Mes tombeaux 17


Les Allobroges

7ème année, n° 1290,

mardi 17 février 1948, p. 2.

Mes tombeaux

souvenirs du bagne

par Paul Roussenq, L’Inco d’Albert Londres

XVI

Pour éclairer la nuit du cachot et permettre aux reclus d’écrire chez eux, il y avait l’hôpital

Les années passaient, les punitions pleuvaient sur ma tête sans interruption. Je me voyais avec trois ans de cachot d’avance à subir. Toute nouvelle punition ne pouvait que m’indifférer.

Mais ces gens-là ne le comprenaient pas. Leur psychologie déficiente ne pouvait se hausser à de semblables considérations. Et ne voyaient pas qu’une répression pareille portait à faux, qu’elle dépassait singulièrement le cadre de son objectif. Qu’au contraire, elle poussait davantage à la rébellion parce qu’elle devenait ainsi inopérante. Alors que de bons traitements, des gestes humains auraient été infiniment plus efficaces.

A cet égard, je citerai quelques passages de la mémorable circulaire ministérielle connue sous le nom d’Instructions Schmith. L’auteur de ces instructions morales n’était autre que le directeur général de l’Administration Pénitentiaire au Ministère des Colonies.

Chaque fois qu’un convoi de condamnés était en instance de départ pour la Guyane, il se rendait à St-Martin-de-Ré. Là, devant les partants assemblés, il prononçait des paroles d’espoir et d’encouragement.

Voici donc quelques-uns de ces passages :

 

« Les surveillants-militaires, les agents et fonctionnaires de l’administration pénitentiaire de la Guyane Française, ne devront jamais perdre de vue qu’ils se trouvent en présence d’êtres humains qui doivent être considérés comme tels, malgré leur déchéance. Que la plupart d’entre eux sont les victimes d’une mauvaise éducation ou d’une hérédité fatale. Qu’ils ont été le jouet d’un sort contraire, sans soutien dans leur faiblesse et constamment aux prises avec l’adversité.

Ils devront cultiver en eux les sentiments qui ne sauraient s’abolir, même chez les individus les plus tarés. Ils devront s’inspirer des devoirs de leur mission, qui est de ramener des âmes égarées dans le chemin du relèvement.

Conscients des pouvoirs de coercition dont ils sont investis, Ils tiendront à honneur à n’en user qu’avec une extrême modération. De bonnes paroles, un traitement humain font plus pour amender un révolté que les punitions les plus sévères.

Les surveillants-militaires et agents auront à cœur de se conformer à ces instructions.

Ils sauront, à propos, ne rien voir et ne rien entendre. Dans les moments critiques où ils auront affaire à quelque transporté qu’une longue suite de souffrances aura peut-être poussé à la rébellion, ils se rehausseront eux-mêmes en opposant à la parole grossière et au geste insultant le calme de leur inaltérable sang-froid. »

 

Admirables paroles ! Elles devaient demeurer lettre morte.

Les punis de cachot n’avaient qu’un recours : le médecin. J’aurai à parler plus longuement des médecins militaires chargés du service médical de la Guyane.

La plupart du temps, ils étaient humains et secourables. Ils prescrivaient du lait aux punis, ainsi que de la panade faite au bouillon avec la moitié de la ration réglementaire de pain. Ils avaient aussi le pouvoir d’hospitaliser les punis, pour un temps plus ou moins long.

Ainsi de temps à autre, j’allais passer quelque temps à l’hôpital ce qui me permettait d’écrire à ma pauvre vieille maman. Mon père était mort en 1911, ma sœur l’avait suivi sept ans plus tard. Les punis de cachot, en effet, ne pouvaient écrire à leurs parents. Un règlement stupide et inhumain s’y opposait – alors qu’il leur était permis de recevoir les lettres à eux adressées.

Toute punition étant suspendue du fait de l’hospitalisation, cette restriction ne jouait plus. Souvent, aussi, les commandants de pénitencier accordaient l’autorisation d’écrire aux familles, malgré l’état de punition. Mais lorsqu’en même temps se trouvaient en fonctions un commandant inflexible et un médecin récalcitrant, alors il fallait aviser. Je me tailladais les veines des bras avec un morceau de verre, ce qui occasionnait une hémorragie, ou bien je restais huit ou dix jours sans manger ni boire, pour leur forcer la main. Je porte toujours les cicatrices indélébiles de ces coupures.

Après un séjour à l’hôpital, satisfait d’avoir pu correspondre, je retournais dans mon cachot.

PORTE-CLES ET MOUCHARDS

La Tentiaire avait à sa dévotion une catégorie d’individus choisis parmi l’élément pénal : c’étaient les porte-clés. D’après les règlements, ils étaient chargés de prêter main-forte, aide et assistance aux surveillants militaires. Par le fait, c’étaient des surveillants de quatrième classe. Ils ne devaient agir que sur ordre et en présence de leurs chefs mais il en était tout autrement. Ils avaient de solides gourdins à leur disposition ; ils faisaient la police, appréhendaient les délinquants et montaient la garde, la nuit.

Deux clés entrecroisées, rouges sur fond noir, les caractérisaient extérieurement.

Ils logeaient dans une case spéciale et jouissaient de certaines faveurs. On les recrutait dans les rangs des condamnés de première classe. La plupart d’entre eux étaient des Arabes qui exécutaient strictement les consignes données : service, service. Camarade après !

Les mouchards étaient une engeance particulièrement redoutée. Ils se révélaient d’autant plus dangereux que la plupart du temps ils agissaient dans l’ombre et qu’on ne les connaissait pas. Sitôt démasqués, on leur menait la vie dure et ils se voyaient contraints de se réfugier au quartier d’isolement. Cependant ces êtres vils et méprisables n’étaient pas aimés des agents de la Tentiaire. La plupart d’entre eux prenaient les galons de porte-clés.

(A suivre)

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