Mes tombeaux 31


Les Allobroges

7ème année, n° 1304,

jeudi 4 mars 1948, p. 2.

Mes tombeaux

souvenirs du bagne

par Paul Roussenq, L’Inco d’Albert Londres

XXX

A la prison de Grenoble des femmes charitables apportent un peu de réconfort aux détenus

Antérieurement à la Libération, il en était encore ainsi, sauf pour le pain, dont la ration avait été amputée de 200 grammes. Depuis la Libération, les légumes secs ont à peu près disparu, le riz, il ne faut pas en parler. Restent les pommes de terre. Mais au lieu des 550 grammes de pain d’avant la Libération on n’a délivré aux prisonniers que le même taux de ration délivré aux personnes libres, sait 200 grammes actuellement.

Or, les personnes libres ont la faculté de se procurer autre chose que du pain et des pommes de terre – les prisonniers indigents, et d’ailleurs conditionnés par les règlements, ne l’ont pas. Il est vrai qu’on leur donne chaque semaine un morceau de fromage maigre, ainsi que 150 grammes de sucre cristallisé, et un morceau de viande le dimanche. Mais n’importe ! Cela n’empêche que la nourriture concédée aux prisonniers n’excède pas la valeur de 600 calories.

La maigre ration de pain qui leur est accordée est ridiculement insuffisante, en considération du peu qu’on leur accorde d’autre part.

Certainement, il y a des prisonniers qui reçoivent des colis familiaux, à raison d’un colis de quatre kilogs par semaine, mais pas tous, bien loin de là. Et ces privilégiés ne vont pas partager avec leurs codétenue déshérités.

En prison, on est égoïste : chacun pour soi et tout pour moi. Il y a aussi la cantine, mais pour ceux qui ont de l’argent.

C’est un fait incontestable que les prisons françaises sont des citadelles de la faim. Cela ne fait guère honneur au système pénitentiaire français… On dira : « Bah ! c’est bien bon pour les collaborateurs ! » Mais il n’y a pas que des collaborateurs dans les prisons, ainsi que des assassins. Il y a aussi de pauvres bougres. En ces temps bouleversés que nous vivons, alors que la misère publique s’aggrave de jour en jour, des défaillances se produisent. Pour nourrir les petits, à la maison, pour ne pas mourir de faim, combien de malheureux se sont laissés entrainer à faillir !

Je n’insiste pas, on me comprendra.

Et puis, il y a autre chose.

S’il survient demain un changement de régime, si la dictature vient peser sur ce pays, alors les prisons ne seront plus assez grandes pour y jeter des personnes honnêtes par milliers.

Donc, il s’agit avant tout d’envisager la question sous l’angle de l’humanité et d’une stricte justice.

J’en appelle aux militants qui ont connu la prison, il n’y a pas si longtemps.

J’ai peu à dire sur le prison de Grenoble. Après un malentendu à mon entrée, je n’ai pas eu à me plaindre de quoi que ce soit qui ne fût commun à toutes les prisons en général.

Le surveillant-chef n’est pas d’une mauvaise composition. On ne peut pas dire qu’il embête son monde et n’est pas insensible à l’humaine pitié. Ses subordonnés suivent ses directives, selon leur tempérament particulier. Evidemment, je n’ai pas cessé d’avoir faim du jour de mon entrée à celui de ma sortie, mais cela est indépendant du personnel de la prison.

Je ne saurais passer sous silence la mission de bienfaisance accomplie par les deux dames visiteuses qui viennent tous les lundis apporter un peu de réconfort, un peu de pain, quelques pommes de terre bouillies, un morceau de fromage – c’est peu et c’est beaucoup.

Ces dames charitables ont du mérite, ce faisant, d’autant plus que leur dévouement est obscur et anonyme. Il serait souhaitable qu’elles soient aidées dans leur œuvre d’assistance.

Pour le Jour de l’An, les militantes salutistes vinrent offrir un Noël, quelque peu retardé, aux prisonniers. Au son de l’harmonium, elles entonnèrent les cantiques de circonstance, notamment « Il est né le divin enfant… ».

La chapelle pénitenciaire n’était sans doute pas habituée à ces accents joyeux qui caractérisent l’action de l’Armée du Salut.

Ces dames attendaient les prisonniers à la sortie (pas celle de la rue) distribuant avec un bon souhait, un paquet assorti que chacun apprécia.

Je n’ai pas connu l’œuvre des salutistes à la Guyane, étant déjà rentré en France.

(A suivre)

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