Le casse de Soissons


Les trois vols commis à Soissons s’inscrivent fort probablement dans des tournées vers l’Est qui pourraient aller jusqu’à Reims avant de rejoindre la capitale. Pour autant, ils ne figurent pas parmi les plus fructueux larcins à mettre à l’actif des Travailleurs de la Nuit. De la sorte, les maraudeurs ne s’emparent en 1903 que d’un fusil de chasse et de vêtements chez Mme Adam, de l’argenterie, quelques billets et titres chez M. Bahin. Les cuillères dérobées un an et demi plus tôt par Ferrand chez M. Balland  mettent par contre en lumière le rôle tenu à Paris par le fondeur François Brunus (né le 8 novembre 1864 à Anost, Saône-et-Loire). Son établissement, sis au 15 de la rue Michel le Comte, accueille fréquemment les illégalistes, parfois lourdement chargés (72 kg d’argenterie pris chez Mme de Frézals à Compiègnes par exemple le 11 février 1903). Le vol est indissociable du recel. Dans bien des cas, le voleur ne peut faire valoir l’importance de la prise de risque. Qu’il contrôle la phase de recel en organisant une sorte de concentration économique verticale, il augmente alors de manière exponentielle sa marge bénéficiaire. François Brunus n’est en réalité qu’un prête-nom œuvrant pour le compte de Jacob. Instructions et directives sont données au café Deleplace, peu éloigné de son atelier et, écrit Alain Sergent dans un Anarchiste de la Belle Epoque (1950), « lorsque la fonderie B… recevait l’Argus où les objets volés étaient décrits minutieusement, ceux-ci venaient d’y être transformés en lingots ». Il ne reste plus alors à Brunus qu’à déposer le métal précieux en banque ou dans diverses maisons de commerce. Le 1er novembre 1903, le juge d’instruction Hatté soupçonne l’existence de fortes ventes d’or et d’argent faites par ce dernier au Comptoir Lyon Allemand et à la maison Pouzet. On lui reproche aussi à l’occasion du procès d’Amiens en 1905 d’avoir brûlé un de ses livres de compte et d’avoir retrouvé chez lui quelques-unes des cuillères provenant du casse de Soisson.

Archives de la Préfecture de police de Paris, EA/89 : dossier de presse « La bande sinistre et ses exploits »

3e audience, 10 mars 1905

Vol à Soissons

M. Balland, alors capitaine à Dijon, possédait à Soissons une maison qui n’était pas habitée et dont la garde était confiée à un horloger. Ce dernier s’apercevait, le 16 octobre 1901, que des malfaiteurs s’étaient introduits dans cette maison en escaladant une grille et en fracturant la porte d’entrée donnant sur le jardin.

Une montre en or, deux tasses en métal argenté, un écrin contenant six petites cuillers en argent avaient été dérobés. Ferrand a avoué être l’un des auteurs de ce vol. Les cuillers ont été retrouvées chez Brunus, le receleur de la bande.

M. Balland dépose sur le vol dont il fut victime. On lui présente des cuillers, qu’il reconnaît pour siennes.

Ferrand renouvelle ses aveux. Il déclare que pour commettre le vol il était seul.

Brunus est amené au milieu de la salle d’audience. M. le président l’interroge.

Une perquisition a été faite chez lui et l’on a retrouvé trois cuillers à son domicile provenant du vol de Soissons :

–          Expliquez-vous, demande M. le président.

–          J’achetais tous les ans plus de douze cents cuillers semblables. Si j’avais su qu’elles étaient volées, je ne les aurais pas achetées.

–          Vous fondiez tous les bijoux volés par la bande.

Me Bergounioux, défenseur de Brunus, intervient.

–          Permettez-moi de vous faire remarquer, M. le président, que vous avancez un fait qui n’est pas démontré.

–          Nous vous le démontrerons.

–          Il faudrait commencer par là.

–          Je ne puis réunir MM. les jurés avant l’audience. Nous sommes en train d’essayer à faire la lumière.

Me Bergounioux veut insister.

–          Je vous en prie, fait remarquer M.Wehekind, vous êtes ici en province. Ne prenez pas les habitudes parisiennes.

Brunus, à nouveau, proteste de son innocence. Il a acheté les cuillers dans un lot.

–          Je ne suis pas marchand de marrons, fait-il.

Sur question de Me Bergounioux, Ferrand déclare qu’il ne connaît pas Brunus. On passe au deuxième vol inscrit au programme des débats de cette audience.

4e audience, 11 mars 1905

Vols à Soissons

Dans la nuit du 1er au 2 janvier, en l’absence de Mme Adam qui se trouvait momentanément à Dreux, des malfaiteurs s’introduisirent dans son domicile, rue Saint-Rémy, 4, en fracturant la porte d’entrée.

Toutes les pièces de la maison et tous les meubles furent visités. Les voleurs n’eurent pas à commettre d’effraction à l’intérieur, pour la raison que les clefs étaient sur toutes les serrures.

Cependant dans la salle à manger, un tiroir qui était fermé fut ouvert à l’aide d’une fausse clef et au premier étage une boîte en fer blanc qui se trouvait dans une armoire à glace fut fracturée.

Mme Adam, avant son départ, avait eu la précaution de déposer ce qu’elle avait de précieux dans une banque de Soissons. De sorte que les voleurs ne trouvèrent que des objets de peu de valeur : un fusil de chasse, des vêtements d’homme, une pèlerine en caoutchouc. Pèlerine que le gendre de Mme Adam reconnut comme lui appartenant et étant celle qui avait été dérobée   chez sa belle-mère.

Dans les premiers jours de janvier 1903 pendant l’absence de M. Bahin, dont la maison sise à Soissons, rue Gambetta était inhabitée, des malfaiteurs, à l’aide d’une forte pesée, parvinrent à arracher la gâche de la porte d’entrée et à pénétrer à l’intérieur. Ils parcoururent les diverses pièces sans essayer de forcer les meubles tous fermés à clef et s’arrêtèrent dans la chambre à coucher de M. Bahin située au premier étage où se trouvait le coffre-fort.

Après avoir jeté à terre un des matelas du lit, ils le couchèrent dessus et parvinrent à en fracturer la serrure.

Avant de quitter la maison de M. Bahin, les malfaiteurs prirent dans la cuisine un pot de confitures qu’ils mangèrent sur place. Dans le coffre-fort se trouvaient de l’argenterie, des bijoux, 3 billets de banque de 100 francs, une pièce de 40 francs en or, 25 obligations à lots Panama, 2 actions de la Bourse agricole de Soissons et une action de la Société des pailles et fourrages de l’Aisne.

Jacob s’est reconnu l’un des auteurs de ce vol.

Les victimes de ces deux cambriolages sont entendues.

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