurales. Parfois, pour me déplacer d’une région à une autre, je délaissais la route pour emprunter le rail. A cette époque, me sentant quelque argent dans la poche, j’avais la naïveté de payer mon train. Cependant, la facilité actuelle des communications de la campagne à la ville, ne laisse pas que de porter un coup sensible à ces petits commerces ambulatoires. Le jour arriva où il me fallait attendre de vendre quelque chose pour pourvoir à une maigre subsistance. De la sorte, je ne pouvais guère me réapprovisionner que dans une faible mesure. Je ne songeais guère à m’établir un jour, avec pignon sur rue. Il serait fastidieux de m’attarder à des détails en somme sans intérêt. Je me contenterai de rapporter ce qui fut le plus, saillant au cours de ma vie errante de ces dernières années. Alors que j’étais prétendument interdit de séjour, il me fallait bien, néanmoins, aller m’approvisionner dans les grandes villes. Les nécessités de mon petit commerce me l’imposaient. Trois fois, j’avais, de ce fait, connu la répression. Une quatrième fois, je me vis traduire, sous la même inculpation, devant le tribunal correctionnel d’Aix-en-Provence, vers 1936. Le Président m’ayant demandé mes nom et prénoms, le Substitut intervint : « Cette affaire ne me parait pas claire. Rien n’établit que le prévenu soit effectivement soumis à une interdiction de séjour. J’ai envoyé une note à cet égard, dont j’attends la réponse. Dans ces conditions, je demande le renvoi à huitaine ».

Je m’attendais à être condamné avec un retard de huit jours lorsque je revins sur la sellette. A ma grande surprise, le Substitut déclara : « J’ai reçu ce matin même les pièces qui sont au dossier. Roussenq demeure touché par le paragraphe… article… de la loi d’amnistie du… Dans ces conditions, la relaxe s’impose ». Et je fus acquitté. Ainsi j’étais amnistié depuis un temps antérieur à mes condamnations et je n’en savais rien, de même que les juges qui m’avaient condamné par trois fois. J’allai trouver dans son bureau ce magistrat d’une rare conscience et le remerciai. Il me délivra une attestation, afin de ne plus être embêté à l’avenir. Depuis, j’ai égaré cette pièce. En 1940, me trouvant à Toulouse, je me rendis au Bureau de Placement. On me demanda si je voulais aller à la Poudrerie qui demandait des manœuvres. J’acquiesçai. Je fus convoqué. soumis à la visite médicale et enregistré sur les états. On m’employa à l’entretien et au nettoyage des rails Decauville. Armé d’un balai, je faisais place nette. Le travail était facile et agréable. Huit jours après, un employé des bureaux vint me trouver pour me dire : « Il faudra que vous écriviez de suite pour vous faire envoyer un certificat de bonne vie et mœurs, ainsi qu’un extrait de votre casier judiciaire. Les pièces sont indispensables pour être maintenu à la Poudrerie. »

(A suivre)

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