Un médecin au bagne enfin réédité !


Il est écrit que 2020 ne sera pas seulement une année marquée par l’urgence sanitaire. Le Jacoblog aime à y voir aussi une année de publications, et donc d’enrichissement de la connaissance sur le bagne. Le Matricules de Philippe Collin aux éditions Orphie nous rappelle combien le fagot fut aussi un homme tandis que les extraits des lettres d’Alexandre Jacob publiées une 1e fois à L’Insomniaque en 2000 puis réédités et enrichis par les éditions de La Pigne nous révèlent par les yeux du matricule 34777 l’Extermination à la française prévalant dans les camps de travail forcés de Guyane. Nous l’attendions depuis fort longtemps et les éditions Nada l’ont fait. La réédition de l’inestimable ouvrage du Dr Louis Rousseau (1879-1969) est devenue réalité et c’est peu dire que la mémoire du Médecin au bagne met en lumière tout un système éliminatoire qui broya, entre 1852 et 1953, la vie de plus de 70 000 Hommes punis.

Le témoignage sur l’enfer carcéral et colonial est glaçant. Ce n’est pas vraiment un témoignage ; c’est une démonstration scientifique et empirique à charge, largement au-dessus de n’importe quel scoop de journaliste venu s’encanailler et chercher émotions fortes outre-Atlantique à la suite des écrits d’Albert Londres en 1923. L’humanisme exacerbé de Louis Rousseau ne pouvait manquer de s’émouvoir face aux sinistres cachots de Saint Joseph, face à la violence institutionnelle des règlements rabaissant l’individu au niveau du rouage interchangeable ; face à la violence d’un chaouch aviné, prévaricateur et illettré et, surtout, trouvant dans le fagot un être taillable et corvéable à merci, largement inférieur à lui et à l’esclave dont on a aboli la condition en 1848.

Le livre, monument de l’historiographie carcérale, marque par son rigorisme et un style que d’aucuns pourraient trouver froid, là où le médecin se fait en réalité précis et démonstratif. Sa plume s’ancre dans la réalité carcérale. Louis Rousseau a officié presque deux années aux îles du Salut de 1920 à 1922 et, avec l’aide de l’honnête bagnard Jacob, a pu réaliser son projet. Implacable, il prouve par une multitude de détails et anecdotes que les éditions Nada ont pris la peine de vérifier dans divers services d’archives (Nationales, Outre-Mer, Défense, etc…) l’échec des pratiques pénitentiaires et coloniales françaises, la volonté de faire disparaître le délinquant et le criminel à plus de 7000 km de la métropole.

Le livre s’accompagne d’un appareil critique inédit et d’une abondante iconographie. Les hommes punis, un médecin au bagne n’est désormais plus introuvable et donc, à portée de toutes les bourses. Le titre fait référence à l’ouvrage de Marius Larique, la première de couverture est un hommage à celui de Charles Péan, Conquêtes en Terre de bagne. Cette réédition, dédiée à la mémoire de Pierre Rousseau (un des petits fils de Louis Rousseau) sans qui rien n’aurait été possible, fait incontestablement date parce qu’à la différence des divagations d’un Henri Charrière, des cris de souffrance d’un Jacob Law, des souvenirs de tant de condamnés, elle nous donne à voir une organisation systémique de l’élimination. À lire de toute urgence et sans prescription médicale. Bienvenue chez Les hommes punis.

 

Louis Rousseau

Les hommes punis, un médecin au bagne

Éditions Nada

368 p., octobre 2020

Préface : Jean-Marc Delpech et Philippe Collin

20€

Chez tous les bons libraires indépendants mais aussi sur le site des éditions de La Pigne

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