Le droit au vol


Le numéro 188 de l’anarchie est sorti le jour même de la mort de son fondateur. La feuille individualiste parait la première fois un mois environ après la clôture du procès d’Amiens qui envoie un certain nombre des Travailleurs de la Nuit, dont Alexandre Jacob, finir leur vie au bagne. Libertad avait une des rares personnalités libertaires à venir prêter main forte aux compagnons du journal Germinal qui assuraient la propagande dans la cité picarde, pendant que l’honnête cambrioleur faisait son show à l’intérieur du palais de justice pour mieux défendre théoriquement son illégalisme. Le 12 novembre 1908, l’article Le droit au vol reprend les conclusions de la déclaration de Jacob. On retrouve en effet dans le Pourquoi j’ai cambriolé ? le principe affirmé du droit à l’existence et des motivations révolutionnaires. Le vol, sous la plume anonyme du dénommé Cassius qui détourne ironiquement le propos de quelques théologiens chrétiens, pourrait constituer « une forme consciente de révolte » en même temps qu’il serait une réponse immédiate et individuelle, une juste reprise des biens spoliés, volés légalement, par l’exploiteur capitaliste. De fait,  si comme l’écrivait Proudhon, la propriété c’est le vol, Libertad ne disait rien d’autre lorsqu’il donnait à Germinal l’article « Le plus voleurs des deux » pour défendre Jacob trois ans plus tôt.

l’anarchie

n°188, jeudi 12 novembre 1908

Le Droit au Vol

C’est avec un ensemble touchant que la grande presse qui se taxe de représenter « l’opinion publique » celle des « honnêtes gens », a jeté le même cri d’alarme réclamant des gouvernants protection pour les personnes, la propriété, les trésors nationaux et pour tous les fétiches religieux et laïques que les malandrins, les apaches, les cambrioleurs non patentés menacent tous les jours au détriment des premiers occupants.

La police se disant impuissante, au point de vue numérique, à assurer la garde des privilégiés, ne voit arriver que lentement le jour de l’augmentation de sa force ; en attendant, des chiens policiers à quatre pattes sont dressés pour aider leurs confrères à la disparition des « vices » et à la manifestation des « vertues », critérium des réformes républicaines et socialistes.

Voleurs qui êtes l’objet de ces dispositions, méprisés par vos contemporains sans avoir comme compensation le sentiment d’une utilité sociale, ne vous est-il donc jamais arrivé de scruter les causes de votre « Indignité ».

Ne voyez-vous pas que tous les gouvernements, quels qu’ils soient, ne sont pas autre chose que des associations de malfaiteurs de la pire espèce, formées dans l’unique but de continuer l’arbitraire afin de mieux piller les masses ?

Certes votre attitude n’a rien d’héroïque ; elle n’est dictée que par l’instinct d’un égoïsme brutal. Vous faites, en petit, ce que les classes dirigeantes font en grand, et vous n’éprouvez pas plus qu’eux de répugnance ou de regret à vivre ainsi aux dépens de ceux qui produisent.

Que sont tous vos gestes réunis comparés aux nombreux crimes journellement commis par tous les exploiteurs gouvernementaux sous la sauvegarde des lois !

Il faudrait des siècles aux assassins « sans drapeau » pour que le nombre de leurs victimes égalât celui que sacrifient impunément en une seule journée de guerre ou de répression tous les gouvernements réputés civilisés. Les exploits sanguinaires d’un Bugeaud, d’un Thiers, d’un Gallifet, d’un Nicolas II, d’un Abdul-Hamid, pour ne citer que ceux-là, défient toute concurrence.

Ces magistrats, ces juges qui vous prodiguent avec tant de désinvolture l’insulte et les années de prison ; vivant de vos « infamies » comme les souteneurs et les exploiteurs vivent de la prostitution humaine et les bousiers des excréments, ont toujours eu, de plus que vous, deux tares en partage, la lâcheté et l’imposture : car is ne courent aucun risque et sont classés parmi les « honnêtes gens ! ! ! »

La probité, l’intégrité, l’honneur sont des termes usités dont se servent et se parent tous les dupeurs, tous les désœuvrés pour faire croire à une action généreuse. D’où proviennent les profits du commerçant, de l’industriel, de l’entrepreneur, les gages des fonctionnaires, la rente dont vivent les oisifs, les inutiles, si ce n’est de la production de ce peuple imbécile qui ne se lasse pas d’entretenir tant de parasites, lorsque lui, crève de faim.

Ah ! vous pouvez hardiment marcher, les égaux de tous ces gens, et s’il y avait une préférence à établir, elle ne serait pas en leur faveur !

Ne vous ravalez donc jamais à vos propres yeux et ne souffrez pas d’être humiliés par ces fourbes que les pires d’entre vous n’atteignent pas à la cheville. Que si votre éducation, vos habitudes ne vous ont jamais permis de considérer vos actes comme un geste de révolte pouvant porter la perturbation dans ta vie capitaliste, pensez que des Pères de l’Église ont sanctionnés vos pratiques et que le Dieu des bourgeois, au nom duquel ils paraissent nous condamner, vous approuve et vous « pardonne», du reste, lisez et méditez :

Ce n’est pas un péché mortel de prendre à quelqu’un, en secret, ce qu’il donnerait si on le lui demandait, quoiqu’il ne veuille pas qu’on le lui prenne en secret, et il ne faut pas le restituer.

Celui qui n’a fait aucun tort, en prenant une chose qui ne lui appartenait pas, parce que le propriétaire ne s’en servait point, n’est point obligé de le restituer (1).

Les domestiques peuvent prendre en cachette les biens de leurs maîtres par forme de compensation, sous prétexte que leurs gages sont trop modiques, et ils sont dispensés de la restitution. (2)

Dieu ne défend le vol qu’en tant qu’il est regardé comme mauvais et non pas lorsqu’il est reconnu comme bon. (3)

On n’est point obligé, sous peine de péché mortel, de restituer ce qu’on a pris en plusieurs petits vols quelque grande que soit la somme totale. » (4)

« Quand bien même vous eussiez tenu l’échelle au voleur pour faire son vol, ou qu’obéissant à votre maître qui vous le commandait, vous eussiez prêté vos services pour porter une cassette par lui dérobée, et qu’il aurait d’ailleurs emportée sans vos services, vous n’êtes obligé à aucune restitution. » (5)

« II est permis de tuer pour conserver les biens de la fortune. » (6)

« II est permis de désirer la mort d’un autre pour le grand bien, même temporel, d’une communauté ou de l’église, parce que le bien commun est préférable au bien d’une personne particulière. » (7)

Le P. Vasquez, cité par le P. Castro Paolo, dit que :

« Quand on vole un voleur résolu et prêt à voler une personne pauvre, on peut, pour l’en détourner, lui assigner quelque personne riche en particulier pour la voler au lieu de l’autre. »

Le Père Jésuite Gardenas et son collègue Sanchez, ajoutent à la série des justifications, celle des amphibologies, qui sont permises pour une cause juste :

Ainsi comme le mot Gallus en latin peut signifier un coq ou un français, si on me demande en parlant cette langue, si j’ai tué un Français, quoique j’en aie tué un, je répondrai que non, entendant un coq. De même le verbe esse signifie eu latin être ou manger ; si donc on me demande si Titius est chez lui, je répondrai qu’il n’y est pas, quoiqu’il y soit véritablement, et j’entendrai qu’il n’y mange pas.

Nous savons bien que ces absolutions, ces équivoques ecclésiastiques sont destinées à légitimer toutes les pratiques religieuses, à affirmer le droit de propriété et à assurer l’exploitation humaine. Mais qu’importe.

Ah ! si vos actes vulgaires et intéressés prenaient une forme consciente de révolte, que de choses généreuses n’accomplirait-on avec vous. Si au lieu du désir de satisfactions factices et grossières, qui sont le but de vos actions, vous deveniez des êtres pensants, vous rejetteriez le droit au vol pour ne déclarer que votre droit à la vie par des moyens puissants, énergiques, capables d’ébranler les bases sociales et d’élargir la propagande révolutionnaire, en mettant en pratique le conseil de Grayson, député anglais : « Puisqu’on entrave ton développement économique, prends ce qui est utile à ton existence où tu le trouveras. »

CASS1US

(1)   Aphorisme des confesseurs, P.Emmanuel Sa

(2)   Traité de pénitence, P. Valèze Regnald

(3)   Traité de pénitence, P. Antoine Casnedi

(4)   Théologie morale, P. Thomas Tamburini

(5)   Règle du confesseur, P. Trachala

(6)   Cours de téologie, P. Jacques Platélius

(7)   Id., P. Jean de Cardenas

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