Vingt-six questions à … Jacques Derouard


En 2004 Arsène Lupin devenait centenaire. Pour l’occasion, le magazine L’Express offrait à ses lecteurs une longue interview de Jacques Derouard, grand spécialiste du gentleman cambrioleur et de son créateur. Si ce physicien, né à Laval en 1953, enseignant chercheur à l’université de Grenoble I, connaît son lupinien sujet sur le bout d’une pince-monseigneur, force est de constater qu’en revanche sa maitrise du fait libertaire n’est pas des plus précises. Pour l’auteur de Maurice Leblanc Arsène Lupin malgrè lui (Séguier, 1993) et du Dictionnaire Arsène Lupin (Encrage / Belles Lettres, 2001), considère par exemple le romancier normand comme un sympathisant anarchiste assez violent à ses débuts avant de devenir plutôt cocardier, si ce n’est franchement nationaliste. Par effet de mimétisme, le voleur de papier suivait le même chemin. Lupin anarchiste ? Il ne dépouillerait en effet selon Derouard que d’arrogants nobliaux ou de vils bourgeois. Mais l’argent volé est-il redistribué ? Bien évidemment, nous pouvons penser cette analyse facile, rapide et simpliste. Pour autant le propos du biographe de Leblanc mérite amplement d’être relayé. D’abord parce qu’il nous éclaire sur la naissance d’un héros littéraire et nous explique la geste lupinienne, ensuite parce qu’il nie la lupinose et donc toute ressemblance même fortuite un honnête cambrioleur, bien réel et pratiquant le vol à des fins révolutionnaire.

L’Express

01 septembre 2004

Comment est né le vrai, l’unique Arsène Lupin

Par François Busnel (Lire), Philippe Delaroche (Lire),

publié le 01/09/2004

Jacques Derouard, le biographe de Maurice Leblanc et le coéditeur d’Arsène Lupin, décrypte le mythe.

1)      Comment est né Arsène Lupin?

Il y a tout juste cent ans, en 1904, Maurice Leblanc publie dans le journal L’Auto un conte intitulé Un gentleman. Le gentleman en question était un voleur d’automobiles… Leblanc ne le sait pas encore, mais il tient là le personnage d’Arsène Lupin. En effet, l’année suivante, le journaliste Pierre Lafitte, éditeur plein d’invention, lance un nouveau magazine intitulé Je sais tout et fait appel à son ami Maurice Leblanc qu’il charge d’écrire un feuilleton populaire et d’inventer un personnage. L’arrestation d’Arsène Lupin paraît en juillet 1905. Le succès est immédiat. Il faut dire que Pierre Lafitte possède un génie commercial rare : dès 1907, il utilise abondamment la publicité, ce qui ne se faisait pas du tout à l’époque et ne sera popularisé, pour les livres, qu’après la guerre de 14-18 par l’éditeur Bernard Grasset.

2)      Pourquoi s’agit-il d’un cambrioleur plutôt que d’un détective?
A l’époque, le cambriolage était un fait social nouveau et dont on parlait énormément: c’est la Belle Epoque, celle du triomphe de la bourgeoisie, des maisons riches remplies d’objets de valeur à dérober… Fini le temps des bandits de grand chemin qui ne pouvaient pénétrer dans les belles demeures trop bien gardées. Au début du XXe siècle, des phénomènes nouveaux apparaissent: l’usage des chèques, les appartements inoccupés… Les cambriolages se sont donc considérablement développés. C’est d’ailleurs à cette époque que le mot fait son apparition dans le dictionnaire Larousse ! Dans les journaux, on parle déjà des «gentilshommes cambrioleurs» … Mais l’expression «gentleman cambrioleur» est une invention de Maurice Leblanc qu’il calque sur «gentleman farmer» : il met le terme à la mode car il y avait une véritable passion, en ces années-là, pour tout ce qui venait d’Angleterre.

3)      D’où vient ce nom, Arsène Lupin?
Maurice Leblanc a sans doute été influencé, inconsciemment, par un conseiller municipal de Paris qui s’appelait Arsène Lopin. La légende veut même que le premier nom du gentleman cambrioleur ait été Arsène Lopin et que, après protestation de l’intéressé, il se soit transformé en Lupin. Mais il faut insister sur ce fait : Leblanc ne s’attendait pas du tout au succès de Lupin ; lorsqu’il écrit sa première aventure, il ignore qu’il en écrira d’autres. C’était une commande, rien de plus.

4)      Arsène Lupin a-t-il vraiment existé?
C’est une question qui peut finir par troubler les lecteurs les plus attentifs de l’œuvre. Tout se passe comme si Arsène Lupin avait réellement existé et Francis Lacassin a même réussi à dresser la biographie d’Arsène Lupin : on sait qu’il est né en 1874, à Blois[1]. Le génie de Maurice Leblanc, c’est d’avoir réussi à faire croire qu’Arsène Lupin existait puisque ses premières aventures, parues sous forme de nouvelles, sont présentées comme ne pouvant être racontées au public que grâce aux confidences faites par Arsène Lupin à Maurice Leblanc. Quant au tout premier épisode, L’arrestation d’Arsène Lupin, il présente un procédé très particulier et, à l’époque, inédit: le coupable est le narrateur, Arsène Lupin. Cette idée géniale sera reprise plus tard par Agatha Christie dans Le meurtre de Roger Ackroyd, mais c’est une invention signée Leblanc. « C’est ainsi qu’un soir d’hiver Arsène Lupin m’a raconté cette aventure… » : voilà comment Maurice Leblanc présente les choses. Comme s’il était le confident de Lupin. Cela donne une épaisseur considérable au personnage.

5)      Qui était Maurice Leblanc?

En soixante-dix-sept ans, Maurice Leblanc a beaucoup changé. Dans sa jeunesse, c’était un homme que passionnaient les sports, l’aventure et les voyages. Puis il y eut la guerre de 14-18 et il devint un monsieur aux habitudes très régulières, menant une vie calme. Il a suivi l’évolution de son temps : après avoir été un sympathisant anarchiste assez violent, il est devenu un bourgeois plutôt cocardier – comme beaucoup d’autres écrivains : Mallarmé, Barrès… Mais il y a une constante dans son caractère : la discrétion. Il fut très surpris du succès des aventures d’Arsène Lupin, ne se l’est jamais vraiment expliqué et n’en est jamais revenu non plus. Il a vécu malgré lui dans l’ombre de sa créature. Il a fallu attendre la fin de sa vie, dans les années 1930, pour qu’il ressente une certaine fierté : il ne se passait alors pas une semaine sans qu’on lui demande des droits de reproduction, de traduction, d’adaptation… Il fut obligé de convenir qu’il avait créé une œuvre qui possédait une certaine valeur !

6)      Quelle fut l’influence des deux autres grands Normands de l’époque, Flaubert et Maupassant ?
J.D.
Elle fut considérable ! Flaubert était né à Rouen, comme lui, et sa jeunesse fut bercée par l’existence de Flaubert. Leblanc fit croire qu’il le connaissait, ça faisait chic. Commencer dans les lettres avec un tel parrainage ne pouvait être que valorisant. La vérité est tout autre : un petit-cousin de Flaubert avait épousé une grand-tante de Leblanc ! Il n’avait qu’une quinzaine d’années lorsque mourut Flaubert. Quant à Maupassant, Leblanc a prétendu que ce dernier l’avait aidé, mais c’est très peu vraisemblable. Leblanc avait, comme tous les jeunes gens de l’époque, une admiration sans bornes pour Maupassant. Et ses premiers contes portent, dans leur écriture, la marque du maître.

7)      Fut-il également influencé par les romanciers populaires de l’époque: Jules Verne, Michel Zévaco, Eugène Sue…?
J.D.
Non, pas du tout. Il les considérait même avec un certain mépris. Jusqu’à la création d’Arsène Lupin, Leblanc ne lisait que les «grands», Flaubert et Maupassant en tête, à qui il rêvait de ressembler. D’ailleurs, le style des premières aventures d’Arsène Lupin n’a rien de populaire : il est, au contraire, très travaillé, extrêmement littéraire, beaucoup plus proche de celui des académiciens de l’époque qui collaboraient également à Je sais tout. Arsène Lupin ne devient populaire, dans son écriture comme dans son succès, qu’au bout de cinq ans, en 1910, lorsque 813 paraît en feuilleton en première page du Journal. Mais à la différence des grands feuilletonistes connus pour écrire au jour le jour, Leblanc donnait au Journal un manuscrit terminé, retravaillé.

8)      En quoi adopte-t-il le ton du roman populaire ?
J.D.
Moins dans le style que dans les thèmes : les pauvres orphelines, les personnages à la fois ange et démon, les souterrains secrets, les égouts dont on reste prisonnier… Ce sera le cas ensuite avec Le bouchon de cristal, chef-d’œuvre sur lequel plane l’ombre de la guillotine et qui présente un meurtre que la police cherche à venger.

9)      Maurice Leblanc fut-il affecté par la Première Guerre mondiale ?
J.D.
Comme beaucoup d’écrivains, il fut profondément marqué par les horreurs de cette guerre. Les romans qu’il écrit pendant cette période sont beaucoup plus noirs que les précédents, rappelant les romans noirs anglais. L’île aux trente cercueils, par exemple, est un roman d’épouvante à l’atmosphère étouffante.

10)  Comment Maurice Leblanc a-t-il vécu le succès d’Arsène Lupin ?
J.D.
Ce fut assez terrible pour lui. Car il rêvait d’entrer à l’Académie française, d’être le nouveau Maupassant ou l’égal de Paul Bourget. Leblanc a dit à plusieurs reprises avoir ressenti une impression de déchéance en écrivant les aventures d’Arsène Lupin : il devenait un romancier populaire, or ces derniers gagnaient certes très bien leur vie (ce qui est tout de même un avantage) mais n’étaient pas bien considérés dans les milieux littéraires. Pour compenser cela, Leblanc devint membre de la Société des gens de lettres. Cela lui procura une certaine notoriété dans le milieu. Il chercha jusqu’à la fin de ses jours à gagner la célébrité en dehors d’Arsène Lupin. Mais Maurice Leblanc était devenu celui qui ne vivait plus qu’avec son personnage. Il n’était pas rare qu’il signât Arsène Lupin dans le livre d’or d’un restaurant.

11)  Comment a-t-il vécu la popularité et la notoriété de son beau-frère, Maurice Maeterlinck, Prix Nobel de littérature ?
J.D.
De son vivant, Maeterlinck était considéré comme un auteur classique, un immense poète. Cela peut surprendre, aujourd’hui. Personnellement, je trouve les écrits de Maeterlinck totalement illisibles. Mais il fut très proche de Leblanc, en effet, qui l’admirait et aurait volontiers échangé leurs places.

12)  Cette amertume peut-elle s’expliquer par un problème plus profond ? Vous révélez dans votre biographie que Leblanc souffrait de neurasthénie…
J.D.
Oui, la neurasthénie était la maladie à la mode, semble-t-il, et l’on sait qu’elle toucha beaucoup d’écrivains. Maurice Leblanc avait sans doute une prédisposition à ce genre de souffrance, mais le succès de Lupin, qu’il n’avait pas désiré, et les échecs répétés de ses autres écrits, qu’il jugeait bien meilleurs et plus personnels, l’ont rendu malade. Cela s’est déclenché dans les toutes premières années du XXe siècle, après la publication de ce beau roman qu’est L’enthousiasme, très autobiographique, accueilli dans une indifférence générale et vite oublié. Et puis, il y eut son divorce, les obstacles à son remariage… Tout cela explique en partie ses difficultés. L’amour était pour lui d’une importance capitale. A l’époque de son premier mariage, il envoie une lettre à l’un de ses amis dans laquelle il lui confie qu’il a six femmes à la fois. Ce qui supposait un emploi du temps cadré et une sacrée santé! Maurice Leblanc était un coureur de jupons, comme Arsène Lupin, d’ailleurs, même si la morale de l’époque n’a pas permis qu’il développe le sujet.

13)  Qu’est-ce à dire? Quels sont les rapports d’Arsène Lupin avec les femmes ?
J.D.
Ils sont assez bizarres. Et pour une raison toute bête et très matérielle. Maurice Leblanc était enchaîné, par contrat, aux éditions Lafitte puis, plus tard, aux éditions Hachette (qui avaient racheté le fonds de Lafitte). Or ces deux éditeurs furent intransigeants sur un point : leurs publications devaient pouvoir être mises entre toutes les mains. Il se trouve que Maurice Leblanc, avant d’imaginer les aventures d’Arsène Lupin, avait publié beaucoup d’œuvres un peu osées. C’était la mode, à l’époque. Dans sa jeunesse, il avait donné, notamment, quelques contes licencieux à la revue Gil Blas. Il aurait voulu imprimer aux aventures d’Arsène Lupin un caractère un peu érotique. Lafitte puis Hachette s’y opposèrent fermement ; ce qui le chagrina beaucoup. A trois reprises, Hachette refusa des recueils de contes mettant en scène Arsène Lupin parce qu’il ne les jugeait pas convenables.

14)  Arsène Lupin a donc été censuré ?
J.D.
Non, pas vraiment. L’éditeur a juste demandé à Leblanc de gommer les passages les plus osés. Leblanc a continué, jusqu’à la fin, à écrire des contes érotiques qu’il publia chez Flammarion.

15)  Si Arsène Lupin gênait tellement Maurice Leblanc, pourquoi ce dernier ne l’a-t-il pas tué, tout simplement ?
J.D.
Mais beaucoup d’aventures se terminent comme si elles étaient les dernières : la fin de L’Aiguille creuse, celles de 813, du Bouchon de cristal ou des Dents du tigre montrent un Arsène Lupin bien décidé à prendre sa retraite. Mais Leblanc a dû le ressusciter à chaque fois pour des questions d’argent ! C’était ce qui se vendait le mieux. Ses lettres à son éditeur, Hachette, montrent à quel point il tentait de faire pression sur lui pour qu’il y ait davantage de publicité et de mise en place.

16)  Arsène Lupin a-t-il évolué au fil du temps ?
J.D.
L’évolution d’Arsène Lupin suit celle de Maurice Leblanc. On retrouve, dans les premières nouvelles, les sympathies anarchistes de Leblanc, mais elles disparaissent dans les romans écrits pendant la Grande Guerre où Lupin devient lui-même très patriote et, parfois, franchement anti-Boches. Surtout, Arsène Lupin cesse peu à peu d’être cambrioleur pour devenir détective.

17)  Comment expliquez-vous ce virage ?
J.D.
Avec Arsène Lupin, Maurice Leblanc réalise un tour de force dont il faut prendre toute la mesure : il parvient à nous intéresser à une intrigue policière dont le nom du coupable est connu d’avance. Le coupable, c’est lui, Arsène Lupin. La plupart des romans policiers fonctionnent sur le mode inverse: un délit est commis et l’intérêt du roman tient dans la recherche du coupable. Arsène Lupin ne pouvait donc pas éternellement rester un cambrioleur : il n’est plus celui qui cambriole mais celui qui cherche ceux qui ont commis quelque forfaiture. Il devient le défenseur de la veuve et de l’orphelin. Ce changement correspond aussi au changement de mentalité de l’entre-deux-guerres.

18)  Lupin s’embourgeoise-t-il, comme ce fut le cas de Leblanc ?
J.D.
Eh oui ! Avec le temps, le gentleman cambrioleur devient lui-même un bourgeois dans la mesure où il ne songe plus du tout à cambrioler. Il est très attaché à ses biens. A la fin des Dents du tigre, il se retire dans sa propriété pour cultiver tranquillement ses fleurs et profiter de ses richesses. Au point que dans ses dernières aventures, il est devenu un personnage que les jeunes filles en difficulté viennent chercher pour les délivrer de ceux qui leur veulent du mal.

19)  Arsène Lupin est-il un anarchiste ?
J.D.
Oui, au début de sa carrière. Arsène Lupin commet son premier cambriolage à l’âge de sept ans: il reprend aux Dreux-Soubise le collier de la reine. Ces nobles exploitaient honteusement sa mère, qui était femme de ménage chez eux. Il se montre déjà résolument anarchiste puisqu’il vole des riches qui se montrent impitoyables envers les pauvres. On a pu prétendre qu’Arsène Lupin avait été imaginé d’après le personnage, bien réel, de Marius Jacob, anarchiste très célèbre au début du XXe siècle, qui fut condamné au bagne en mars 1905. C’est totalement faux. Leblanc n’a fait que rencontrer l’esprit de son époque, résolument favorable à l’anarchisme.

20)  En quoi est-il un dandy ?
J.D.
Les anarchistes des années 1890-1900 étaient également des dandys dans leur tenue vestimentaire. Chapeau haut de forme, canne… Aujourd’hui, cela peut surprendre, mais à l’époque les deux attitudes étaient profondément liées. L’anarchisme était un moyen d’affirmer sa supériorité sur la société. Mais Lupin l’anarchiste n’en a pas moins une certaine sympathie pour l’aristocratie.

21)  Arsène Lupin n’est pas un aristocrate !
J.D.
Non, en effet. Il est d’origine roturière. Mais il rêve de particule: lorsqu’il se choisit un pseudonyme, c’est toujours avec une particule. Si l’on se livrait à une psychanalyse, on s’apercevrait que tout est parti de l’humiliation qu’il a connue, enfant, lorsqu’il vit les Dreux-Soubise humilier sa mère devenue femme de ménage. Il faut ajouter que les riches auxquels s’en prend Arsène Lupin ne sont pas de véritables aristocrates: ce sont des barons sans particule, dont le titre est sujet à caution.

22)  Peut-on retrouver la trace de cette humiliation dans les secrets de la famille Leblanc ?
J.D.
Oui. Maurice Leblanc était très lié à sa mère, qu’il aimait beaucoup et dont il a toujours parlé avec beaucoup de tendresse alors que, en revanche, il s’est fâché avec son père qu’il n’aimait pas du tout. Or, sa mère est morte alors qu’il était encore jeune tandis que son père a vécu très vieux. Pour Leblanc, ce père qui était négociant en charbon représentait la bourgeoisie d’affaires, préoccupée par l’argent : tout le contraire de ses valeurs.

23)  Quelle est la morale d’Arsène Lupin ?
J.D.
Contrairement à ce que l’on pourrait croire, Arsène Lupin est un personnage profondément moral. Ainsi, dans Arsène Lupin contre Herlock Sholmès, alors qu’il fait son travail de cambrioleur et vide une petite vitrine contenant des objets d’art, il est surpris par une jolie jeune fille et… se met à rougir songeant qu’il est vu mettant dans sa poche le bien des autres. Il n’est pas du tout immoral, contrairement aux voleurs classiques, car il vole de l’argent mal gagné par des escrocs ou des personnages qui ont mal acquis leurs biens.

24)  Quelles sont les croyances religieuses d’Arsène Lupin ?
J.D.
Ce sont les mêmes que celles de Maurice Leblanc : il ne croit en rien. Leblanc était athée et Lupin se montre, à l’égard de l’Eglise, plutôt désinvolte. Par contre, Arsène Lupin est superstitieux : il avait promis de faire évader de prison un de ses amis mais ne le fait pas le jour dit, car ce jour tombe un vendredi et que le vendredi porte malheur…

25)  Pourquoi Arsène Lupin est-il devenu un best-seller ?
J.D.
D’abord parce que le style de Maurice Leblanc n’est pas, j’insiste, celui d’un écrivain populaire classique mais celui d’un grand écrivain. Son style n’a pas vieilli: il est toujours extrêmement simple. Leblanc sait aller à l’essentiel, exposant très clairement des choses compliquées. Faites l’expérience! Prenez une page des aventures d’Arsène Lupin et essayez d’écrire la même chose plus rapidement: vous n’y arriverez pas! Deuxième raison: Maurice Leblanc possédait une imagination et une inventivité extraordinaires. Cela se voit d’ailleurs dès ses premiers écrits, dans ses très nombreux contes aujourd’hui introuvables (car non réédités). On pourrait également prétendre que si Arsène Lupin a passé le siècle, c’est parce qu’il est un garçon sympathique: le bandit au grand cœur, qui vole les riches et défend les pauvres. Soit. Mais il y a beaucoup plus: son succès repose sur la résolution d’énigmes dont le dénominateur commun est qu’elles sont toutes très anciennes, remontant jusqu’à l’époque gallo-romaine. La plupart de ces énigmes sont devenues des mythes car leur résolution est liée à l’histoire et à la géographie. C’est le cas, notamment, de L’Aiguille creuse d’Etretat : l’action ne pouvait pas ne pas se passer là. Leblanc a eu un trait de génie en utilisant des éléments géographiques si puissants car, aujourd’hui, les lieux mêmes sont attachés à Arsène Lupin, de sorte que l’on peut arpenter la Normandie, par exemple, sur les traces d’Arsène jusqu’à Etretat… Ce mélange de passé et de modernité, d’histoire et de géographie, d’ésotérisme et de progrès technique est détonant ! L’époque d’Arsène Lupin (toutes ses aventures se déroulent pendant la Belle Epoque même si Leblanc continua d’écrire jusqu’à sa mort, en 1941) est celle de l’invention du téléphone, de l’automobile, du vélo…

26)  Vous déplorez que les autres œuvres de Maurice Leblanc ne soient pas rééditées, mais si elles sont tombées dans l’oubli, n’est-ce pas le signe qu’elles étaient moins convaincantes ?

J.D. Ah, non! Les raisons de cet insuccès sont impénétrables. Les contemporains peuvent se tromper, non? Si les premiers contes de Maurice Leblanc, superbes, ne sont pas réédités, c’est par négligence, parce que la famille Leblanc, qui possède aujourd’hui les droits, gagne assez d’argent avec Arsène Lupin pour ne pas avoir besoin de rééditer les autres œuvres. Ah, s’il n’y avait pas eu Lupin…


[1] La vraie vie d’Arsène Lupin, de Francis Lacassin, Omnibus, 2004.

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4 commentaires pour “Vingt-six questions à … Jacques Derouard”

  1. Clement Duval dit :

    Rien de nouveau sur la fumeuse Lupinose .

  2. JMD dit :

    à ceci près que le spécialiste de Maurice Leblanc se range ici de notre côté, même s’il n’est pas très au fait du fait anarchiste.

  3. MAROCHON dit :

    SALUT mes petits potes .

    Je n’ai pas lu beaucoup de romans sur Arsène Lupin ni de romans policiers en

    général ayant eu affaire à la maison poulaga tout au long de mon existence, j’ai

    assez vu leurs sales gueules comme ça. Mais ce que j’en sais , c’est que Alexandre

    Jacob n’avait rien d’un gentleman et il n’hésitait pas à défourailler le cas échéant

    ce qui ne se passe jamais chez LEBLANC .

    A la prochaine Bye!

  4. JMD dit :

    C’est justement ce que l’on essaie de démontrer dans les colonnes du Jacoblog.
    JMD

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