Une académie de cambrioleurs


Le 17 août 2014, le blog de l’Amicale des Amateurs de Nids A Poussière (l’ADANAP) qui met en lignes revues, vieux papiers, journaux, ouvrages anciens ou récents, qui s’empilent un peu partout, présentait un article fort intéressant issu du numéro 336 de La Vie Illustrée en date du 24 mars 1905. La revue est donc publiée deux jours après la clôture du procès des bandits d’Abbeville. Nous nous la sommes procurée. Le titre du papier, signé Jean Syrval, donne en soi la mesure de ce que l’on peut y trouver : une académie de cambrioleur.

Si le texte en lui-même n’innove pas fondamentalement, il n’en est pas moins symptomatique du traitement médiatique du procès d’Amiens. C’est un évènement largement couvert où Jacob tient la vedette parmi un nombre impressionnant d’accusés – les 40 voleurs ! – et où l’anarchisme semble bien évidemment n’être qu’une façade facétieuse même si, signale le journal pour impressionner son lectorat, les jurés ont reçu des lettres de menace.

Les photographies nous paraissent en revanche exceptionnelles. On en retrouve quelques-unes (les portraits de Jacob, Apport et Ader, Pélissard et Baudy) dans Le Monde Illustré évoquant lui aussi le procès d’Amiens. Nous pouvons alors voir Jacob fixant l’objectif du photographe. Le regard dur de l’illégaliste semble annoncer le spectacle qu’il va donner au palais de justice. L’homme sait qu’il est attendu et compte bien se défendre. Il doit se rendre compte de l’attention médiatique porté à l’affaire. C’est ce qui explique certainement la remarque qu’il fait à la fin de la 1e audience le 08 mars : En traversant la double haie de soldats qui garnit le couloir du palais de justice, un des accusés, que nous croyons être Jacob, s’écrie : « Comment, vous ne portez pas les armes ! Vous ne rendez pas les honneurs à des célébrités comme nous ! »[1]

Un deuxième cliché montre Jacob sortant de son fourgon cellulaire entouré de sa garde d’honneur ! Nous pouvons en effet distinguer une petite dizaine de gendarmes à la descente de l’anarchiste. Viennent ensuite les portraits de quelques accusés dont la psychologie – nous dit le journal – se manifeste devant l’objectif. Il y aurait ainsi ceux qui regrettent : Apport et Ader ; celui qui s’en moque : Pélissard ; celui qui s’en vante : Baudy. Bour tiendrait le second rôle de cette comédie dramatique marquée de présences féminines : Marie Jacob la mère et Rose Roux l’amie de Jacob.

Trois autres photographies méritent enfin un regard des plus attentifs. La première a été prise à l’intérieur du palais de justice d’Amiens. C’est la salle d’audience. Elle est comble, pleine à craquer. Au centre trône le Président Wehekind. Le banc des accusés, à sa droite, est solidement gardé par une horde gendarmesque. Un homme se tient debout semblant répondre à une question du tribunal. Est-ce Jacob ?

Un autre cliché montre une des trois tables des pièces à conviction. On aperçoit les « contrebasses », les mallettes des cambrioleurs anarchistes. C’est à ce jour la seule image connue des outils de la reprise jacobienne.

La dernière image est celle qui a retenu le plus notre attention car elle prouve que Jacob n’était pas le seul à écrire : première page d’un manuscrit de Pélissard, le littérateur de la bande (Pélissard qui a écrit ses mémoires, fut, autrefois, attaché àdes journaux libertaires). Léon Pélissard a donc laissé, outre quelques chansons (dont certaines sont dans les Ecrits de Jacob et dans le Jacoblog), un manuscrit intitulé Les mémoires d’un cambrioleur dont la première de couverture est ornementée de quatre sympathiques dessins assortis d’exergues. Sous la pince monseigneur, nous pouvons lire : donnez-moi un point d’appui et je soulèverais le monde – Archimède ; sous le vilebrequin signe cabalistique cauchemar des coffretiers ; sous le trousseau de clés il n’y a pas que la politesse qui ouvre toutes les portes – L. Pélisard ; sous la lampe la lumière fut créée pour les ténèbres.

On sait par les archives départementales des Charentes Maritimes que Pélissard avait confié ses papiers à son défenseur, Me Becquet (ou Pecquet) d’Amiens. Peut-être dorment-ils encore, poussiéreux au fond de la cave d’un bureau d’avocat ou dans le rayonnage d’un service d’archives ? On peut toujours espérer mettre la main, un jour, sur ces souvenirs qui permettraient peut-être alors de combler certains manques dans la connaissance de l’illégalisme des Travailleurs de la Nuit. Car ceux-là ne constituèrent pas, contrairement à ce que montre cet article de La Vie Illustrée, une simple et vulgaire académie de cambrioleurs !

La Vie illustrée

N°336, 24 mars 1905

Une académie de cambrioleurs

Depuis de longs jours, il n’est question dans les journaux que de ce procès d’Amiens qui met en présence des jurés une bande de quarante cambrioleurs et assassins. Ce procès, déjà sensationnel par lui-même, est devenu des plus reten­tissants par suite de la présence au banc des accusés d’un certain Jacob, Cartouche moderne, qui, peu ému par l’appareil judiciaire, s’est livré à des manifestations oratoires vraiment inattendues. Jacob est évidemment un premier rôle de mélodrame. Il parade, il gesticule, il plaisante, il maudit, il tient tête avec un aplomb extraordi­naire au président des assises et au minis­tère public.

Mais racontons briè­vement l’histoire de cette académie de cam­brioleurs qui laissera, certes, une trace dans notre histoire judi­ciaire.

Dans la nuit du 21 au 22 avril 1903 – vous voyez, cela com­mence comme un ro­man-feuilleton – trois individus étaient surpris, à Abbeville, au moment où ils pénétraient chez Mme Tilloley. Ces inconnus parvinrent à s’enfuir, mais au moment où, à la gare, ils prenaient des billets pour Paris, ils sont rejoints par le brigadier Anquier et l’agent Léonard Pruvost. Un drame se passe… Les malfaiteurs tuent l’agent Pruvost, blessent le brigadier Anquier et disparaissent.

L’enquête ouverte démontre bientôt que le trio criminel est composé de Jacob, Pélissard et Bour. Les deux premiers sont bientôt arrêtés : le troisième ne tarde pas à les rejoindre en prison. La mère et la maîtresse de Jacob qui habitaient avec ce dernier furent arrêtées en même temps que Bour qui ne tarda pas à entrer dans la voie des aveux. C’est ainsi que fut découverte l’existence d’une véritable bande de malfaiteurs organisée pour le pillage.

Cette bande comprenait des « opérateurs », des receleurs, des fabri­cants d’outils, des fon­deurs d’or et d’argent. Tous n’ont pu être retrouvés, les accusés, à l’exception de Bour, ayant toujours refusé de faire connaître leurs complices. L’identité véritable de plusieurs des accusés et de plusieurs autres individus soupçonnés n’a jamais pu être éta­blie.

L’instruction, lon­gue, difficile et pour­tant activement menée, dura dix-huit mois. Le 24 novembre 1904, un arrêt de la Chambre des mises en accusations renvoyait devant les assises de la Somme vingt-huit accusés, dont cinq avaient pris la fuite.

La bande n’avait pas d’indicateurs spéciaux. Ses meilleurs indica­teurs étaient les journaux mondains. Elle opérait principalement dans les églises et dans les châteaux et villas. Dès qu’un déplacement était signalé par un journal, un mem­bre de la bande partait en éclaireur.

Il s’enquérait discrètement et habile­ment de l’importance que pouvait avoir « l’opération ». Il plaçait dans les jointures des portes des maisons ce que les bandits appelaient leurs scellés et qui consistaient en des feuilles de papier à cigarettes plissées. Si les feuilles étaient encore en place le lendemain, une dépêche dont le texte était convenu d’avance appelait ceux qui devaient pratiquer le cam­briolage. Dès que celui-ci était com­mis ils disparaissaient sans que sou­vent personne ne les ait aperçus.

D’innombrables vols ont été ainsi commis. Jacob, à lui seul, n’a pas avoué moins de cent six vols quali­fiés, dont quelques-uns suivis d’incen­die et de tentatives de meurtre. Le vol le plus important est celui qui a été commis au préjudice de la cathé­drale de Tours : les cambrioleurs emportèrent notamment des tapisse­ries du XVIIe siècle d’une valeur déplus de 200.000 francs.

La bande possédait, raconte le Progrès de la Somme, des outils merveilleux, d’une puissance considérable, Jacob, Pélissard et Bour, en s’enfuyant de Pont-Remy, durent abandonner une valise. Celle-ci ren­fermait une trousse de cambriolage des plus perfectionnées. Tous les outils s’adaptaient sur la même poi­gnée. Ils sont placés sur une gar­niture de velours.

Tel levier a une force de 2.500 kilos La trousse comprend deux lampes électriques, dont l’une d’une puis­sance d’éclairage considérable. Cette trousse n’est pas évaluée à moins de 10.000 francs. Avec de semblables outils, la bande a accompli des tours de force prodigieux. Un jour, l’un des affiliés louait rue Quincampoix, au 5e étage d’une maison, un apparte­ment, y faisait installer quelques meubles. Quelques jours plus tard, à l’aide de complices, il perforait le plancher et les malfaiteurs s’intro­duisaient chez M. Bourdin, bijoutier. Ils en emportaient pour 200.000 francs de bijoux et de valeurs.

Nous ne pouvons nous attarder à donner la biographie personnelle de ces accusés qui sont presque tous des repris de justice. Le plus pittoresque de ces chenapans est Jacob… Ce Jacob se prétend’ anarchiste et déclare, avec une éloquence cynique, que s’il a volé c’est en manière de protestation contre les « iniquités sociales ». Jacob a débuté dans la carrière du vol à l’âge de 20 ans. Il se présenta un jour, accom­pagné d’un complice, chez un commissionnaire du Mont-de-Piété, à Toulon. Les deux acolytes se firent passer pour le commissaire de police et pour son secrétaire ; et, sous prétexte de perqui­sition, se firent remettre de nombreux bijoux et valeurs. Arrêté, Jacob simula la folie.

Jacob s’est montré, à l’audience, d’une insolence rare…

Le premier jour, il posa cette question :

–          Pardon, monsieur le Président, est-ce que tous les jurés savent lire et écrire?

–          Mais, je le suppose…

Et Jacob de s’écrier, triomphalement :

–          Je constate que vous n’en êtes pas certain !

A un témoin qui se plaignait d’avoir été cambriolé, Jacob déclare avec ironie :

–          Oui, je vous ai volé, entre autres choses, un mouchoir de poche d’une valeur de deux cent cinquante francs… Un mouchoir de deux cent cinquante francs ! N’est-ce pas une insulte à la misère !

Jacob a donné lecture de factums contre le clergé, l’armée, l’aristocratie, etc… A la suite d’un incident tumultueux entre le Président et la défense, cet accusé a dû être expulsé avec certains de ses complices… C’est en son absence que les plaidoiries ont été prononcées.

Ajoutons que les jurés ont reçu des lettres où des anarchistes anonymes les menacent de représailles sur les personnes de leurs femmes et enfants.

Pauvres jurés ! Mais Jacob ne s’est-il pas suffisamment vengé en les obligeant à siéger pendant tant d’audiences !

(Photographie Hacquart)

JEAN SYRVAL.


[1] Archives Préfecture de Police de Paris, EA/89 : dossier de presse « La bande sinistre et ses exploits »

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3 commentaires pour “Une académie de cambrioleurs”

  1. MAROCHON dit :

    Salut les Aminches ,

    Jacob le roi de la  » Plume  » comme moi !

  2. Luce dit :

    Merci pour le lien, mais surtout, merci pour l’article et les photos commentées ! L’info a été ajoutée aussitôt. CL

  3. JMD dit :

    en fait, c’était surtout à nous de saluer cette belle trouvaille qu’a faite l’ADANAP !

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