Panorama de 1903 première


NDLR : la nuit du 21 au 22 avril 1903, n’apparait pas dans ce panorama de la revue Gavroche qui permet de contextualiser l’histoire de l’honnête cambrioleur. Ce jour-là,  Echec du cambriolage Tilloloy à Abbeville; «drame» de Pontrémy, l’agent Pruvost est tué par Félix Bour, Jacob est arrêté à Airaisne. Pélissard à Pquigny ;  la bande dite d’Abbeville est progressivement démantelée, le juge Hatté mène l’instruction.

Gavroche n°8, février – mars 1983

Panorama de 1903

La république des radicaux.

Cette année-là, Loubet est Président de la République, dans une Europe qui ne compte que des royaumes. Le radical Emile Combes, porté au pouvoir en 1902[1], à la suite des élections qui avaient vu la victoire de la gauche (Radicaux et Socialistes), poursuit la politique menée par son prédécesseur Wal­deck Rousseau[2], avec l’appui des Socialis­tes. D’ailleurs, dès le 13 janvier, la Chambre élit, parmi ses 4 vice-présidents, un grand tribun, le socialiste Jean Jaurès[3].

L’affaire Dreyfus avait séparé la France en deux : les antidreyfusards, défendant le maintien des traditions, l’ordre, le nationalis­me, teintés de cléricalisme et fortement antisémites ; les Dreyfusards, attachés aux valeurs universelles : droit, raison et liberté. A la « Ligue des patriotes » de Déroulède, s’oppose la « Ligue des droits de l’homme ».

Le programme du ministère Combes est approuvé par le congrès Radical et Radical-socialiste, ainsi que par le convent maçonni­que. Ses grandes lignes sont les suivantes :

–                                    Rapports de l’Église et de l’État ten­dant vers la séparation.

–                                    Application de la loi de 1901 sur les associations, tendant à la suppression des congrégations.

–                                    Diminution de la durée du service mili­taire.

–                                    Abrogation de la loi Falloux qui favorise l’enseignement religieux.

–                                    Assistance obligatoire aux vieillards et aux infirmes.

–                                    Création d’un impôt sur le revenu.

–                                    Retraites ouvrières.

–                                    Soutien de l’arbitrage international (La Haye, Société des Nations).

–                                    Étude du rachat du chemin de fer.

Un grand nombre de ces projets sont réali­sés ou engagés en 1903. La politique anticlé­ricale et pacifiste du gouvernement donne en partie satisfaction aux socialistes qui feront bloc pour voter l’ensemble des lois.

L’équilibre du budget impose des recettes nouvelles et la Chambre discute longuement de la suppression du privilège des bouilleurs de cru. Elle adopte de suite un impôt de 4 % sur les rentes viagères, établissant déjà le principe de l’impôt sur le revenu dont le ministre des Finances dépose un projet de loi le 15 juin. Le projet des socialistes sur le monopole de la fabrication, de l’importation et de la vente des alcools est repoussé par la Chambre qui adopte une motion invitant le gouvernement à déposer un projet en faveur du monopole du raffinage du pétrole. Le 9 février, un décret assure le monopole de la télégraphie sans fil à l’administration des Postes et Télégraphes. La suppression des décorations est envisagée et les législateurs adoptent en fin d’année un projet de loi abrogeant le monopole des inhumations, jus­qu’alors détenu par les fabriques des églises et les consistoires.

Mais la grande affaire politique de cette année, c’est la suppression des congrégations prédicantes et enseignantes.

De son côté, le Président de la République recommande à l’intérieur « la tolérance, l’u­nion et l’apaisement ». Il reçoit les souverains anglais et italiens, se rendant même en Angleterre. Cette politique de rapproche­ment prélude à l’entente cordiale franco- anglaise.

L’année sociale.

La misère bretonne.

Depuis plusieurs mois, les pêcheurs de sardines bretons sont en proie à une misère profonde. La sardine a quitté les parages à l’époque de la pêche. L’industrie sardinière (fabriques de boîtes de sardines, usines de mise en boîtes) est touchée. Onze mille famil­les de pêcheurs et de deux à trois mille familles d’ouvriers d’usine sont sans travail.

Pour leur venir en aide, un comité est chargé de recueillir des souscriptions. Celles que lancent les journaux produisent 700 000 F. La chambre des députés vote une aide de 500 000 F. Cette misère avait conduit 800 ouvriers, en juillet 1902, à détruire des machines automatiques pour la mise en boîtes, acquises par l’usine Masson de Douarnenez, et destinées à remplacer la main-d’œuvre. Douze « me­neurs » arrêtés sont condamnés en janvier 1903 à 2 ans de prison et 200 francs d’amen­de.

Les incidents d’Hennebont (Morbihan).

Début juillet, les ouvriers des Forges d’Hennebont se mettent en grève pour pro­tester contre la diminution de leur salaire. Cette grève menaçant de gagner l’arsenal, la troupe est envoyée le 2 août pour « rétablir l’ordre ». Elle se heurte aux grévistes qui blessent le sous-préfet et un officier. Des arrestations ont lieu. Le 3 août, à Lorient, pendant le jugement de leurs camarades, les grévistes, grossis des ouvriers de l’arsenal, manifestent devant le palais de justice. Apprenant la condamnation des prévenus, les grévistes brisent les vitres du palais de justi­ce, construisent des barricades, et prennent d’assaut une caserne. Les affrontements durent trois jours. Il y a plus de cent bles­sés.

Sur intervention du ministre de l’Intérieur, la Société des cirages français, propriétaire de forges, consent à l’augmentation de 0,25 F par jour du salaire des manœuvres. La grève est alors terminée.

Le 27 septembre, ces mêmes ouvriers organisent une manifestation anticléricale à l’occasion de la procession annuelle de la Saint-Caradec, bloquant les paroissiens dans l’église pendant 4 heures. C’est à cette époque que Louise Michel et le citoyen Girault font leurs ultimes tournées de conférences révolutionnaires. L’accueil n’est pas enthousiaste, et l’on raconte qu’une vieille femme, qu’on avait prise pour Louise Michel, se fit rosser par un groupe de natio­nalistes.

Les incidents d’Armentières (Nord).

Le 30 septembre, les ouvriers d’un tissage se mettent en grève. Le 8 octobre, les 17 tissages de la ville suivent le mouvement qui s’étend à la région avoisinante, puis à Lille. Les ouvriers réclament un tarif uniforme, augmenté d’un sixième. Le 9, l’assemblée générale des grévistes de Lille décide la reprise du travail, pendant que la Fédération nationale désavoue le syndicat d’Armentiè­res. La grève se localise alors dans la vallée de la Lys. Les maires socialistes d’Armentiè­res et d’Houplines soutiennent l’action des grévistes.

Le 12, alors que les souverains italiens sont en visite à Paris, le socialiste Jules Guesde vient en personne encourager les grévistes. Le lendemain, alors que 4 bataillons d’infan­terie, 4 escadrons de cavalerie et 120 gendar­mes entourent la ville, les magasins de texti­les sont envahis et pillés, la banque Crédit du Nord mise à sac ainsi que la banque Verley Decroix. Les appartements du directeur sont dévastés. Le soir, d’autres maisons de pro­priétaires sont saccagées et même incen­diées. En tout 20 établissements industriels sont envahis. Les syndicats sont désavoués par les Guesdistes. Le 15, l’état de grève est proclamé.

Le jeudi 22, à Houplines, une estrade est dressée contre la Maison de la coopérative ouvrière. Dix mille ouvriers, bravant la pluie, viennent acclamer Jaurès qui leur apporte le confort de son éloquence.

Le 7 novembre, Jaurès interpelle le gou­vernement sur les grèves d’Armentières. La Chambre nomme une commission d’enquête sur l’industrie textile et la condition des ouvriers et demande au gouvernement de faire une proposition d’arbitrage. Le 13, la grève est terminée. Les patrons refusent l’arbitrage du gouvernement, mais, d’un com­mun accord, font des concessions de nature à mettre fin au conflit. Sous la présidence d’Eugène Motte, député, ils décident alors de constituer une vaste association de propa­gande et d’action destinée à combattre, en dehors du Parlement, la politique gouverne­mentale.

Les bureaux de placement.

Ces agences privées se chargent de procu­rer des places aux employés, domestiques, etc., moyennant un tribut parfois excessif. De nombreuses manifestations avaient déjà eu lieu dès 1886 pour protester contre ces formes d’exploitation. Le 29 octobre, à la Bourse du travail de Paris, les syndicats de l’alimentation se réunissent pour en réclamer une nouvelle fois la suppression. La police, avec les gardes républicains, pénètrent dans la bourse du Travail et matraquent les ouvriers présents, laissant sur place de nom­breux blessés. De violentes manifestations ont alors lieu à Lyon le 29 novembre (1 mort) à Brest, le 5 décembre, à Bordeaux le 7. La veille de Noël, à Paris, les ouvriers de l’ali­mentation décident de cesser le travail. La Chambre adopte une loi pour supprimer les bureaux de placement dans un délai de 5 ans. Les placeurs seront indemnisés.

Mouvements divers.

C’est intéressant de noter qu’en 1903, d’au­tres mouvements de grèves ont lieu. En août, les déchargeurs de Rochefort. En septembre, les balayeurs à Nice, les ouvriers boulangers à Angers et La Rochelle (remplacés par des militaires). En octobre, 4 000 ouvriers tis­seurs à Angers, Dunkerque et Roubaix. En fin d’année, 1 000 ouvriers apprêteurs à Lyon, les employés du tramway à Clermont- Ferrand, et les ouvriers de la soie dans l’Ardèche.

L’action du gouvernement.

Un certain nombre de mesures sont prises, parmi lesquelles on peut noter : Janvier : extension de la journée de 8 heures (déjà acquise dans la marine) à tous les services des arsenaux. Mars : réorganisation du Conseil supérieur du travail. Juillet : loi sur l’appren­tissage des dentellières et loi sur l’hygiène et la sécurité des travailleurs dans les établisse­ments industriels. Loi sur l’amélioration de la retraite des ouvriers mineurs. Août : décret relatif à la durée du travail dans les ouvrages extérieurs du bâtiment. Puis, en fin d’année, loi instituant l’assistance obligatoire en faveur des vieillards, des infirmes et des incurables ; enfin, proposition d’amnistie pour faits de grèves et faits connexes.

La santé.

Un décret du 10 février 1903 complète la loi de 1902 relative à la protection de la santé publique. Il publie une liste de 22 maladies : 15 de celles-ci doivent obligatoirement faire l’objet d’une déclaration et d’une désinfection des habitations ; pour les 7 autres, ces forma­lités sont facultatives. Parmi les premières figurent : la fièvre typhoïde, le typhus, la variole, la scarlatine, la rougeole, la diphté­rie, la suette militaire, le choléra, la peste, la fièvre jaune, la dysenterie. La tuberculose, cause de la mort de 3 pour 1 000 des habitant, est classée dans la deuxième catégorie, avec la coqueluche, la grippe, la pneumonie, l’érisipèle, les oreillons, la lèpre, la teigne et la conjonctivite purulente. La science cède aux préjugés, en ne mentionnant pas les maladies dites « honteuses », qui coûtent pourtant la vie à des milliers d’individus par la dissimula­tion, gênant le traitement et la prophylaxie.

Il est bon de rappeler qu’en 1903, il n’y a qu’un médecin pour 1 000 habitants à Paris.

La législation des bouilleurs de cru.

Pendant le cours du xrxe siècle, à l’excep­tion des 3 ans qui ont suivi la guerre de 70, les propriétaires terriens ont joui de la faculté de distiller librement les vins, cidres, poirés, marcs et lies, prunes et cerises, provenant exclusivement de leur récolte. Ils ont égale­ment le droit de consommer sur place, en franchise du droit général dit de consomma­tion, l’alcool obtenu avec ces produits. Cette double faculté constituait le privilège des bouilleurs de cru.

Le ministre des Finances, voulant équili­brer le budget par de nouvelles recettes, propose l’abolition de ces privilèges afin de percevoir des droits sur l’alcool et d’éviter la fraude. Mais la masse de ces privilégiés, c’est aussi une masse d’électeurs. C’est certaine­ment la raison qui amène une majorité de la chambre, devant les assauts répétés de l’op­position de droite, à conserver le privilège aux propriétaires et fermiers distillant les produits d’un hectare de vigne ou de 50 arbres fruitiers au plus. Il faut savoir qu’en 1903, sur 5 700 000 exploitations, 4 900 000 ont moins de 10 hectares et que la population rurale comprend 18 millions de paysans (pour une population totale de 39 millions d’habi­tants).

Il est probable que si ce privilège avait été aboli, la loi aurait facilité la tâche de ceux qui se dévouaient alors à la lutte contre l’alcoo­lisme et dont le 1er congrès national venait d’ouvrir ses portes à Paris. En 1903, la Normandie détient le record de l’alcoolisme avec 12 à 14 litres de spiritueux par habitant, sans tenir compte du cidre, vin, poiré ou hydromel, boissons dites hygiéniques et dis­pensées du droit d’octroi.

L’anticléricalisme.

Les congrégations.

Ce nom est donné à toutes les sociétés de religieux, hommes ou femmes, soumises à une même règle. Les congrégations avaient été abolies le 12 octobre 1792 sous l’Assem­blée Constituante. Rétablies sous le 1er Empire et sous la Restauration, elles étaient soumises à une autorisation par voie législa­tive pour les hommes, et par simple ordon­nance pour les femmes. Toutefois, les congré­gations non autorisées se multiplient pendant le xixe siècle et c’est Jules Ferry qui ouvre la lutte contre les congrégations par les décrets du 29 mars 1880. La loi du 1″ juillet 1901 sur la liberté d’association les soumet à un statut spécial. C’est l’interprétation de cette loi qui va provoquer leur suppression.

En 1902, 125 établissements et 2 500 écoles congréganistes sont fermées, provoquant de nombreuses manifestations dans le pays. La population se mobilisa pour résister par la force à l’exécution des circulaires ministériel­les.

Cette situation, loin d’intimider les gouver­nants, les incite au contraire à réagir avec rigueur, dès le début de 1903. Le 15 janvier, le président Combes (ancien séminariste), déclare qu’il accorde sa bienveillance aux congrégations qui rendent des services de charité et de bienfaisance. Il considère, par contre, que le service de l’enseignement de la République suffit à tous les besoins. Le 18 janvier, 6 établissements hospitaliers dépen­dant des Petites Sœurs des Pauvres sont autorisés. À la même date, un décret interdit l’enseignement en langue bretonne. Le 18 mars, les demandes d’autorisation des congrégations enseignantes sont rejetées en bloc, puis celles des congrégations prédicantes, le 24, et enfin, le 23 juillet, ce sont celles des femmes qui sont rejetées à leur tour. Le 9 avril, une interdiction est faite de célébrer tout office religieux dans les lieux de culte qui n’ont pas obtenu d’autorisation.

Certains prêtres et évêques (de Quimper, Nancy, Marseille…), qui s’insurgent contre ces décisions, se voient purement et simple­ment amputés de leur traitement ; car, aussi surprenant que cela paraisse, le budget du culte est voté, et c’est Combes lui-même qui vient à la tribune de la Chambre défendre ce budget : « les idées religieuses, telles que les églises sont seules à en donner, sont nécessai­res ». Il rectifie quelques jours plus tard : « J’ai voulu dire que l’école primaire donne les mêmes idées morales que les écoles religieu­ses… » Le 8 mai, 17 capucins comparaissent devant le tribunal correctionnel à Paris pour infraction à la loi sur les congrégations. Ils sont condamnés à 25 francs d’amende. Le 4 novembre, l’archevêque de Rouen prend position contre l’attitude hostile des prêtres vis-à-vis des écoles de l’État, leur interdisant d’intervenir dans les affaires publiques.

La suppression des congrégations a pour conséquence la fermeture de 2 000 écoles, ce qui entraîne la Chambre à voter rapidement un projet sur la construction d’office de mai­sons d’école par les communes. Le 20 novem­bre, un amendement décide que les congrégations ne pourront donner l’enseignement secondaire et le 27, lors de la discussion du budget de l’instruction publique qui tend à améliorer la situation matérielle et morale des instituteurs, il est décidé de maintenir les aumôniers dans les lycées.

Les relations avec le Saint Siège ne sont pas au beau fixe. Le 12 février, le gouverne­ment nomme, sans entente avec le Vatican, les titulaires aux sièges épiscopaux de Bayonne, Constantine et Saint jean-de-Maurienne. Le Pape (qui décédera en juillet) ne leur confère pas l’investiture.

Les manifestations anticléricales.

Devant la résistance cléricale, des manifes­tations s’organisent. Des meetings, discours, conférences se dépensent dans tout le pays. En mai, à Aubervilliers, Plaisance et Bellevil­le, des manifestants libres penseurs envahis­sent les églises pour interdire, dans le cadre des lois établies, l’accès de la chaire aux jésuites. Ils sont assommés et expulsés par les fidèles. Le 14 juin, à l’occasion de la Fête-Dieu, les anticléricaux vont gêner les processions. À Nantes, les affrontements font des blessés. Le 2 août, une grande cérémonie de libres penseurs a lieu devant la statue d’Eugène Dolet. Le 8 décembre, à Lyon, à l’occasion de la fête de l’Immaculée Conception, 3 000 libres penseurs éteignent les illuminations et manifestent, provoquant l’interdiction de la procession par le maire.

Le congrès de la libre pensée se réunit le 25 décembre. Il demande la séparation de l’É­glise et de l’État, l’interdiction aux congréganistes d’enseigner, la laïcisation de l’assis­tance publique.

L’inauguration de la statue de Renan.

Cette manifestation qui se déroule à Tréguier (Côtes-du-Nord) le dimanche 13 sep­tembre illustre bien l’ambiance qui règne alors. L’écrivain Renan est un ancien sémina­riste qui abandonne le séminaire à 22 ans pour se consacrer à la recherche scientifique. La sortie de son livre La vie de Jésus, rejetant le surnaturel, lui attire la haine des catholiques et son esprit voltairien, la sympathie des anticléricaux. Il meurt en 1892. L’inaugura­tion de sa statue, en présence d’Émile Com­bes entouré de ses principaux collaborateurs, est considérée comme une provocation par les Bretons cléricaux qui se préparent à manifes­ter. La troupe s’interpose. Sous une pluie torrentielle, les officiels prononcent un grand nombre de discours. Les rues sont garnies de banderoles : « Gloire à Renan », « Vive la Pensée Libre », « Vive la République » ; et le slogan « Hou ! Hou ! la calotte » fuse de toutes parts.

Les expulsions.

C’est le 26 mars que la demande d’autorisa­tion de la congrégation des Chartreux est repoussée. Il en résulte un ordre d’expulsion des moines de la Grande Chartreuse (Isère). Un mois plus tard, sous les ordres du colonel de Coubertin, un bataillon du 140e de ligne, un escadron de cavalerie, des hommes du génie et des gendarmes arrivent pour appliquer les ordres. La troupe écarte tout d’abord la population qui lui barre le passage, puis enfonce une porte d’accès à coups de hache. Les magistrats pénètrent dans la cour, puis dans la chapelle où sont réfugiés les Char­treux qui sonnent le tocsin. Après ouverture des grilles entourant le sanctuaire, les Char­treux se décident à sortir entre deux haies de soldats.

De la même manière, les capucins de Mar­seille sont expulsés en mai, ceux de Paris de 3 novembre. Des incidents ont également lieu à Versailles, Angers, Saint-Nazaire, Nancy et Nantes où le maire de droite, De Dion, se fait arrêter et condamner à trois jours de prison pour outrages et rébellion envers un commis­saire de police.

L’antimilitarisme.

L’affaire Dreyfus, dont on demande la révision du procès, à la fin de 1903, va favoriser le mouvement antimilitariste qui se fait sentir jusque dans les casernes.

La Bourse du Travail de Paris est le lieu de réunion de conscrit avant leur départ pour l’armée, où les syndicats les engagent à réagir contre un éventuel ordre de mobilisation par la grève et l’insurrection. C’est l’époque où le journaliste Gustave Hervé écrit : « Il faut planter dans le fumier le drapeau de Wagram. » Les nationalistes dénoncent à la Chambre la sortie d’un Manuel du soldat antimilitariste, qui serait édité par les Bour­ses du Travail. Il faut toute l’éloquence de Jaurès pour rassurer les députés dont la « tripe patriotique » est ébranlée : « Nous pouvons, sans embarras, fermer sur cette page le livre détesté de la guerre » ; clame le tribun en parlant de notre défaite de 1870. Des sanctions, vite levées, sont prises contre les élèves de Polytechnique et le 33′ d’artille­rie de Poitiers, pour insoumission.

Les Pacifistes de 1903 sont persuadés que la Cour permanente d’Arbitrage de La Haye, la Société des Nations, la Fédération Euro­péenne, sont des organisations suffisantes pour servir de rempart à tout nouveau conflit.

Le procès des rebelles de Margueritte (Al­gérie).

Le 8 février, sont jugés à Montauban, les « fauteurs de troubles » de Margueritte, en avril 1901. Un Arabe, du nom de Yacoub, chef de la secte des Rahmanias, avait une étrange manière de communier avec ses adeptes, en leur donnant sa langue à sucer. En avril 1901, à la suite d’une altercation avec le caïd d’un douar voisin, Yacoub, à la tête d’une bande de rebelles, se met en marche vers le village de Margueritte, sommant les colons qu’il rencontre de confesser leur foi en l’Islam. C’est la mort pour ceux qui refusent. La ferme des Jenoudet, employeur de Yacoub, est mise à sac, et le village est saccagé aux cris de « Allah ! Allah ! nous avons gagné, la loi française est finie, plus besoin d’argent, Allah ! Allah ! » Mais la troupe est maîtrisée rapidement par une section de tirailleurs algériens accourus en hâte. Quelques jours après, le chef Yacoub est arrêté.

Le malaise qui règne à l’époque en Algérie est dû à la dépossession territoriale des indi­gènes, à leur refoulement vers le désert infécond, aux lourds impôts aggravant leur dénuement. On lit dans la Revue des deux mondes, sous la plume de M. Rouire : « Chez les indigènes des environs de Margueritte, privés des deux tiers de leur terre, et triplés en nombre depuis cinquante ans, l’extrême misère et la difficulté de vivre sur ce qui leur reste du domaine primitif, ont préparé le terrain sur lequel a levé la graine semée par un fanatique. »

Le jugement devait avoir lieu devant la Cour d’assise d’Alger. La Cour de cassation, pour cause de suspicion de l’impartialité des jurés, renvoya le procès devant la Cour d’assise de l’Hérault. Les 107 accusés se rejettent mutuellement les responsabilités, niant tout en bloc. Le plaidoyer de Me Ladmiral, avocat de Yacoub, met en lumière les méthodes néfastes de la colonisation et leurs résultats.

Finalement, le jury de l’Hérault condamne Yacoub et quatre de ses adeptes aux travaux forcés à perpétuité, 21 à des peines diverses, et 81 sont acquittés.

Suite du panorama de 1903 dans le prochain numéro :

La ‘ belle époque », le sport, l’affaire Humbert, les événements à l’étranger.


[1] Il le conservera 31 mois et 17 jours.

[2] Celui-ci avait déclaré qu’il n’avait pas d’en­nemis à gauche et qu’il s’appuyait sur les socia­listes pour combattre la réaction.

[3] Il déclare de son côté : « Notre devoir est de soutenir le gouvernement de Mr Combes mais avec la pensée d’entraîner le Parlement plus loin que son programme ne veut l’indi­quer. »

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Un commentaire pour “Panorama de 1903 première”

  1. La feuille Charbinoise » En mai, un Bric à Blog un peu désabusé mais sans jeux de mots laids dit :

    […] trouvé très intéressant, sur le plan historique, ce panorama politique et social de l’année 1903 publié en plusieurs parties sur le blog « Alexandre Jacob l’honnête […]

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