Mes tombeaux 24


Les Allobroges

7ème année, n° 1297,

mercredi 25 février 1948, p. 2.

Mes tombeaux

souvenirs du bagne

par Paul Roussenq, L’Inco d’Albert Londres

XXIII

Dans la jungle de la « Tentiaire » luttant contre l’Administration : les médecins du Bagne

A part quelques exceptions, ces dévoués praticiens se donnaient corps et âme pour soulager autant qu’il était en leur pouvoir la grande misère des condamnés. On peut dire qu’ils n’avaient de militaire que le nom. Chaque jour leur visite à l’hôpital se prolongeait pendant des heures. Chaque malade était l’objet de soins attentifs. Car pour eux, il n’y avait pas de forçats, seulement des malades. A leur visite journalière au pénitencier et périodique dans les camps ils s’attachaient à prodiguer la manne de leurs bienfaits : repos. hospitalisation, prescriptions de travaux légers, attributions de lait condensé et de fortifiants.

Les Chefs de camp étaient présents à ces visites pour mettre leur grain de sel. Un transporté vient de sortir du cachot, il demande du repos. Le chef de camp intervient : « Il sort de punition. il s’est assez reposé à ne rien faire ».

Alors de médecin :

« Ah ! oui, huit jours de repos, Lait et quinine même durée ».

Un autre a une plaie tuméfiée.

Le Chef de camp : « II s’est maquillé ».

Le Médecin : « Hôpital ».

Ainsi se passaient les choses. Comme moi-même, les médecins étaient en lutte continuelle avec la Tentiaire, que ce fut pour la nourriture des malades, les médicaments qui n’arrivaient pas, de même que le lait condensé. Et ils ne baissaient pas pavillon. Toujours disposés à prendre parti pour les condamnés contre la machine pénitentiaire, ils ne négligeaient rien pour améliorer leur tort. Le bétail abattu, par eux examiné et refusé à bon escient comme impropre à la consommation,. était jeté à la mer ou enterré – sous leurs yeux, Le lait frais si rare. était réquisitionné pour les grands malades.

Parmi ces hommes éclairés et humains dont beaucoup sont morts à. la tâche, se distingua particulièrement le Médecin-commandant .Louis Rousseau, qui séjourna aux îles du Salut de 1920 à 1922. D’une bonté à toute épreuve, même à celle de l’ingratitude, d’une rare modestie, d’un dévouement poussé à la hauteur de l’abnégation. 1l a laissé là-bas un souvenir impérissable.

Deux fois par jour, il passait l’Hôpital sa méticuleuse visite, stationnant à chaque lit, s’enquérant des moindres détails. La nuit, il se levait pour se rendre compte de l’état d’un malade grave.

Il apportait de chez lui des fruits, du vin bouché, toutes sortes de douceurs, qu’il faisait distribuer par ses infirmiers.

Avec lui, on pouvait parler comme à un père. D’ailleurs c’était bien un papa-gâteau.

Il m’a hospitalisé dès son arrivée et je ne retournai dans les cachots qu’après son départ. Je lui fis part, un jour, du fait qu’on ne donnait pas de savon à l’hôpital et que c’était regrettable, Le lendemain, en passant sa visite, il en tira un morceau de sa poche et me le donna.

Pas fier pour un sou, avec ses quatre galons, il tenait à distance surveillants et fonctionnaires, qu’il méprisait souverainement.

Le jour de son départ fut un jour de tristesse pour les condamnés, qui devaient tant le regretter. A l’hôpital il fit ses adieux à tous, eut un mot aimable pour chacun. Ses malades lui offrirent, un magnifique souvenir et quand i1 les quitta pour aller s’embarquer, des larmes étaient dans tous les yeux.

Sur le chemin qui le conduisait au port, des fleurs avaient été jetées, par brassées ; les condamnés abandonnant leur travail venaient le saluer une dernière fois.

Avant de partir, il avait promis de ne pas oublier ses bagnards. Il tint parole. Son livre « Vingt mois aux Iles du Salut. », sous une forme modérée, constitue un réquisitoire serré contre l’Administration pénitentiaire. Le Médecin-colonel Rousseau (promu depuis) réside quelque part., là-bas, sur la terre de Bretagne. Cet homme de bien n’a pas cessé de mener le bon combat, contre les forces oppressives de l’humanité. ainsi que j’ai pu m’en convaincre. C’est un de ces hommes qui font honneur à l’humanité.

La Réclusion Cellulaire

Sur le plateau de St-Joseph, exposés aux vents du large, se dressaient, au nombre de trois, les mornes bâtiments de la Réclusion cellulaire.

Dans des cellules étroites, sur deux rangées contiguës au-dessus desquelles un promenoir permettait de les surveiller tout moment par les plafonds grillagés, des hommes subissaient des peines allant jusqu’à cinq années. Un silence de mort planait sur cette double rangée de tombeaux. Le moindre mot et c’était le cachot. Et ces cachots de la Réclusion cellulaire c’était quelque chose de terrible, je peux en parler en toute connaissance de cause.

Les réclusionnaires ne sortaient de leurs cages qu’une demi-heure le matin, isolément et dans un préau cellulaire. On les occupait à confectionner des nattes et des paillassons, ainsi que des balais. Ils étaient soumis à la portion congrue et ne percevaient pas le café matinal. Pâle et vacillante, la lumière du soleil les aveuglait, lorsqu’un jour ils avaient l’occasion de se trouver à l’air libre. Le scorbut les minait et les décès étaient fréquents, soit à la réclusion même, soit à l’hôpital. On en compta quarante en un mois. Les médecins étaient impuissants pour enrayer le mal, La salle des consignés de l’hôpital, toujours pleine, ne suffisait pas pour les plus malades. Plusieurs de ces hommes devinrent fous, d’autres se pendirent.

Les efforts conjugués du docteur Rousseau et d’Albert Londres finirent par adoucir sensiblement le dur régime de ces séquestrés.

(A suivre)

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