Mes tombeaux 2


Les Allobroges

7ème année, n° 1275,

vendredi 30 janvier 1948, p. 2.

Mes tombeaux

souvenirs du bagne

par Paul Roussenq, L’Inco d’Albert Londres

II

Nous fîmes une entrée sensationnelle dans la bonne ville de Chambéry. Une jeune garçon enchaîné entre deux respectables gendarmes qui allaient avec dignité, le derrière solidement fixé sur leurs montures, ça faisait de l’effet.

Quel crime avait pu commettre ce garnement ? Les gens attroupés sur les trottoirs se le demandaient avec angoisse. Peut-être avait-il étranglé quelque vieille femme ? Quant à moi, le rouge de la honte me montait jusqu’au front. Je n’avais pourtant rien fait de répréhensible.

Je fus amené devant un fringant substitut attaché au Parquet, qui s’empressa, d’un air ennuyé et en baillant, de me signer un mandat de dépôt. Et la Maison d’arrêt referma sur moi sa lourde porte.

  • Qu’est-ce que tu as fais ? me dirent les hôtes de ce lieu.

Je n’en savais vraiment rien.

Le Président du Tribunal me l’apprit, quinze jours plus tard. Je répondais d’un délit prévu et réprimé par le Code pénal – le délit de vagabondage. La société ne saurait tolérer qu’il existât des vagabonds ayant le front de se déplacer d’un lieu à l’autre, sans même avoir de l’argent dans leur poche, C’est pourquoi elle se montrait disposée à leur offrir un asile dans ses prisons à défaut d’autre gibier de haut parage. Elle les rejette sur le pavé à l’expiration de leur peine, pour les reprendre et les rejeter. C’est la règle du jeu.

Le Président, donc, m’ayant mis en présence de ma culpabilité, m’octroya généreusement trois mois de prison. C’était pour rien.

Néanmoins utilisant les dispositions légales qui permettent de faire appel d’un jugement, je m’empressai de les faire jouer.

De sorte, qu’un mois plus tard, je me trouvais en présence des juges de la Cour d’Appel de Chambéry.

Nous étions une douzaine d’appelants ; la séance devait se prolonger assez tard. En vue de cette éventualité, on nous avait donné à manger dans la cour de la Prison. Il me restait un morceau de pain, après le repas, que je mis dans ma poche. Le moment vint d’être à mon tour interrogé sur mon instance d’appel. A vrai dire, ce fut un long monologue du vénérable Président, qui déplora de me voir si jeune sur le banc d’infamie. Je commençai à en avoir plein les oreilles et lui répondis avec une certaine véhémence. Je lui demandais en fin de compte, quel crime j’avais pu commettre, si ç’en était un de circuler sur une route. Le fait d’être pauvre, sans sou ni maille, ne constituait-ii pas, au contraire, un brevet d’honnêteté ? Et on me l’impliquait à charge l La parole fut donnée au ministère public L’Avocat Général Orsat eut le tort d’envenimer le débat en s’acharnant sur un jeune condamné primaire qui, tout de même, n’avait rien à se reprocher – en dépit d’une législation barbare qui le tenait, sous le coup de ses foudres. Alors que son devoir le plus élémentaire, dans un cas si bénin eût été de ne pas s’élever contre l’application du sursis que je réclamais, il s’y opposa avec des arguments sans aménité. A tel point que sortant de ma poche le croûton qui s’y trouvait, je le lui lançais à la tête. Aussitôt, grand émoi dans le prétoire ; les gendarmes se jettent sur moi et me frappent. Le Président s’écrie : « Arrêtez-vous, Messieurs ! » Il faut toute son autorité pour les calmer, La séance est suspendue pendant un quart d’heure. A la reprise, l’Avocat Général, juge et partie, déclare ne pas prendre de réquisitions.

Le Président me demande si je regrette mon geste. Je réponds négativement. Il me le redemande instamment, m’en supplie même ; je m’obstine dans mon raidissement.

La Cour délibère alors sur le siège. Malgré les efforts du Président, qui tente en vain d’amadouer ses collègues, je suis condamné à cinq ans de prison pour violences sur un magistrat en cours d’audience. C’était le maximum, la peine prévue allant de deux à cinq ans de prison,

A CLAIRVAUX

Vers le mois de mai 1903, je fis partie d’un convoi de condamnés en partance pour la Maison Centrale de Clairvaux. Ancien monastère de saint Bernard, transformé en lieu de détention, cet établissement se trouve dans le creux d’un vallon que dominent des hauteurs.

Le voisinage est, pour ainsi dire, désertique.

Là, six cents condamnés accomplissaient leur peine sous la férule pénitentiaire.

De nombreux ateliers occupaient l’ensemble de la population pénale : lits en fer, brosses, verrerie, cordonnerie, boutons, chaussons de lisière, tissage à bras et tissage mécanique.

En principe, le silence était de rigueur, le tabac était proscrit. Cependant, l’on causait et l’on fumait – en cachette, naturellement.

Une cinquantaine de gardiens assuraient les différents services, sous les ordres directs du gardien-chef. Un directeur et un contrôleur étaient au sommet de cette hiérarchie. Avec l’économe de la prison, ils formaient un triumvirat sous le vocable de prétoire disciplinaire, qui se réunissait tous les jours, sauf le dimanche.

Y étaient traduits les détenus ayant fait l’objet d’un rapport de comparution pour une infraction quelconque. Les punitions infligées étaient : la réprimande, le pain sec, la salle de discipline et la mise en cellule.

A la salle de discipline, on « bouffait » des kilomètres à longueur de journée, dans un local ad hoc parsemé de petites bornes pointues où les punis venaient s’asseoir – sinon se reposer – dix minutes toutes les heures.

La punition de cellule comportait l’isolement absolu de quinze à quatre-vingt dix jours, au pain sec trois jours sur quatre.

Je fis connaissance avec la gamme nuancée de cette répression intra muros, plus souvent qu’à mon tour.

Le directeur Mouginot n’était pas tendre pour ses ouailles, mais d’une grande intégrité. Aussi sévère pour les gardiens qu’il l’était pour les détenus, il ne s’agissait pas de broncher. Mais il veillait à ce que chacun ait son dû. Clairvaux, sous sa baguette inflexible, était une grande machine bien huilée, dont tous les rouages fonctionnaient à merveille.

Lorsqu’il venait dans les ateliers et que les surveillants se mettaient au garde-à-vous pendant que les condamnés se levaient dès que le commandement de : « Fixe ! » avait retenti, aussitôt il disait : « Asseyez-vous ! ». Et il passait, rapide et l’air préoccupé, sans jamais s’arrêter.

(A suivre.)

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